Centre hospitalier régional et universitaire de Nancy, unité ACT N’PSY, 11 heures, juin 2024. Wilfried Agaty, 46 ans, est installé dans le bureau de Laure Barreault, psychologue clinicienne. Récemment, l’attitude décomposée d’une infirmière en voyant son état l’a particulièrement affecté. « Je suis un chat noir, je les accumule, confie-t-il dans un phrasé haché. J’en ai ras le bol de cette saloperie. » Outre des troubles de la parole, il a perdu l’usage de ses jambes et de ses mains. La séance d’EMDR (eye movement desensitization and reprocessing, une thérapie par mouvements oculaires) démarre : ses yeux suivent la lumière verte qui court de droite à gauche de la lampe. Laure Barreault interrompt la lumière et lui enjoint de prendre une grande inspiration avant de s’enquérir de ses sensations corporelles.
![L’entrée de l’unité ACT N’PSY au Centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Nancy, le 28 juin 2024.]( https://img.lemde.fr/2024/06/28/0/0/3992/5976/630/0/75/0/dfe452e_1719585709463-g-hopital-nancy-neuro-sciences-hd-juin-24-000.jpg 1x, https://img.lemde.fr/2024/06/28/0/0/3992/5976/1260/0/45/0/dfe452e_1719585709463-g-hopital-nancy-neuro-sciences-hd-juin-24-000.jpg 2x)
L’opération est renouvelée plusieurs fois, et, au fur et à mesure, la parole de Wilfried se libère : « La réaction de l’infirmière n’était pas adaptée. » Parfois, lorsqu’il se contracte douloureusement dans son fauteuil électrique, les yeux rivés sur la lumière mouvante, la voix de la thérapeute surgit : « Je vous accompagne, je suis là. C’est très bien ce que vous faites. » Puis Wilfried déclare que la douleur dans sa main droite diminue avant de la remuer lentement. Soudain, et pour la première fois depuis son arrivée, sa voix est tout à fait nette : « Je vous vois me sortir de cette scène qui est difficile pour moi… » Lui-même semble surpris. Puis la voix décline à nouveau, et la diction hachée reprend : « … en me tenant la main ». La séance a duré presque quarante-cinq minutes. Lorsque nous le contactons deux jours plus tard, la voix est parfaitement claire, et sa main droite est toujours fonctionnelle.
L’unité ACT N’PSY, montée en 2023, est l’une des rares en France à être consacrée à la prise en charge des troubles neurologiques fonctionnels (TNF), la pathologie dont souffre Wilfried Agaty. Paralysie d’un membre, troubles de la parole ou de la déglutition, mouvements anormaux – on parle de troubles fonctionnels moteurs –, vertiges, perte d’un sens – troubles fonctionnels sensoriels –, ou encore tremblements, convulsions, perte de conscience – crise fonctionnelle dissociative (CFD)… Les manifestations des TNF, très diverses, peuvent être isolées ou combinées.
« C’est une pathologie réelle »
Méconnus, ils constituent pourtant le deuxième motif de consultation en neurologie – avec une incidence variant de 5 à 12 pour 100 000, selon les méthodes d’étude – , et sont plus ou moins aussi fréquents que la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson. Par ailleurs, une partie des manifestations neurologiques liées à la pandémie (Covid long ou postvaccinales) correspondent en réalité à des TNF, selon un article de L’Encéphale de 2023, augmentant ainsi la fréquence du trouble.
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