As-tu assassiné uniquement des personnes impliquées dans la mafia, ou y a-t-il aussi eu des victimes collatérales ? Qu’as-tu vu dans le regard des personnes que tu as tuées ? Qu’est-ce que ça te fait d’être face à des familles de victimes ? Luigi Bonaventura, ancien boss de la ’Ndrangheta, la mafia calabraise, baisse parfois les yeux, mais répond à toutes les questions posées par… un petit groupe de Français.
Le dialogue n’est pas tiré d’un film, il n’a pas non plus eu lieu dans une aula bunker, salle d’audience spécialement conçue pour abriter un procès concernant la criminalité organisée en Italie. Il s’est tenu au début du printemps à Casal di Principe, une commune de 20 000 habitants située près de Naples, célèbre grâce au best-seller de Roberto Saviano Gomorra et à la série télévisée à succès qui en est tirée.
Longtemps fief des clans de la Camorra, la mafia napolitaine, Casal di Principe est devenue une ville symbole de l’engagement citoyen contre le crime organisé, et a accueilli, au printemps 2024, un séjour d’études. Ateliers sur les statuts de victime et de repenti, visite de biens confisqués, témoignages… Pendant une semaine, une trentaine de Français sont venus découvrir les pratiques des associations italiennes qui se battent contre la criminalité organisée.
« La lutte contre la mafia, c’est l’affaire de tous. Elle ne peut se cantonner à un bras de fer entre police et gangsters », martèle Fabrice Rizzoli. Casquette bleue sur la tête, ce spécialiste de la grande criminalité et des mafias, enseignant à Sciences Po et à l’école des Hautes Etudes internationales et politiques (HEIP), a l’allure d’un homme de terrain. Avec son association, Crim’HALT, il organise depuis 2019 des séjours en Italie, sur les terres de l’antimafia, de la Sicile à la Lombardie en passant par la Calabre. Le dernier a été financé à hauteur de 50 000 euros par Erasmus +, le programme de l’Union européenne destiné à soutenir l’éducation, la formation et la jeunesse.
« Anticorps contre la criminalité »
Le voyage d’études rassemble un public hétéroclite, aussi bien par les profils que par les motivations. Marie Charbonneau, étudiante en master Conflits et crises internationales à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, étudie le terrorisme dans le cadre de son mémoire. « Ce séjour me donne envie de creuser les liens entre la prévention du terrorisme et de la criminalité organisée », raconte l’étudiante de 22 ans. « La France dispose d’un fort arsenal judiciaire contre le terrorisme, mais il est moins étoffé en ce qui concerne la mafia. En Italie, c’est l’inverse. Nous devons apprendre les uns des autres », confirme Djamila Petri. Etudiante en droit à l’université de Trieste, la jeune femme de 22 ans souhaite devenir procureure antimafia : « Lors de ce séjour, j’ai pu rencontrer des proches de victimes. C’est très important pour moi de comprendre les effets que peut avoir la criminalité organisée sur des citoyens lambda. »
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