Il faut près d’une heure de voiture depuis Palma pour atteindre cette péninsule, au nord-est de Majorque. Après avoir traversé le village médiéval d’Artà dominé par le sanctuaire Sant Salvador, vestige d’une citadelle mauresque, il faut encore emprunter une route étroite qui progresse vers le parc naturel du Llevant, une enclave protégée à l’écart du tumulte de l’île la plus peuplée des Baléares. Le portail passé, on se gare sur le parking avant de parcourir le dernier kilomètre dans une voiturette électrique qui nous mène à l’entrée, où un figuier centenaire laisse planer un parfum de fruits mûrs. Bienvenue à Es Racó…
Imaginé pendant près de dix ans par l’architecte Antoni Esteva – l’un des plus renommés de Majorque – et son complice, le maître d’œuvre Jaume Danús, le projet est plus qu’un énième hôtel sur un territoire qui en compte déjà des centaines. C’est « un autoportrait », énonce l’architecte.
A peine la porte d’entrée franchie, le ton est donné. Une enfilade de pièces aux murs chaulés et au sol en micro-ciment déploient une sobriété monacale faisant cohabiter œuvres d’art et matériaux bruts. A droite, le long de l’escalier menant aux chambres de la bâtisse principale, une sculpture de l’artiste japonais Hiroshi Kitamura combine un billot de bois et une branche noueuse se hissant vers le ciel.
![L’un des petits salons de l’hôtel, agrémenté d’une œuvre de l’artiste Nicholas Wood.]( https://img.lemde.fr/2024/05/29/0/0/1071/1500/630/0/75/0/1691ada_336979-3375004.jpg 1x, https://img.lemde.fr/2024/05/29/0/0/1071/1500/1260/0/45/0/1691ada_336979-3375004.jpg 2x)
![Deux sphères en céramique de Jaume Roig, surmontées d’une toile d’Antoni Esteva. A Majorque, le 24 septembre 2023.]( https://img.lemde.fr/2024/05/29/0/0/1005/1500/630/0/75/0/2abf1ef_336978-3375004.jpg 1x, https://img.lemde.fr/2024/05/29/0/0/1005/1500/1260/0/45/0/2abf1ef_336978-3375004.jpg 2x)
Sur la gauche, trois sphères irrégulières du céramiste majorquin Jaume Roig semblent être là depuis toujours. Puis, en avançant, une robuste planche en bois posée sur un piètement en pierre fait office de réception, derrière laquelle s’affairent deux jeunes femmes aux tuniques en lin crème et aux sourires avenants. Les murs épais de l’ancienne demeure agricole ont été conservés, mais des baies vitrées offrent désormais des percées sur les champs d’oliviers et les collines étirant leur profil rocailleux à l’horizon.
Retour dans les années 1960. Natifs de deux villages voisins, les jeunes Antoni et Jaume viennent s’aventurer dans cette nature vierge pour y faire du vélo et y cueillir des champignons. Foulée dès le XIIIe siècle par les Maures, qui baptisent le domaine Beni Axir – aujourd’hui, le nom du restaurant de l’hôtel –, cette finca de 185 hectares est passée de famille en famille jusqu’à son abandon, comme nombre de fermes, lorsque Majorque a cédé aux sirènes du tourisme de masse et de ses formules all inclusive. Aussi, quand, près d’un demi-siècle plus tard, le domaine s’offre à la vente, les deux amis d’enfance saisissent l’opportunité de ressusciter l’éden qu’ils ont connu.
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