Mercredi 6 octobre, le parquet d'Évreux (Eure) a classé sans suite la plainte déposée par l'avocate Nathalie Tomasini à l'encontre du ministre de la Justice Eric Dupont-Moretti, avance BFMTV, confirmée par France Bleu Normandie.

Le 21 septembre, Nathalie Tomasini, notamment connue pour avoir défendu Jacqueline Sauvage, avait porté plainte contre Eric Dupond-Moretti pour "violences psychologiques" et "menaces", ont fait savoir le Huffpost et Mediapart. En cause : l'attitude de M. Dupond-Moretti lors du procès d'un féminicide, à Évreux, le 11 février 2020. Il était alors avocat, et pas encore garde des Sceaux.

Pas de trace écrite de l'incident

Le parquet d'Évreux a expliqué à France Bleu Normandie qu'aucune trace écrite des incidents évoqués par Nathalie Tomasini n'a été trouvée dans les procès-verbal du procès de 2020. Dominique Puechmaille, la procureure de la République, a expliqué qu'il ne s'agit pas de violences psychologiques ou de menaces, comme le spécifiait l'avocate. 

Elle a précisé que les faits, même avérés, seraient aujourd'hui prescrits. "La qualification retenue ne pouvant être à mon sens, que celle d’injures, les faits allégués datant de février 2020 sont prescrits”, explique-t-elle au Huff Post.

Dans un communiqué consulté par le média en ligne, Nathalie Tomasini "[s’]étonne qu’Éric Dupont-Moretti soit informé de ce classement avant même qu'[elle] le soi[t) en tant que victime !". Elle dit également s'interroger sur la "rapidité dudit classement".

Elle estime avoir porter plainte, "comme pour toutes les victimes", en osant "dire ce qui s’était réellement passé". "Je suis fière d’avoir été en cohérence avec les principes que je défends", a-t-elle conclut.

D'après le média, l'avocate pourrait porter plainte en se constituant partie civile. La justice serait ainsi obligée de relancer l'affaire. 

Vidéo du jour

"Saloperies de putes"

"Saloperies de putes", "hystériques", hontes du barreau", voilà les insultes que l'ancien avocat aurait proférées envers sa consoeur, et son associée dans cette affaire, Me Janine Bonaggiuta. Il s'agissait du procès d'un homme ayant abattu sa compagne avec un fusil. Les deux avocates représentaient les parties civiles, et M. Dupond-Moretti, l'accusé. Celui-ci a été condamné à 15 ans de prison. 

Ces accusations d'insulte sont confirmées par des témoignages joints à la plainte. La tante de la victime a évoqué "un véritable déchaînement de violences verbales et gestuelles de la part de Me Dupond-Moretti", cite Le Monde. "Il s’est mis à déambuler devant les jurés en tenant cette arme, canon levé à hauteur d’homme. À un moment, je me suis retrouvée avec le canon de cette arme dirigé dans ma direction."

Eric Dupond-Moretti a aussi été accusé d'avoir "menacé au poing levé" les deux avocates, durant une suspension d'audience. Des accusations corroborées par l'avocate générale, qui dit avoir "entendu Me Dupond-Moretti vociférer en direction des avocates des parties civiles, tout en agitant vers elles le poing."

Eric Dupond-Moretti avait été nommé garde des Sceaux à l'été suivant, ce qui avait provoqué un tollé dans les milieux féministes

Plus précisément, Nathalie Tomasini a porté plainte contre Eric Dupond-Moretti pour "violences volontaires de nature psychologique", "menaces sans condition d’atteinte volontaire à l’intégrité physique" et "menaces de crimes ou délits envers les personnes dépositaires de l’autorité publique ou assimilés".

Cette spécialiste des affaires de violences conjugales ne réclame qu'un euro de dommages et intérêts. Un montant symbolique. Au Huffpost, elle a expliqué le 21 septembre espérer ne "rien obtenir de plus que la simple reconnaissance du préjudice qu’elle a subi et la sanction de l’homme à l’origine de ces propos extrêmement violents, et des menaces de violence physique à son encontre".

"Il est violent"

Au micro de RTL, deux semaines après le procès d'Évreux, Maîtres Tomasini et Bonaggiuta étaient invitées pour parler de leur livre Une défense légitime (Fayard, 2020), dans lequel elles critiquent le comportement d'Eric Dupond-Moretti durant un procès. "Il est violent ; comme tous les hommes qui approchent les femmes que l’on défend", déclare la seconde, qui lui reprochait "son manque de délicatesse, son manque de sobriété, son manque de modération et de courtoisie à l’égard de confrères". "[Nous] ne sommes plus considérées comme des avocates, mais comme de pauvres femmes", avait quant à elle estimé M. Tomasini.

Il est violent ; comme tous les hommes qui approchent les femmes que l’on défend.

Me Tomasini déclare ne pas avoir porté plainte à l'époque des faits, car elle s'apprêtait à représenter Valérie Bacot, jugée pour avoir tuée son mari violent, quelques mois plus tard. "Pour ma cliente et pour l’audience, je ne voulais pas que mon dépôt de plainte vienne altérer la défense des intérêts de mes clientes", défend-elle auprès du Huffpost. Valérie Bacot a finalement été laissée libre.

"Chantage"

Eric Dupond-Moretti a nié les accusations de violences psychologiques et menaces, accusant à son tour M. Tomasini de "chantage" et "d'instrumentalisation politique" alors que le dispositif du bracelet anti-rapprochement fête bientôt ses 1 an, avait déclaré son entourage auprès du Huffpost

L'actuel ministre de la Justice a affirmé que l'avocate a tenté de lui proposer son silence contre une place dans des commissions. En mars 2020, il avait saisi l'ordre des avocats après les déclarations de Me Tomasini sur RTL.

Ce n'est pas la première fois que le comportement d'Eric Dupond-Moretti pose question dans le cadre d'un procès. Durant l'affaire George Tron, qu'il défendait, il avait mené des plaidoiries jugées violentes et sexistes, qui avaient beaucoup choqué.