Les Françaises font attention, mais elles ne se privent pas de dessert, encore moins de vin. Elles savent profiter des bonnes choses de la vie.

Est-ce parce qu’elle a commencé à 12 ans, dans Léon de Luc Besson ? Quelque chose semble étrange lorsque Natalie Portman apparaît. Étrange, le hiatus entre son jeune âge, 35 ans, et l’impression de l’avoir toujours connue, sans que l’on sache bien ce que signifie cette fuite du temps.

Le visage en tout cas ne bouge pas, d’une finesse et d’une délicatesse extraordinaires, comme s’il avait été modelé par quelques divinités sculptrices. Natalie Portman a la réputation d’être cadenassée, verrouillée « à l’américaine », prétendent certains journalistes partis en interview comme en mission quasi impossible, et revenus frustrés.

Vrai et faux. Il est sans doute nécessaire d’amadouer cette âme sensible prête à se recroqueviller au premier faux pas que l’on pourrait commettre, mais lorsque l’on y arrive jaillissent des fulgurances, des envies de tout lâcher, par bribes bien sûr, entre les lignes si vous voulez...

Comme tout cela est complexe, comme l’est son regard habillé de gaieté, peut-être un peu forcée. Il y passe parfois un voile sombre de mélancolie et de tristesse. Des yeux qui se perdent en l’intérieur d’elle-même pour dialoguer avec ses fantômes, ses démons et ses secrets.

La voici lovée dans le canapé, emmitouflée dans une robe de fine laine noire laissant deviner sa grossesse. Menue, souriante, aimable, quoi qu’il ne soit pas nécessaire d’avoir son diplôme de médium pour la sentir contrainte de se livrer à l’exercice de la rencontre.

natalie portman enceinte

Piovanotto Marco/ABACA

Avoir un frère ou une sœur a toujours été un rêve. C’était donc plutôt drôle de pouvoir le vivre au cinéma.

Vidéo du jour

Mais Natalie Portman est là pour défendre les couleurs de Planétarium, le nouveau film de son amie Rebecca Zlotowski. L’histoire de deux sœurs spirites, dans ce Paris des années 30 glissant peu à peu dans l’obscurité du fascisme et de l’abjection.

rebeca zlotowski natalie portman lily-rose depp

Behar Anthony/DDP USA/ABACA

L’actrice américano- israélienne est concentrée, répondant parfois brièvement, parfois plus longuement… et parfois pas du tout, lorsque la publicist oppose un veto brutal.

Ainsi, de sa famille (le chorégraphe Benjamin Millepied et leur fils, Aleph) il ne sera pas trop question, comme si une femme célèbre se devait d’être désincarnée en une créature sans substance intime. Ce que nous nous refusons toujours d’admettre.

Marie Claire : Comment avez-vous rencontré Rebecca Zlotowski ?

Natalie Portman : Il y a huit ans, par des amis communs, et depuis nous n’avons cessé de nous rapprocher l’une de l’autre. C’était d’autant plus exceptionnel pour moi de travailler avec quelqu’un que je connais bien et en qui j’ai entièrement confiance.

Le fait qu’elle soit une femme a-t-il pesé dans votre décision de faire ce fi lm? Pas du tout, alors que c’est mon premier long métrage réalisé par une femme. C’est très étrange qu’en vingt-cinq ans de carrière je n’aie jamais eu cette occasion. C’est juste une preuve de plus qu’aux Etats-Unis les réalisatrices n’ont pas autant de chance de tourner que leurs homologues masculins.

Pourquoi ?

Un réalisateur doit être capable de dire ce qu’il veut, et on se doit de l’écouter. Aux Etats-Unis, les femmes ne sont pas censées être dans cette position dominante. Autre raison : en France, le cinéma est en partie financé par des subventions publiques ; chez nous, tous les financements sont privés.

Lorsqu’il y a des subventions publiques en jeu, même s’il n’existe pas de quotas officiels, chacun fait des efforts pour donner davantage de travail aux femmes.

Étiez-vous intéressée par l’occultisme et le spiritisme avant de vous impliquer dans ce projet ?

