Ici, au Moyen Age, bruissait une foule de commerçants venus d’Europe et même de Byzance. C’est sans doute de cette grande foire du Lendit, qui se tenait autour de l’église Saint-Denys-de-la-Chapelle, que vient le nom « Marcadet » (dérivé du latin mercatus, « commerce »). En 1860, la commune de La Chapelle est rattachée à Paris ; la rue Marcadet, trois ans plus tard. Aujourd’hui, lorsqu’on y déambule, cette artère du 18e arrondissement, longue de plus de 2 kilomètres, donne l’impression d’être née au cœur de la Goutte-d’Or. Comme si, de ce quartier de Paris intense, cosmopolite, populaire, elle puisait sa source originelle. L’ambiance des premiers numéros rappelle les rues Ordener, Doudeauville ou Myrha, parallèles voisines. Boutiques de bijoux et de tissus africains, bars et restaurants ethniques s’y entremêlent.
Au 22, une façade de mosaïque vert cru attire le regard. Cette devanture graphique, qui est celle du centre de santé Marcadet, raconte l’histoire d’un couple de femmes résistantes. Durant la seconde guerre mondiale, l’assistante sociale Suzanne Leclézio (1898-1987) et sa compagne artiste Yvonne Ziegler (1902-1988) y cachent de nombreux enfants juifs pour les sauver des rafles nazies. Dénoncée puis déportée, Suzanne Leclézio continue de diriger, après la guerre, ce qui était à l’époque le centre d’hygiène sociale des chemins de fer du Nord, cédés, dans les années 1930, à la SNCF.
Non loin de là, au n° 62, une devanture rappelle une autre histoire de solidarité. Les vitres sont badigeonnées de peinture blanche, les occupants ont déménagé à Saint-Denis, mais l’enseigne, elle, tient bon. En lettres bleues s’écrit le nom de l’ancien propriétaire des lieux, Médecins du monde. Ce grand bâtiment de la rue Marcadet fut, de 1995 à 2021, le siège historique de l’association humanitaire. Et peut-être que si l’on grattait encore, à ce même numéro, derrière la peinture et les plâtres, on trouverait trace d’une autre vie passée : celle des Galeries Barbès, mythique magasin de meubles fondé en 1895 par Jules Gross (1874-1940), qui ferma dans les années 1980.
Traverser le boulevard Barbès est sans conteste une première frontière. Juste après, la rue Marcadet change progressivement de visage, son rythme ralentit, sa circulation aussi. Dès lors, la remonter, c’est gravir la butte Montmartre par son versant nord et hausser les sourcils, voire écarquiller les yeux, à chaque croisement, tant les voies obliques, grandes ou petites, qui la traversent sont emblématiques du 18e arrondissement.
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