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« Kafka, métamorphosé », sur France Culture : une « Grande Traversée » pour redonner vie à l’écrivain au-delà des clichés

Christine Lecerf offre un corps et un contexte à l’un des plus grands romanciers du XXe siècle, mort il y a cent ans, notamment grâce à la voix de l’acteur Tom Mercier.

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Publié le 03 juillet 2024 à 14h00

Temps de Lecture 3 min.

Franz Kafka, à Vienne, vers 1900.

FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST

En ces temps extrêmement obscurs, traverser Kafka avec Christine Lecerf est un cadeau prodigieux. Germaniste, productrice de « Grandes Traversées » remarquables (Shakespeare, Arendt, Hugo), elle nous invite à découvrir un Kafka qu’elle qualifie de « métamorphosé » dans le titre de son podcast. Au-delà du clin d’œil, elle propose de « métamorphoser notre regard sur le maître de la métamorphose en littérature ». Et de préciser : « Kafka a longtemps été méconnu parce qu’il vient d’une région d’Europe qui a subi un ensemble d’effacements dans l’histoire : dislocation de son pays natal d’abord (la Bohême), puis, avec la Shoah, disparition d’une culture et d’une langue. Enfin, mise sous cloche, jusqu’en 1989, de chercheurs et de témoins. »

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Tout cela a contribué à faire de Franz Kafka (1883-1924) un personnage hors-sol, réduit à quelques titres et nombre de clichés. Pour lui redonner de la vie et de la profondeur, Christine Lecerf a interrogé des spécialistes, retrouvé ses descendants et écouté des lecteurs éclairés et sensibles. Enfin, elle a eu une géniale intuition : celle de confier la voix de Kafka à Tom Mercier, l’homme-oiseau dans Le Règne animal (2023), de Thomas Cailley. Et c’est vertigineux. Rien de récité, rien de récitant chez l’acteur israélien : il est le mot qui s’incarne, le mot qui résonne. En français et dans les traductions de Marthe Robert, Claude David, Jean-Pierre Lefebvre et Robert Kahn.

Episode 1 : né le 3 juillet 1883, Franz Kafka se réfugie très tôt dans la lecture de récits d’aventure, puis dans l’écriture – le « feu » susceptible de réchauffer « l’espace froid de notre monde ». A l’épisode suivant, alors que Prague se modernise, il s’amuse dans les cafés avec ses amis Max Brod, Oskar Baum et Felix Weltsch. A 25 ans, il entre à l’Office d’assurances contre les accidents du travail, où il constate les ravages causés par les machines. Pour l’acteur et réalisateur Hanns Zischler, les écrits administratifs de Kafka représentent d’ailleurs « une partie essentielle de son œuvre ».

Lors de la première guerre mondiale, alors que les blessés défilent dans son bureau, Kafka mesure l’ampleur du massacre. Pendant ce temps, la nuit, il écrit. Le Procès (paru en 1925) et La Colonie pénitentiaire (paru en 1919). Bien qu’excellent nageur, joueur de tennis et cavalier occasionnel, Kafka entretient un rapport étrange à son corps (épisode 3). Il va au bordel « comme sous la menace d’un fouet » et, après avoir enseveli Felice Bauer (1887-1960) sous des centaines de lettres, est soulagé d’apprendre qu’il est atteint de tuberculose pulmonaire. Il a 34 ans, peut rompre ses fiançailles, et écrire (épisode 4).

Personnages hybrides

Dans ses livres, les personnages, souvent hybrides, flottent entre deux mondes, se métamorphosent : « C’est un des paradigmes de l’empathie, cette capacité à la métamorphose, à devenir ce sur quoi, derrière quoi on court et dont on épouse toutes les émotions. Et ça, c’est aussi un principe d’écriture », note l’écrivaine et réalisatrice Muriel Pic.

Dans la nuit du 22 au 23 septembre 1912, Kafka écrit Le Verdict (paru en 1913) : « Tout alentour, les hommes dorment (…) Et toi, tu es éveillé, tu es l’un des veilleurs. Pourquoi veilles-tu ? Il faut qu’il y en ait un qui veille, voilà ce qui est écrit. Il faut qu’il y en ait un qui soit là. » Kafka est là, et pose la question de l’héritage (dernier épisode) alors qu’il opère un retour au judaïsme que son grand biographe, Reiner Stach, qualifie d’existentiel. Kafka prend des cours d’hébreu et, alors même que l’antisémitisme monte dangereusement, envisage d’aller en Palestine. Mais sa santé se dégrade. Il écrira pourtant – et jusqu’au bout, comme en témoigne sa dernière compagne, Dora Diamant (1898-1952).

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Evoquant Les Aphorismes de Zürau (paru en 1931), l’écrivain Stéphane Zagdanski parle de « formules d’une beauté, d’une profondeur spirituelle et intellectuelle prodigieuses ». Telle cette citation : « Le chemin véritable passe sur une corde qui n’est pas tendue en hauteur mais juste au-dessus du sol. Elle semble destinée davantage à faire trébucher qu’à être parcourue. » Pour l’écrivain et traducteur Georges-Arthur Goldschmidt, « dans Kafka, il y a le “il y a”. Tout est dit. C’est tellement énorme qu’on ne peut rien en dire. C’est ça, ce derrière quoi cavale la philosophie : l’informulable ».

C’est ça, aussi, qui sera sauvé, in extremis, par son ami Max Brod. C’est ça que nous offre Christine Lecerf, qui, ne cessant jamais de creuser, nous emmène au creux et au cœur des textes de Kafka, celui qui, et c’est plus que précieux, « apporte le fracas de la joie contre le chaos du monde » (Stéphane Zagdanski).

« Kafka, métamorphosé », podcast de Christine Lecerf, réalisé par Anne Perez Franchini (Fr., 2024, 5 × 58 min). Disponible à la demande dans la collection « Les Grandes Traversées » sur France Culture.

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