« Vous plongez le bras gauche, de profil, vous faites glisser l’épaule, la tête devrait passer, puis vous la tournez à droite et vous verrez les gravures. » Si l’on ne craint pas de rester coincé dans ce trou de 30 centimètres de diamètre et si l’on suit les conseils de Michel Rey, membre du Groupe d’études, de recherches et de sauvegarde de l’art rupestre (Gersar), le regard tombe, en effet, droit sur ces œuvres. Plusieurs sillons et quadrillages, longs de quelques dizaines de centimètres, sont tracés sur les parois courbes et blanches de cette minuscule cavité de grès qui semble un écrin et rend la rencontre d’autant plus émouvante.
Les yeux profanes y voient des jeux de mioches et se demandent comment l’enfant, perdu dans ces bois, quelque part entre l’Essonne et la Seine-et-Marne, a osé se faufiler ici pour s’inventer, au canif, des histoires de carte au trésor. Ceux du groupe d’archéologues réunis ce matin pour une journée d’étude de terrain contemplent les gestes opiniâtres des derniers chasseurs-cueilleurs, entre 20 000 et 7 000 avant Jésus-Christ.
Qui s’est donné la peine de graver minutieusement ces motifs géométriques dans cet endroit difficilement accessible ? Un enfant justement ? Une femme ou un homme particulièrement menu ? Un gaucher sans doute. Et, surtout, pour quoi faire ou quoi dire ? Car, dans ce chaos de pierres comme il y en a des dizaines de milliers dans le sud de l’Ile-de-France, les abris ornés, cachés dans les anfractuosités, se succèdent, parfois à quelques pas les uns des autres : sous un aplomb au ras du sol, où les humains ont sans doute dû ramper pour accomplir cette opération ; dans un creux étroit où il a fallu se lover ; dans l’espace exigu d’une faille entre les blocs, hors d’atteinte sans efforts.
« Ce sont des situations très contraintes. Ici, on n’est pas dans le gribouillis, ce n’est pas un geste machinal ; ils se sont contorsionnés pour venir graver. C’est très répétitif : on peut parler de rituel », résume Boris Valentin, préhistorien et directeur d’un programme collectif de recherche, qui passe plusieurs mois par an à étudier, archiver et valoriser cet art, rare, de la fin de la préhistoire.
Chaos de rochers
Le long des vallées de la Seine, du Loing, de l’Ecole et de l’Essonne, dans les massifs gréseux du parc naturel régional du Gâtinais français et de la forêt de Fontainebleau, entre Milly-la-Forêt, Fontainebleau et Nemours, plus de 2 700 abris ornés ont été recensés depuis les années 1970. Ils ont été dûment référencés auprès du service régional d’archéologie, en grande partie par les bénévoles du Gersar. Ces découvertes s’étendent sur un territoire de 1 800 kilomètres carrés, ce qui fait de cette zone l’un des plus importants sites européens d’art rupestre.
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