« Motl en Amérique » (Motl in Amerika), de Sholem Aleichem, traduit du yiddish par Nadia Déhan-Rotschild et Evelyne Grumberg, L’Antilope, 210 p., 21 €, numérique 15 €.
Orphelin de père, contraint de quitter son shtetl natal (Kasrilevkè) avec sa famille pour échapper à la misère, le petit Motl est l’un des trois personnages phares de l’œuvre de Sholem Aleichem (1859-1916). Il constitue, avec l’infortuné Menahem Mendl et Tevye le laitier – qui inspirera la comédie musicale de Joseph Stein Un violon sur le toit (1964) –, l’une des figures emblématiques de la littérature yiddish. Deux ans après un premier volume (Motl fils du chantre, L’Antilope), qui narrait l’épopée du garçon à travers plusieurs villes d’Europe en quête d’une vie meilleure, paraît le deuxième tome de ses aventures, Motl en Amérique.
Six ans se sont écoulés entre la fin de la parution du premier volet sous forme de feuilleton dans la presse yiddish de l’époque, en 1908, et le début de la publication du second, à partir de 1914. Son auteur, contraint d’émigrer lui-même à New York pour fuir la première guerre mondiale et les pogroms en Russie, l’a rédigé sur place pour la plus grande partie. A bien des égards, ce livre reflète sa propre découverte des Etats-Unis, lors d’un premier séjour (décevant) en 1906, et lors de son installation définitive en 1914. Mais là où l’auteur, déraciné et gravement malade, vivait une période difficile (marquée notamment par la mort de son fils), ces péripéties américaines sont, à travers les yeux de Motl, d’une fraîcheur et d’une drôlerie irrésistibles.
Cet humour tragi-comique se déploie dès la traversée de l’Atlantique. Lorsque les passagers essuient une tempête mémorable, le jour de Yom Kippour, c’est comme si Charlie Chaplin reconstituait les épisodes bibliques du Déluge et de la traversée de la mer Rouge par les Hébreux. Les épreuves auxquelles doivent se soumettre les candidats à l’immigration à Ellis Island sont racontées dans le même esprit.
A l’épreuve de la modernité américaine
Mais c’est surtout dans sa description de New York que s’illustre le génie de Sholem Aleichem pour peindre les contraires. Ici, tout est « tohu-bohu », règnent « la terreur, le tumulte et le chaos ». Mais c’est aussi une ville-monde fascinante, aux antipodes du shtetl. Dans les appartements, il y a une « roume [une pièce] pour chaque chose ». Les plus grands ne peuvent pas frapper les plus petits, et ceux-ci doivent tous aller à l’école, alors qu’« au pays on ne permet pas aux enfants juifs d’aller au lycée ».
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