Oui, j’ai toujours été fascinée par les sœurs Woodhull. Elles ont vécu au XIXème siècle et ont charmé l’époque avec leur capacité, affirmaient-elles, à communiquer avec les morts. Victoria Woodhull a été la première Américaine à se présenter à l’élection présidentielle. Elle a obtenu énormément de soutiens, parce que les gens croyaient en ses pouvoirs de spirite.

Une partie de votre famille a disparu dans l’Holocauste. Aimeriez-vous croire qu’il soit possible de communiquer avec eux ?

La plupart des gens aimeraient avoir un contact avec des personnes de leur famille qu’ils ont perdues. Et cela vient évidemment du désir d’en savoir plus sur soi-même, sur toute une partie de nous-mêmes à laquelle nous n’avons plus accès. Je ne crois pas que ce soit spécifique à mon histoire familiale.

Vous avez grandi comme enfant unique. Cela a-t-il influé votre manière de jouer un rôle de sœur ?


Avoir un frère ou une sœur a toujours été un rêve. C’était donc plutôt drôle de pouvoir le vivre au cinéma ! Et Lili-Rose (Depp, ndlr) est tellement adorable qu’il est très facile d’éprouver beaucoup d’affection pour elle. Évidemment, dans la réalité, nous avons vingt ans de différence d’âge. Mais c’est la magie du cinéma ! (Rires.)

natalie portman et lily rose depp  

Marechal Aurore/ABACA

Vous avez, paraît-il, beaucoup œuvré pour qu’elle obtienne le rôle.

Je ne me serais jamais permis d’imposer quiconque.J’avais juste vu une photo d’elle, et je savais qu’elle était bilingue, ce qui était un des critères de sélection pour Rebecca. Nous avons le même teint de peau et il était plausible que nous soyons de la même famille à l’écran. J’ai suggéré à Rebecca de la rencontrer. Elle lui a fait passer une audition et l’a engagée sur-le-champ.

Dans une interview, vous regrettez qu’on vous assomme de questions sur le Proche-Orient au lieu d’aborder la couleur de votre robe. Cela vous embête à ce point d’être considérée comme une actrice intello ?

(Rires.) Non, mais je trouve très compliqué de parler politique dans le contexte du lancement d’un film. Exprimer clairement son opinion requiert un esprit de nuances qu’on retrouve peu, après, dans les médias ou sur Internet. On ne va garder qu’une seule ligne de tout ce que j’ai dit, et ensuite tout le monde s’énerve autour de ça. Parfois il est plus facile de parler de choses superficielles.

Vous avez soutenu jusqu’au bout la candidature de Hillary Clinton. Qu’aimez-vous en elle ?

Elle est extrêmement qualifiée pour le poste de présidente. C’est une femme forte et très intelligente, qui possède énormément d’expérience. Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises, et j’ai toujours été impressionnée par la vivacité de son esprit. Elle connaît tous ses dossiers sur le bout des doigts.

Vous êtes très impliquée dans Free The Children et dans l’ONG de microcrédit Finca. Pourquoi ces deux choix, précisément ? 

Un des moyens les plus efficaces pour résoudre beaucoup de problèmes dans le monde, c’est d’investir dans l’avenir des jeunes filles et des femmes. Nous savons que lorsque nous améliorons la condition féminine, beaucoup de problèmes associés à la pauvreté s’améliorent aussi. Toute la communauté en profite : meilleures conditions d’habitations, de santé, etc.

Les jeunes filles qui sont éduquées auront moins d’enfants que leurs mères, ce qui est bénéfique pour les problèmes de surpopulation, qui eux-mêmes entraînent des problèmes
environnementaux.

 natalie portman

Stefaniak Zenon/LFI/ABACA

J’ai lu que vous ne lisez jamais ce qu’on écrit sur vous. Pourquoi ?

Cela m’affecte trop. C’est sans doute un manque de chance, mais chaque fois que j’ai lu quelque chose me concernant, c’était méchant. Je ne trouve pas que ça me fasse progresser et me rende meilleure. Ça ne fait que m’angoisser.

Avez-vous une icône de style ?

