Au bord de l’eau : cinq « lacs d’auteur » pour se ressourcer

LA LISTE DE LA MATINALE

Les beaux jours sont une invitation à s’oxygéner sur les rives de lacs célébrés par des poètes et des écrivains. Des écrins de montagne qui promettent des déambulations rêveuses ou culturelles dans un cadre naturel grandiose.

Le Bourget et Lamartine, le temps suspendu

« Un soir, t’en souvient-il ? Nous voguions en silence (…)/ Beau lac, et dans l’aspect de tes riants coteaux/Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages (…). » Désespéré d’avoir perdu Julie Charles, rencontrée à Aix-les-Bains (Savoie) en 1816 où il l’a sauvée d’une noyade lacustre, Lamartine compose Le Lac un an plus tard, ode d’un homme amoureux à une femme absente. Souffrante, celle-ci ne viendra plus prendre les eaux…

La ville thermale a conservé son charme bourgeois du XIX^e siècle, héritage du temps où les cures attiraient le gotha européen. La reine Victoria d’Angleterre, le roi Georges I^er de Grèce ou « Sissi », l’impératrice d’Autriche, ont fait ses beaux jours, dont le casino (1849) et l’ancien Grand Hôtel (1853) gardent l’éclat.

Si le tourisme de soins et de santé reste fringant, celui de loisirs l’a rattrapé. Depuis l’Esplanade, longue promenade piétonne au bord de l’eau, on regarde voguer les voiliers et les bateaux de plaisance. On peut aussi tenter une virée routière de Brison-Saint-Innocent, aux airs de village du Sud, à Chindrieux, où trône, au bord de l’eau, la statue de Lamartine, sous le château de Châtillon. Des paysages à contempler également lors d’une croisière jusqu’à l’abbaye d’Hautecombe, sur le plus grand lac naturel de France. Austère et solitaire, le site, dernière demeure des souverains de Piémont-Sardaigne, fait écho à la mélancolie transie de Lamartine, pour qui, définitivement, « le temps [s]’échappe et fuit ».

Le lac Léman et Rousseau, confessions franco-suisses

L’écrivain vaudois Jacques Chessex l’avait écrit : « Ce lac ? Un encrier où tout le monde a trempé sa plume. » Outre Voltaire, Flaubert, Dumas, Hugo, il y a Rousseau, l’enfant du pays. Le musée qui lui est consacré dans sa maison natale rappelle les relations troubles que Genève entretint avec l’écrivain. A l’époque, la bourgeoisie genevoise veut protéger ses privilèges. Le philosophe des Lumières, lui, souhaite que le peuple s’émancipe.

En se baladant dans une ville cossue où l’immense Léman, frontalier de la France, se jette dans le Rhône, on empruntera le pont des Bergues pour rallier l’île… Rousseau. A l’entrée du fleuve, elle fut rebaptisée ainsi en 1835 quand Genève, repentante, y érigea une statue de l’écrivain, assis, plume en main, livre ouvert sur le genou.

Sur les traces de Rousseau, on passera à Bossey, au pied du mont Salève, où il fut pensionnaire (statue, place de l’Eglise). Avant de filer à Meillerie, en Haute-Savoie, après Thonon et Evian, sous les montagnes du Chablais. C’est dans ce village planté face au rivage suisse que Rousseau situe le cadre de Julie ou la Nouvelle Héloïse (1761).

Au lac Majeur, l’« Adieu » d’Hemingway

Long (66 kilomètres) et ondoyant ruban étiré entre Italie et Suisse, le lac Majeur, comme celui de Côme, est enchâssé dans un corridor de montagnes. Un décor alpin romanesque mis en scène par Ernest Hemingway. Blessé sur le front italien en 1918, l’écrivain américain vint en convalescence à Stresa, au Grand Hôtel des îles Borromées. Joyau du lac avec son palais du XVII^e siècle et son jardin botanique, le palace entretient la mémoire du romancier : le bar porte son nom tout comme la chambre qu’il occupa.

