"Féminicides", documentaire éclairant sur Laetitia, Sylvia, Hélène, Marie-Alice et Ana, tuées par leur conjoint ou ex

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Diffusé ce 2 juin sur France 2, ce documentaire co-produit par Le Monde et Bangumi revient sur l'assassinat de cinq femmes, tuées entre 2018 et 2019 par leur compagnon, ou ex. On y rencontre leurs proches, et la justice y répond à ses manquements pour certains cas. À voir.

Leur redonner un nom, un visage souriant, et une voix, à travers celles de leurs proches. Ce mardi 2 juin, France 2 consacre sa soirée aux féminicides*, fléau qui tue en moyenne, une femme tous les deux ou trois jours en France. En 2019, 150 sont mortes, tuées par leur compagnon, ou ex.

Un long documentaire, sobrement intitulé Féminicides, écrit et réalisé par Lorraine de Foucher, co-produit par Le Monde et Bangumi, et narré avec force et gravité par Laetitia Casta, revient sur cinq féminicides en particulier. Y sont interrogés les familles des victimes, mais aussi, certains membres des forces de l'ordre ou de la justice, dans les cas où des violences avaient déjà été signalées.

Ce documentaire est aussi le résultat d'une année d'enquête réalisée par dix journalistes du Monde, qui se sont intéressés à 120 affaires de féminicides, et qui ont sorti un dossier spécial de 14 pages dans le Monde du weekend dernier. Un récit limpide, détaillé, glaçant, qui tord l'estomac, avec ce rappel : les féminicides ne sont pas des crimes d'amour ou de folie, mais des crimes de propriété.

Montrer les victimes et les assassins

On découvre les histoires tragiques de ces femmes, une par une. Marie-Alice Dibon, brillante scientifique retrouvée dans une valise, flottant sur l'eau. Laetitia Schmitt, poignardée. Sylvia Bouchet, assommée puis jetée du haut d'un barrage. Hélène Bizieux, poignardée et brûlée dans sa maison. Ana Galajyan, abattue d'un coup de feu.

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Les noms de leurs tueurs, dont certains sont encore en attente de jugement, sont aussi donnés. Leurs visages sont montrés. Un choix singulier, important, qui permet de rappeler que les auteurs de violences conjugales sont des "Monsieur tout le monde", de toutes catégories sociales, et pas forcément des "monstres" caricaturaux en puissance.

Des femmes sous emprise

Ces histoires sont différentes les unes des autres, mais se rejoignent dans les mécanismes d'oppression, de soumission, d'emprise, auxquelles ont été assujetties les victimes, jusqu'à leur meurtre.

Marie-Alice Dibon, féministe revendiquée, n'osait quitter son compagnon, qui lui faisait du chantage au suicide. Ana Galajyan avait révélé que son mari n'aimait pas qu'elle se rende à son atelier radio, car elle y était heureuse. Laetitia Schmitt s'habillait selon les directives de son compagnon, qui l'a rouée de coups pendant des années. Sylvia Bouchet était rabaissée par son mari, qui a brisé des objets à elle après leur rupture. Hélène Bizieux était battue et menacée de mort par son mari, et avait rappelé à la police qu'il avait fait huit ans de prison pour violences, dans sa jeunesse. Il était même violent ou menaçant envers d'autres membres de sa famille.

Le récit de ces relations abusives, violentes, peut donner le tournis, mais il illustre la réalité de nombreuses femmes en danger. Les moments de bascule du documentaire étant ceux où Laetitia Casta lit des extraits horrifiants de dépositions de ces victimes, ou le compte-rendu médical ayant suivi l'hospitalisation de Laetitia Schmitt, très violemment frappée par son époux.

Ceux qui restent

Ces maltraitances, les proches de ces cinq victimes en avaient souvent conscience, certains avaient même peur qu'elles finissent par être tuées. "'Ça peut mal terminer', c’était une pensée que j’avais", reconnaît le père de Hélène Bizieux. "Mais ce n’était pas concevable." De son côté, Milena, fille adolescente d'Ana Galajyan, bouleverse par son courage et son abnégation : "J'ai tout fait pour que ma mère s'éloigne de mon père", raconte-t-elle. "Mon père était un danger public."

Mon père était un danger public.

Ces proches, parents, frères, soeurs, beaux-frères, enfants, ou bien collègues, amis, responsables, ont été nombreux à essayer d'aider ces cinq femmes, de les alerter sur leur situation, mais l'emprise qu'elles subissaient était trop forte. Aussi, certains passages du documentaire sont difficiles à voir, mais très forts. Comme ce moment où le père d'Hélène Bizieux regrette : "J'ai dit aux gendarmes que j'aurais dû le tuer. Je serais en prison, mais ma fille serait toujours là, avec ses enfants." Ou celui où la directrice des ressources humaines de l'entreprise de Laetitia Schmitt se lamente, en pleurs : "Je l'avais dit. Je l'avais crié."

La peine de "ceux qui restent" est palpable dans le documentaire de Lorraine de Foucher. Mais aussi, leur rage, leur désespoir, et leur colère, pour certains, contre une justice qu'ils ont estimée inefficace à protéger la victime. 

Les failles de la justice

Ce documentaire diffusé sur France 2 rappelle aussi les failles de la justice face aux affaires de féminicides. Plusieurs de ces femmes assassinées avaient signalé des violences et/ou menaces, voire, avaient porté plainte. Parfois, plusieurs fois. Certaines, comme Hélène Bizieux, n'ont pas été crues, ou la gravité de ce qu'elles signalaient a été minimisée par les forces de l'ordre, ou la justice.

Après un féminicide, la parole des autorités ayant eu affaire à ces femmes est rare. Ainsi, il est singulier d'entendre Lucie Bauer, gendarme qui avait reçu une plainte de Laetitia Schmitt, et lui a promis de mettre ses enfants en sûreté, alors qu'elle venait d'être mortellement poignardée par son époux. 

"Des querelles au sein d'un couple, et des menaces de mort, même quand on a la certitude que des mots ont été prononcés, il y en a en quantité. Et la plupart du temps, il ne se passe rien. C'est une réalité statistique", explique quant à lui Éric Maillaud, procureur de la République de Clermont-Ferrand.

Le magistrat défend ainsi que les manquements de la justice peuvent notamment s'expliquer par le nombre important d'affaires similaires à traiter : "On passe notre vie professionnelle - policiers, gendarmes, magistrats - à rentrer dans des cases : 'Ça, c'est très grave : c'est le tribunal. Ça, c'est très, très grave : c'est la cour d'assises. Ça, c'est pas grave du tout : c'est le rappel à la loi.' [...] Cette façon de travailler, qui est le seul moyen qu'on a trouvé de traiter des milliers de procédures [...], c'est d'essayer d'avoir des rubriques, des cases. Effectivement, peut-être qu'on n'est pas assez attentif à un salon de jardin brisé, à de la vaisselle, cassée, à des menaces de mort, [...] alors que c'est peut-être révélateur d'un futur passage à l'acte."

*Féminicides, diffusé sur France 2 le 2 juin 2020, écrit et réalisé par Lorraine de Foucher, co-réalisé par Jeremy Frey, une coproduction Bangumi et Le Monde. 
Pour accompagner et prolonger ce documentaire, un débat de 50 minutes présenté sera par Julian Bugier, sur le thème : "Comment lutter contre les féminicides ?". La soirée sera clôturée par la rediffusion du documentaire "Infrarouge" : "La maison des hommes violents".

[Dossier] Le féminicide, un meurtre au-delà des violences conjugales - 88 articles à consulter

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