En 1967, France Gall a tout juste 20 ans quand une de ses chansons crée la polémique. Écrite par Serge Gainsbourg, Les Sucettes, contient une double lecture, à l'époque passée inaperçue pour la jeune chanteuse. En 2015, trois ans avant sa mort, elle était revenue sur cette épisode difficile de sa carrière auprès du Parisien

Gagnante de l'Eurovision avec la chanson de Gainsbourg

En 1965, France Gall a 18 ans. Baignant dans le milieu artistique depuis son plus jeune âge, la jeune fille est très vite incitée par son père à se lancer dans une carrière artistique. Le succès arrive lorsqu’elle remporte le concours de l’Eurovision sous le drapeau luxembourgeois avec une chanson signée Serge Gainsbourg, Poupée de cire, poupée de son.

La popularité de la jeune femme explose, notamment à l’étranger. En couple depuis deux ans avec Claude François, celui-ci la quitte, vraisemblablement parce qu’il ne supportait pas que sa petite-amie soit plus populaire que lui.

Plusieurs collaborations avec Serge Gainsbourg  

France Gall cumule alors les succès, avec des chansons toujours écrites par Serge Gainsbourg, comme Attends ou va-t'en, ou encore Nous ne sommes pas des anges, écrite par Eddy Marnay. 

Mais l’année 1966 va déclencher un scandale. France Gall entame une nouvelle collaboration avec Serge Gainsbourg, qui écrit la chanson Les Sucettes. Elle n'est en réalité que le fruit de leurs discussions.

"Avant chaque disque, Serge me deman­dait de lui racon­ter ma vie, ce que j'avais fait pendant les vacances. Alors, je lui ai dit que j'avais été à Noir­mou­tier chez mes parents. Là-bas, il n'y a pas grand-chose à faire, sauf que, tous les jours, j'al­lais m'ache­ter une sucette à l'anis", avait-elle expliqué au Parisien, en 2015.

Serge Gainsbourg s’inspire alors de cette anecdote pour lui écrire une chanson. Charmée par cette composition qu’elle trouve "très jolie", France Gall lui dit qu’elle l'adore. 

Vidéo du jour

Une chanson à double sens

Persuadée que la chanson relate un de ses souvenirs de vacances, France Gall la chante au premier degré, en imaginant que l’héroïne de la chanson, Annie, est juste friande de sucettes qu’elle va acheter à l’épicerie du coin. Mais la chanson a un tout autre sens, et Gainsbourg le reconnaîtra lui-même plus tard. Implicitement, elle décrit la pratique de la fellation.

La deuxième partie décrit notamment l’acte en lui-même. Le sucre d’orge qui coule dans la gorge d’Annie évoque l’éjaculation, tandis que le compositeur insiste sur le fait que l’héroïne achète ses sucreries avec des "pennies", dont la sonorité évoque fortement le terme "pénis".

Alors que la composition est remplie de sous-entendus, la jeune chanteuse ne se doute de rien. Sur le plateau de l’émission télé Le Bouton Rouge, en avril 1967, Serge Gainsbourg interroge France Gall, et lui demande le sens exact de la chanson. La jeune chanteuse répond rapidement : "C’est une petite fille qui aime bien les sucettes qu’elle achète au drugstore pour quelques pennies. Et puis c’est tout, non ?", demande-t-elle au compositeur. Déboussolée devant le silence de ce dernier, France Gall réitère sa question "Hein ?". "D’accord. Épatant", répond Serge Gainsbourg. 

La vidéo accompagnant la chanson est pourtant plutôt explicite. On y voit la jeune femme, chantant sa chanson une sucette à la main, et des plans de coupe de jeunes femmes, toutes en train de déguster avec avidité leurs confiseries. Détail notable : toutes les sucettes sont de forme allongée, évoquant sans ambiguïté un pénis. 

Une humiliation sur la place publique

La chanteuse apprendra la vérité à la sortie du disque, quelques mois plus tard. "Là, j'apprends qu'il y a tout un truc là-dessus. C'était horrible, horrible ! Ça a changé mon rapport aux garçons. Ça m'a humiliée, en fait", racontait-t-elle, toujours au Parisien en 2015, à l'occasion de la sortie de la comédie musicale Résiste.

À ce moment, beaucoup se moquent de son innocence, d’autres pensent que la chanteuse comprenait parfaitement ce qu’elle chantait au moment des faits. "En même temps, je sentais que ce n'était pas clair... C'était Gainsbourg quand même ! Gros cochon !", confie finalement France Gall au quotidien francilien, près de près de cinquante ans après la sortie de la chanson.

En 1967, la réalité est difficile. La chanteuse n’ose plus sortir de chez elle. "Je l’ai enregistrée très, très, très innocemment. Contrairement à ce qu’on a pu dire. Je suis partie au Japon pendant que le disque sortait à Paris. Les programmateurs de radio ont hurlé : 'Elle est complètement folle, elle va se ridiculiser.' Moi, je n’en savais rien. Et quand je suis revenue, je n’osais plus sortir de chez moi. Je n’osais plus faire de radio, plus de télé", déclare-t-elle à l’éditeur Philippe Constantin en 1968. 

En même temps, je sentais que ce n'était pas clair... C'était Gainsbourg !

Une carrière difficile à redorer

La jeune femme vit très mal sa soudaine notoriété due au scandale. Tous ses disques suivants sont soupçonnés d’être à double sens. On lui reproche notamment sa chanson Bonsoir John, John, consacrée au fils du président des États-Unis, John Fitzgerald Kennedy

France Gall a par la suite refusé de chanter Les Sucettes. Mais la chanson est loin d’être censurée. Dans les années suivantes, le retour au succès est difficile pour la jeune femme, et ses productions, telles que Les leçons particulières ou encore la mise en scène de J’ai retrouvé mon chien, n’y font rien.

En 1973, sa rencontre avec Michel Berger amorce une nouvelle étape de sa carrière. France Gall retrouve le chemin du succès. La chanteuse confirmera : "Ça a transformé mon existence, ma vie. Ça m’a apaisée". La suite, on la connaît : un mariage avec le chanteur/compositeur, un album à succès et une carrière qui redémarrera sur les chapeaux de roues.