« Le Grand Hôtel des îles Borromées était ouvert. Je pris une bonne chambre. Elle était fort grande, et claire et donnait sur le lac. » Ainsi s’exprime Frédéric dans L’Adieu aux armes (1929), roman dans lequel Hemingway mêle sa propre histoire à celle de son héros, un soldat déserteur. Une partie du récit a pour cadre le Maggiore qui, au nord de Stresa, sur l’avenante rive ouest, dévoile villégiatures de luxe et jardins, palazzi et villages médiévaux.

On grimpera en téléphérique au Mottarone (1 491 mètres), pour embrasser le lac d’un seul regard. On s’arrêtera à Verbania pour visiter le splendide jardin de la Villa Taranto et ses 20 000 espèces de plantes. On dépassera le bourg moyenâgeux de Carmine Superiore puis celui de Cannobio et son beau sanctuaire Renaissance pour arriver en Suisse et rallier Ascona, ancien village de pêcheurs devenu station de charme. Avec une pensée pour Frédéric, le héros d’Hemingway, fuyant l’Italie en barque avec Catherine, son infirmière bien-aimée, et échoué après la frontière, à Brissago, « une petite ville d’un aspect fort joli [où] malgré la pluie, tout semblait propre et gai »…

La dame du loch Katrine, de Walter Scott

Si le loch Ness entretient la légende de son monstre, un autre lac écossais, plus petit, est entouré d’un halo populaire et littéraire : Katrine. Planté dans les montagnes arasées et souvent ennuagées du parc national du loch Lomond et des Trossachs (le plus grand d’Ecosse, terre de randonnées et de gastronomie), ce lac, à une heure trente de route au nord de Glasgow, a été célébré par plusieurs auteurs. Parmi eux, Sir Walter Scott, poète et écrivain écossais, auteur d’Ivanhoé (1819). Dans La Dame du lac, poème romantique de 1810, Katrine « se déploie comme une vaste nappe d’or aux rayons du soleil couchant » alors que « ses montagnes (…) apparaissent comme des géants gardiens d’une terre enchantée ».

Pour découvrir ce décor sauvage, il suffira d’embarquer sur le Sir-Walter-Scott, bateau à vapeur qui depuis plus de cent ans vogue sur ce serpent d’eau douce, long de 13 kilomètres et large d’à peine 1 kilomètre. La reine Victoria l’avait elle-même remonté en 1869 pour se rendre dans une de ses résidences secondaires. On pourra aussi juger si « ces lieux (…) seraient dignes de la magnificence d’un prince » en pédalant à vélo sur les pistes qui longent le rivage, depuis le petit port touristique de Trossachs.

Lac de Kleifarvatn, l’énigme islandaise d’Arnaldur Indridason

Serti dans un décor de bas sommets d’apparence lunaire, à moins de trois quarts d’heure de route de Reykjavik – une excursion facile à réaliser en voiture depuis la capitale –, ce lac a connu un accident géologique rare qui a titillé l’imagination d’Arnaldur Indridason, célèbre auteur islandais de polars. Après un tremblement de terre en 2000, il avait perdu 20 % de sa superficie, ses eaux s’échappant par de nouvelles failles souterraines.

Si Indridason y fait apparaître un squelette révélé par l’abaissement du niveau des eaux, trame de l’intrigue de L’Homme du lac (2008), il dévoile aussi l’ambiance de la péninsule de Reykjanes où se situe Kleifarvatn, « un itinéraire apprécié et grandiose qui traversait les champs de lave, les collines (…), avant de descendre jusqu’à la mer ». Eté comme hiver, le lac rappelle la puissance et la force évocatrice de la nature islandaise. Cette lentille d’eau posée au cœur d’une région volcanique où l’activité éruptive est permanente depuis 2021 abriterait un monstre, un serpent de la taille d’une baleine.

A défaut de l’apercevoir, on pourra longer sa rive ouest par une piste et profiter du contraste saisissant entre le paysage minéral ocre et le bleu intense du lac. Un environnement à l’atmosphère étrange et mystique qui pousse Indridason à imaginer que, parfois, une affaire criminelle ne donne pas lieu à enquête : « On n’en mène généralement pas sur les disparitions parce que, en Islande, on ne voit rien d’étonnant à ce que les gens disparaissent. »