La plupart sont anonymes. D'autres, comme la journaliste Hélène Devynck, ont décidé de parler en leur nom. Toutes, au total huit femmes, assurent avoir subi des actes de violences sexuelles et de harcèlement de la part de l'ancien présentateur du JT de TF1, Patrick Poivre d'Arvor.

Selon Le Monde qui révèle ces témoignages, au moins trois femmes décrivent des faits qui s'apparentent à des viols. Les autres confient des faits d'agressions sexuelles et de harcèlement. Elles sont pour la plupart journalistes, précise le quotidien, et esquissent les contours d'un vrai système de domination qu'aurait mis en place un PPDA tout puissant au sein de la première chaîne. Questions intimes, appels tardifs, invitations déplacées... plusieurs témoignages d'anciens salariés dépeignent une certaine impunité du présentateur, sous le regard entendu de collègues.

"Est-ce que t'es en couple, est-ce t'es fidèle ?"

"C’était le roi à TF1"; "A toutes les filles de la rédaction, il demandait : 'est-ce que t’es en couple, est-ce que t’es fidèle ?'",raconte Hélène Devynck, 54 ans, au quotidien national. Entre 1991 et 1993, elle était l'assistante du journaliste télévisé. C'est à Neuilly (Hauts-de-Seine), au domicile de Patrick Poivre d'Arvor, que la journaliste se souvient avoir eu un rapport sexuel non désiré avec ce dernier, sur fond d'abus de pouvoir.

"J’ai cédé. Mais j’ai serré les dents, et étouffé mes larmes. C’était vraiment humiliant. Je n’avais pas le choix, sinon je ne travaillais plus. Quand j’ai voulu que notre collaboration s’arrête, il a été vexé et cruel, et est allé dire à toute la rédaction que j’étais nulle.", confie-t-elle aujourd'hui.

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PPDA visé par une enquête

Mi février 2021, le journaliste de 73 ans était accusé de viol par l'autrice Florence Porcel. La jeune femme de 37 ans, qui explique avoir été sous emprise psychologique, accuse PPDA de l'avoir violée en 2004 et 2009. Elle avait alors 19 ans et était étudiante à la Sorbonne.

L'ancien journaliste, lui, a nié en bloc, invoquant des attaques "fantaisistes" auprès du Parisien. Invité sur la plateau de Quotidien (TMC) le 3 mars dernier, il a persisté devant des millions de téléspectateurs : "elle ne risquait pas de l'être [violée, ndr], puisqu'il n'y a pas eu de rapport".

Après ses révélations, une enquête préliminaire pour viols a été ouverte par le parquet de Paris et confiée à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) de la police judiciaire parisienne. C'est dans le cadre de cette enquête que de nouvelles victimes ont été auditionnées par la police.

Il s’est levé brusquement, m’a enlacée par surprise, m’a embrassée, m’a renversée sur sa grande table, a glissé une main dans mon soutien-gorge puis l’autre dans ma culotte 

L'une des accusatrices, sous le pseudonyme Chloé, raconte par exemple avoir été brutalisée et pénétrée de force par Patrick Poivre d'Arvor, après qu'il l'ait convoquée dans son bureau. Les faits se seraient déroulés en 2003, se rappelle-t-elle dans Le Monde : "Il s’est levé brusquement, m’a enlacée par surprise, m’a embrassée, m’a renversée sur sa grande table, a glissé une main dans mon soutien-gorge puis l’autre dans ma culotte avant de l’introduire dans mon sexe pendant de longues minutes. J’ai essayé de me débattre doucement et de me dégager en murmurant que je ne voulais pas, que j’avais un petit ami, mais j’étais pétrifiée et je n’ai pas osé le repousser vigoureusement."

"Tout le monde savait"

Même scénario pour Joséphine, anonyme, enfermée dans le bureau de Patrick Poivre d'Arvor. "D’un coup, il me saute dessus, et plante sa langue tout au fond de ma bouche. Il dégrafe aussi mon soutien-gorge. Je lui demande au moins trois ou quatre fois d’arrêter, je lui dis que je ne veux pas, que je n’ai pas envie.", raconte-t-elle au Monde. Elle a réussi à s'enfuir.

Une autre anonyme, Nathalie, était elle aussi étudiante à l'époque. Conviée par PPDA à assister au 20h d'Antenne 2, elle s'y rend "honorée". Après le journal télévisé, raconte-t-elle au Monde, elle est invitée dans le bureau du présentateur. Et là, "il [l']embrasse, [la] déshabille, il y a un rapport sexuel". Encore une fois, l'acte n'est pas désiré par la jeune femme qui explique qu'elle se trouvait dans un état "de sidération".

Comme à Chloé, il a fallu des années à Nathalie pour se rendre compte de la gravité des faits qu'elles disent avoir subi. Des décennies de déni et de peur de parler. Pour cette dernière, porter plainte était impensable. D'après d'anciens salariés de TF1 contactés par Le Monde, "tout le monde savait". Mais selon les témoignages, une culture du viol semblait régner, ancrée dans l'entreprise. Par ailleurs, les victimes étaient souvent jeunes, faisant tout juste leur entrée dans le milieu.

Toujours au quotidien national, un "ancien ponte de TF1" décrit un Patrick Poivre d'Arvor "Dom Juan, un séducteur invétéré", estimant de fait qu'il "n'a jamais eu besoin d’avoir recours à la violence, en réalité."

Les proches de PPDA à la rescousse 

Plusieurs femmes, proches du présentateur star de la télévision française, se sont exprimées pour le défendre. Sa fille Morgane Poivre d'Arvor, avocate, assure qu'"aucun membre de [sa] famille n’a jamais été témoin d’un quelconque acte de violence ou déplacé", dans un mail envoyé au Monde.

Au même quotidien, sa secrétaire de longue date, Marie-Hélène Mille, tient un discours similaire : "Cela fait maintenant trente-deux ans que je travaille avec Patrick Poivre d’Arvor, tous les jours, dans le bureau voisin, la porte le plus souvent ouverte. Jamais je n’ai été victime ni témoin des comportements que certaines lui prêtent aujourd’hui."

Pour autant, les actes dénoncés dans Le Monde ne se limitent pas aux murs des chaînes pour lesquelles Patrick Poivre d'Arvor travaillait. Journaliste pour la revue politique Charles, Clémence de Blasi, aurait elle-même été harcelée par le présentateur, à la suite d'une interview. Comme d'autres, elle a récemment témoigné en son nom sur Twitter.

Rapidement après les accusations de Florence Porcel, le journaliste a déclaré vouloir porter plainte pour dénonciation calomnieuse et diffamation. Selon son avocate, celles-ci étaient encore en cours de rédaction ce 15 mars.