A perte de vue, des chaos rocheux amassés à ne plus savoir où regarder. La forêt de Fontainebleau, dans le sud de la région parisienne, est encore pleine d’humidité des ondées matinales, mais un léger soleil perce déjà à travers le feuillage des grands chênes. Noémie Goudal grimpe sur le sentier de la Cavalière des Brigands, dépassant une à une de grosses pierres en direction du célèbre site des gorges d’Apremont. Dans son ascension, la photographe et plasticienne se faufile dans de fines crevasses entre les roches qui laissent tout juste passer une silhouette humaine. On dirait que la peau de ces cailloux monumentaux est fracturée, ciselée telle une écaille. D’autres sont en partie recouvertes de mousse. Non loin, de jeunes grimpeurs pratiquent l’escalade.
Ces roches, plantées au beau milieu des chênes tortueux dont certains ont pris racine directement sur la pierre, sont une des singularités des paysages de ce massif forestier de 25 000 hectares : « Elles nous racontent surtout une très longue histoire, souligne d’emblée Noémie Goudal, inspirée par le passé géologique du lieu. Encore plus que les vieux arbres multicentenaires, ces roches de grès nous plongent, elles, des millions d’années en arrière. »
Jusqu’à il y a une trentaine de millions d’années, à l’époque de l’oligocène, il y avait ici une mer. Elle était là, posée, au cœur du bien nommé Bassin parisien depuis des centaines de millions d’années. Les roches sont le produit du sable très pur, composé à 95 % de silice, que l’on retrouve dans la forêt, vestige de cette mer dite « stampienne » qui a fini par se retirer. Plus tard, sous le coup de l’érosion provoquée par la pluie, les intempéries et les variations d’eau de la nappe phréatique, le sable s’est peu à peu soudé par endroits, modelant encore ce site déroutant.
![Noémie Goudal, finaliste du prix Marcel Duchamp 2024, dans la forêt de Fontainebleau, le 24 mai 2024.]( https://img.lemde.fr/2024/05/23/0/0/3648/4864/630/0/75/0/0c941bf_1716456134791-lemonde-noei-miegoudal-arthur-mercier-hd-002.jpg 1x, https://img.lemde.fr/2024/05/23/0/0/3648/4864/1260/0/45/0/0c941bf_1716456134791-lemonde-noei-miegoudal-arthur-mercier-hd-002.jpg 2x)
Ce paysage pierreux ramène Noémie Goudal à l’univers de la paléoclimatologie, qu’elle affectionne dans son travail artistique. Pour faire naître ses créations visuelles, mêlant photos, vidéos et installations, la plasticienne tout juste quadragénaire se documente longuement, consulte les travaux des scientifiques et des penseurs, pour traduire artistiquement ce temps profond de la Terre, bien avant l’apparition de l’homme. Elle compose ainsi des paysages intenses, parfois luxuriants, souvent non localisés, qui font appel à notre mémoire collective. Le regard se perd dans ces panoramas remplis de couches visuelles, entre travail photographique, collages ou montages, certains apparents, pour donner corps à un art du trompe-l’œil très maîtrisé.
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