La cérémonie des César 2021 aura eu beau être un four en terme d'audimat, c'est une image qui n'aura échappé à personne. Ce 12 mars, l'actrice Corinne Masiero, venue remettre le prix des meilleurs costumes lors de l'événement à l'Olympia, est apparue sur scène vêtue d'un costume de Peau d'âne ensanglanté. En direct, elle se dévêtit alors, laissant apparaître un message inscrit sur son corps : "No culture, no future. Rend l'art Jean !".

Un coup d'éclat à visée politique, dénonçant la situation des intermittents du spectacle, victimes de la pandémie de Covid-19, qui a déclenché des vagues de commentaires misogynes et offusqués de voir une femme de 57 ans dans le plus simple appareil. Mercredi 17 mars, dix parlementaires de droite ont même saisi le procureur de la République de Paris, taxant la prestation de l'actrice d'"exhibition sexuelle". Un signalement finalement classé sans suite par le procureur de Paris, Rémy Heitz le 22 mars, a indiqué l'AFP, relayé par L'Obs.

"La liberté d’expression ne saurait tout justifier"

Ces élus des Républicains, membres du collectif Oser la France, avaient annoncé avoir saisi le procureur de la République de Paris pour signaler "une exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public". Ils pointent du doigt, dans une formule aussi peu drôle que sexiste "une erreur de Canal+ qui a avancé en phase non cryptée le journal du Hard". 

Dans leur lettre adressée au procureur et diffusée sur les réseaux sociaux, le groupe de parlementaires porté par le député LR du Vaucluse Julien Aubert, écrivait : "Il est vrai que la liberté d’expression autorise une certaine forme d’expression corporelle dès lors qu’elle s’inscrit dans une démarche de contestation politique. Pourtant, la liberté d’expression ne saurait tout justifier."

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Ainsi, ces élus, majoritairement des hommes -huit hommes, deux femmes, ndlr- qualifient l'apparition de Corinne Masiero de "démonstration déroutante", et rappellent au procureur que le délit d'exhibition sexuelle est puni "d'un an et de 15 000 euros d'amende". Les publicitaires qui nous abreuvent de clichés de corps de femmes dénudés et photoshoppés à longueur d'année apprécieront.

Un homme nu aux Molières : circulez, y a rien à voir

Corinne Masiero n'est pourtant pas la première personne à intervenir nue sur scène pour interpeller le gouvernement. En 2015, lors de la Nuit des Molières, c'est le comédien Sébastien Thierry qui était apparu nu, lors de la soirée diffusée en direct sur France 2. Face à la ministre de la Culture de l'époque, Fleur Pellerin, il s'était longuement exprimé sur scène sur le statut des auteurs et la réforme de l'assurance-chômage, face à une salle hilare. 

À cette époque, son intervention n'avait pas suscité un dixième des commentaires tour à tour graveleux ou faussement scandalisés dont a écopé Corinne Masiero. Les articles de presse faisaient plutôt état du "malaise de Fleur Pellerin face à cet homme tout nu", écrivait Midi Libre. "Mais qui est l'homme nu qui a fait sensation aux Molières ?"s'interrogeait à son tour  Le Figaro. Pas de cris d'orfraie, pas de dénonciation "d'exhibition sexuelle". Passée la surprise, c'est même le geste qu'on comprenait face à la situation dénoncée par cet homme. Après tout, dans certains cas, la fin justifie les moyens, non ?

À qui appartient le corps des femmes ?

Alors que le député LR Eric Ciotti se défend sur Twitter de préférer "le monde d'avant", le collectif féministe Les effronté·es répond : "La nudité militante de Corinne Masiero n'a pas manqué de faire réagir les réacs qui pensent que le monde tourne autour de leur nombril et doit complaire à leur regard masculin (male gaze)." @ECiotti, dans le nouveau monde, on se passe de votre avis avec une franche décomplexion.

À gauche, les soutiens à Corinne Masiero n'ont pas manqué. La députée LFI Mathilde Panot remercie son geste. L'économiste Julia Cagé "salue le courage de Corinne Masiero".

Invitée de l'émission C ce soir, sur France 5, le 16 mars, la dessinatrice de bande dessinée Pénélope Bagieu a fait le parallèle entre la scène des Molières de 2015 et celle des César 2021 : "Bizarrement quand c’est un homme c’est transgressif et quand c’est une femme c’est la révolte mais pas dans le bon sens (...) Ce n'est pas un corps qui est fait pour être désiré, alors là, on n'en veut plus, on ne plus voir cela".

La cofondatrice de la revue des révolutions féministes, La Déferlante, Marion Pillas s'interroge aussi : "Bizarrement, assez peu de plaintes quand à quelques années d'intervalle un homme faisait la même chose. D'où cette question : à qui appartient le corps des femmes?"

Corinne Masiero "contente de l'avoir fait"

Deux jours après la cérémonie des César, l'interprète de Capitaine Marleau a expliqué au Parisien que personne, ni même la maîtresse de cérémonie Marina Foïs n'était au courant de sa performance. Membre d'un collectif d'intermittents du spectacle du Nord et du Pas-de-Calais, elle insiste sur "des actions que les gens retiennent". 

"J'ai préparé mon texte modifié et avec l'aide de deux costumières qui m'ont aidée à écrire des phrases sur mon dos, j'ai attendu le dernier moment", a-t-elle expliqué. "Quand on défend des valeurs, il y a le risque, que ce soit au cinéma, au théâtre ou dans une usine occupée, de perdre son emploi, d'avoir tout le monde à dos. Il ne faut pas trop y penser pour agir. Je suis contente de l'avoir fait", a-t-elle poursuivi.

La ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a elle estimé sur RTLle 16 mars ,que "le côté meeting politique de cette affaire (la cérémonie, ndlr) a nui à l'image du cinéma français". "Si elle a des choses à dire, elle les dit en face, déjà. (...) Si vous voulez que je me mette à poil, invitez-moi, je viendrai bien volontiers. Ce n’est pas la première fois que je le fais, d’ailleurs", a réagi Corinne Masiero, en annonçant avoir reçu des messages de soutien du monde entier.