Sofia Coppola. C’est quelqu’un que j’ai beaucoup fréquenté lorsque j’avais 16 ans, en plein dans la période où je commençais à me construire. Sofi a a un style toujours très simple mais chic. Et elle
est très intelligente.

Vous êtes l’égérie du nouveau Rouge Dior. Y a-t-il des femmes Dior qui vous ont marquée ?

Oui, bien sûr : je me souviens très bien de photos, découvertes toute jeune, de Marilyn Monroe et de Grace Kelly portant du Dior. Iconiques !

Simone de Beauvoir affirmait que «la beauté se raconte encore moins que le bonheur». Qu’en pensez-vous ?

Cette phrase est belle, mais est-elle si vraie ? Je dirai que la beauté peut se raconter mais est très difficile à définir, ce qui n’est pas la même chose. Elle englobe tout ce qui vous émeut d’une manière qui ne peut s’exprimer par des mots, qu’il s’agisse d’une idée ou d’une émotion.

Les Françaises ont une sexualité forte qu’elles assument. On trouve normal qu’elles aient du plaisir.

Vous avez récemment déclaré que la sexualité des Françaises est beaucoup plus libre que celle des Américaines. Que voulez-vous dire exactement par là ?

En France, on trouve normal que les femmes éprouvent du désir et qu’elles aient du plaisir. Ça fait aussi partie de l’identité de la femme. Et c’est pareil pour la nourriture, tous sexes confondus. Les Françaises font attention, mais elles ne se privent pas de fromage ni de dessert, encore moins de vin. Elles savent profiter des bonnes choses de la vie !

Les Françaises parlent-elles plus librement de sexe que les Américaines ?

Oui, bien sûr, c’est une évidence, parce que chez vous, être sexuelle fait partie de la féminité. Les mères continuent de chercher à être sexy, alors qu’aux Etats-Unis, très souvent, une femme avec des enfants abdique sur beaucoup de plans. La femme française est une femme avec une sexualité forte et qui l’assume.

Sexy, peut-être, mais pas souriante et pas aimable ; et cela vaut pour les hommes aussi: vous ne nous avez pas ratés, à la télévision américaine…

Cette phrase a été sortie du contexte, et cela m’a beaucoup contrariée. J’ai adoré vivre à Paris, j’y ai rencontré des gens qui font désormais partie de mes meilleurs amis. Mais la différence, c’est qu’aux Etats-Unis un inconnu peut engager la conversation avec vous dans un ascenseur, ce qui ne sera pas très souvent le cas ici.

Ce ne sont pas des généralités ?

Sans doute un peu, mais nous avons vraiment deux cultures différentes, ce qui ne signifie pas que l’une soit meilleure que l’autre. Je trouve les Parisiens très chaleureux, mais plus réservés au premier
abord. Une fois que cette barrière est franchie, on peut devenir de très bons amis ! J’ai moi aussi entendu des Français me dire que nous sommes bizarres. Après tout, on se sent chez soi là où on a le plus ses habitudes.

Votre parenthèse parisienne est-elle un échec pour votre famille et vous-même ?

Pas du tout ! Cela a été une fantastique aventure. Et puis, vous savez, nous sommes souvent en France. Ma belle-famille y vit et j’y conserve beaucoup d’amis. Et j’aimerais aussi tourner davantage
ici. Finalement, cela ne change pas grand-chose.

Vous vous rendiez souvent à l’Opéra, pendant les répétitions dirigées par votre mari. Est-ce important, à vos yeux, de partager des instants de la vie professionnelle de la personne aimée ?

Bien sûr. Et puis je me sens extrêmement chanceuse de vivre aux côtés d’un homme exerçant un métier aussi passionnant. C’est un tel privilège de pouvoir assister aux répétitions. Pouvoir regarder
ces danseurs travailler, c’est comme un conte de fées. Ils sont incroyables.

Regrettez-vous parfois de ne pas avoir choisi la voie de la danse ?

Non, car je ne possédais pas les qualités nécessaires pour devenir une danseuse professionnelle. Pensez-vous bien vous connaître? On n’arrête jamais d’en apprendre sur soi.

Pensez-vous bien vous connaître ?

On n’arrête jamais d’en apprendre sur soi.