Comment le hoodie est devenu un vêtement politique

histoire du sweat a capuche
Autrefois pièce iconique d'une jeunesse alternative, le hoodie s'affirme aux États-Unis comme le symbole des disparités raciales.

L’affiche est visible dans le métro, sur les bus, placardée dans les espaces d’affichage légaux. Dessus, on voit le portrait serré de la jeune actrice américaine Amandla Steinberg, portant un hoodie (sweat à capuche)bordeaux. Et puis ce titre en lettres capitales : THE HATE U GIVE (La haine qu'on donne, ndlr). Adapté du best-seller écrit par Angie Thomas, le film relate l’histoire de Starr, une lycéenne noire, qui après avoir assisté à la mort de son ami d’enfance lors d’un contrôle de police, remet en question son identité et sa vision du monde.

On le sait, la mode est l'une des manières d’exprimer qui l’on est. Elle est souvent un prolongement de ce qui se trame à l'intérieur, un miroir de l’identité que l'on veut montrer au monde. Pour Starr, pourtant, difficile de se situer. D’un côté il y a sa vie de famille dans un quartier noir américain où sévissent les guerres de gangs. De l’autre, sa vie au lycée, ses parents ayant décidé de l’envoyer dans un établissement privé situé dans un quartier blanc favorisé. Sa vie est alors séparée en deux parties et on le ressent d’un point de vue vestimentaire. Au lycée, uniforme obligatoire. Au quartier, un hoodie. Pourtant, dès les débuts du film, on observe certains de ses camarades de lycée bien nés porter ce même vêtement. Alors pourquoi cette différenciation de la part de Starr ? Pour le comprendre, il faut se pencher sur l'évolution du sens de ce vêtement.

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Le hoodie, des terrains de sport aux cours de lycée

On peut retracer l’histoire du hoodie jusqu’à son ancêtre, déjà porté à l'ère de la Grèce Antique. À l’époque, il s’agit d’un capuchon ou d’une large pièce capuchonnée qui protège des éléments. Dans la culture populaire, il est représenté autant pour dissimuler le visage d’une femme qui part à la recherche de son amant que comme symbole de la Faucheuse, personnification de la mort. Une aura ambiguë qu'il a transmis à sa version moderne.

Pull en coton et à capuche parfois équipé d’une poche kangourou, le hoodie tel qu'on le connaît aujourd'hui est apparu pour la première fois dans les années 30. Lancé par la marque qu’on appelle désormais Champion, il est créé à destination des sportifs avant d’être rapidement adopté par les travailleurs manuels américains. Et c'est en partie grâce aux amourettes lycéennes qu’il se propage dans le lifestyle américain, les joueurs des équipes sportives des établissements offrant souvent leurs sweats à leurs copines.

Une pièce emblématique des sous-cultures

C’est fin des années 70, début des années 80 que le hoodie prend un véritable essor. Adopté par la culture hip-hop, il devient un élément de style pour les rappeurs, Bboys et graffeurs. Ce qui leur plait dans ce vêtement ? Son confort qui les laisse libres de leurs mouvements mais aussi sa capuche qui leur confère l’anonymat nécessaire à leurs activités illicites comme le graffiti, qui recouvre à l’époque les rues et rames de métros de New York.

Plus ou moins à la même époque, ce sont les skateurs qui l’adoptent. De New York à Los Angeles, ils sont eux aussi rejetés par la société et de ce fait traqués par la police et les habitants. L’activité étant illégale, les skateurs de l’époque partent en quête d’endroits où skater tranquillement, parfois dans la rue et d’autres sur des chantiers. À Los Angeles, les Z-boys utilisent eux aussi le hoodie pour masquer leur identité lorsqu’ils vont skater dans les piscines vides des maisons de Santa Monica.

Garder l’anonymat

Une association aux contre-cultures qui permet au hoodie de rencontrer un public plus large mais qui est aussi la raison pour laquelle le vêtement en question provoque chez beaucoup une certaine méfiance. Vu de l’extérieur, le hoodie dissimule le visage de celui qui le porte répandant dès lors le malaise, parfois même à l’insu de celui qui le porte, dans une pièce ou un lieu public.

Pourtant, relever sa capuche, c’est aussi montrer visuellement qu’on a envie de se couper du monde et sans doute aussi, s’en protéger. Combien d’hommes ou femmes voyons-nous chaque jour, porter une capuche dont s’échappent deux fils d’écouteurs ? Un "Ne pas déranger" visible qui permet de rester dans sa coquille et qui, de fait, a longtemps été associé à l'adolescence, période de la vie où on a tendance à vouloir protéger son intimité. 

2012, une année charnière pour le hoodie

En 2012, le sweat à capuche devient aux États-Unis et pour le reste du monde le symbole des inégalités raciales. Il y a bientôt six ans, le 26 février 2012, un jeune homme noir de 17 ans quitte une épice d’où il vient d’acheter du thé glacé et des bonbons avant de se diriger vers l’appartement de la petite amie de son père. Son nom ? Trayvon Martin. Il porte un large hoodie noir dont il a relevé la capuche. George Zimmerman, capitaine de surveillance du voisinage, suit alors l’adolescent tout en appelant la police pour signaler une "personne suspecte dans son quartier". Quelques minutes plus tard, Trayvon Martin est retrouvé mort et George Zimmerman plaide la légitime défense.

Quelques jours plus tard, les commentateurs de Fox News blâment le hoodie. "J'exhorte les parents de jeunes noirs et latinos, en particulier, à ne pas laisser leurs jeunes enfants sortir avec des sweats à capuche. Je pense que le sweat à capuche est aussi responsable de la mort de Trayvon Martin que George Zimmerman", déclare à l'antenne le journaliste Gerardo Rivera. À la suite de cela, des "Hoodies March", manifestations où les gens viennent habillés d’un hoodie qu’ils relèvent sur leur tête, sont organisées.


Une du Time datée du 29 juillet 2013. Photo de Mark Zuckerberg par Getty Images

En parallèle à cette actualité sombre, la même année, Mark Zuckerberg fait la Une de la presse. Le créateur de Facebook est photographié lors d’un rendez-vous avec des investisseurs de Wall Street portant lui aussi un hoodie. Et renverse la tendance : le vêtement à capuche devient sur son dos un symbole de pouvoir. Le traditionnel costume, représentation vestimentaire de la virilité et du pouvoir masculin, est alors montré comme appartenant au vieux monde. Les techies de la Silicon Valley, ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui, n’ont plus à se plier aux exigences vestimentaires de leurs aînés. Entre symbole de pouvoir “cool” et objet de toutes les suspicions, le hoodie est de ces pièces mode qui n'échappent pas au double standard.

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