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Education : l’avenir de l’Afrique plombé par la déscolarisation et des apprentissages de mauvaise qualité

L’Unesco a évalué les conséquences monétaires, économiques et sociales du manque d’investissement chronique des Etats dans la formation de sa jeunesse.

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Publié le 17 juin 2024 à 09h30

Temps de Lecture 4 min.

Dans l’école de Souza, commune située dans la région du Littoral, au Cameroun, en décembre 2021.

Des chiffres qui donnent le tournis. D’ici à 2030, si les pays du Nord comme du Sud n’inversent pas la tendance actuelle, les coûts sociaux annuels du déficit de qualité de l’éducation représenteront plus de 10 000 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit plus que les PIB de la France et du Japon additionnés, révèle un rapport publié par l’Unesco au titre éloquent : « Le coût de l’inaction ».

A l’occasion d’une réunion au sommet, lundi 17 juin, des ministres de l’éducation au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture à Paris, sa directrice générale a appelé les 194 Etats membres à « respecter leur engagement de faire passer l’éducation d’un privilège à une prérogative pour chaque être humain à travers le monde » et pointé les coûts « vertigineux et les dégâts sociaux » de cette crise des apprentissages qui touche particulièrement les pays en développement, ceux du continent en tête.

« Chaque point de pourcentage d’abandon scolaire et d’insuffisance de compétences, c’est entre 430 et 560 milliards de dollars en moins pour les budgets des Etats, résume Matthias Eck, coauteur du rapport avec Justine Sass. L’Afrique subsaharienne, qui est la région la plus impactée du monde, et le Maghreb se privent respectivement de 42 % et 38 % de revenus fiscaux, ce qui diminue presque de moitié les richesses de ce continent » alors que les Etats peinent déjà à mobiliser impôts et taxes.

« Effets dévastateurs du Covid »

Le nombre d’enfants déscolarisés dans le monde a atteint 250 millions, dont près d’un tiers est en Afrique subsaharienne. Entre 6 et 14 ans, un enfant africain sur cinq est privé de primaire et de collège tandis que seulement la moitié des adolescents vont au lycée. « Nous sommes encore dans les effets dévastateurs de la crise du Covid », poursuit l’analyste, spécialiste de l’inclusion et de l’égalité des genres dans l’éducation à l’Unesco.

Les auteurs précisent qu’ils se sont basés sur de multiples indicateurs économiques et sociaux de 2021 pour construire une projection solide. Or, depuis, de nouvelles crises ont aggravé la situation : 7,8 millions d’enfants sont privés d’école en Afghanistan, selon l’Unicef, tandis que les guerres en Ukraine et à Gaza ainsi que l’inflation ont bouleversé le quotidien de millions d’entre eux et paupérisé les familles. Le Sahel ainsi que l’Afrique de l’Est et centrale n’ont pas non plus été épargnés.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), près de 21 millions de personnes au Burkina Faso, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, au Tchad, au Mali, au Niger et dans le nord du Nigeria ont besoin d’une aide vitale d’urgence. A l’est, le conflit au Soudan et celui en République démocratique du Congo (RDC) ont jeté sur les routes 17 millions de personnes, déplacées dans leur propre pays. Des situations humanitaires catastrophiques où la survie relègue l’école très loin dans la hiérarchie des priorités.

Quant à la Corne de l’Afrique, elle a connu de multiples épisodes de pluies diluviennes et d’inondations qui ont parfois obligé les autorités à fermer les écoles ou à retarder la rentrée scolaire de plusieurs semaines, comme au Kenya à la mi-mai.

Dynamique démographique

Si les fillettes africaines ont davantage de difficulté à accéder aux salles de classe, y trouver une place n’est pas une garantie d’en ressortir avec un bon niveau de formation. Plus de 9 enfants sur 10 ne parviennent pas à lire et à comprendre un texte simple à l’âge de 10 ans au sud du Sahara, tandis que moins de 3 enfants sur 10 maîtrisent les compétences de base dans les pays du Maghreb. A l’entrée dans l’âge adulte, les conséquences sont concrètes. Des millions de jeunes gens sans formation viennent grossir les rangs de l’économie informelle ou restent sans emploi.

Un phénomène amplifié par la dynamique démographique du continent, dont la croissance de 2,5 % par an progresse trois fois plus vite que la moyenne mondiale. Les Etats africains ont beau avoir consenti beaucoup d’efforts pour mettre toujours plus d’enfants sur les bancs de l’école ces vingt dernières années, les systèmes scolaires sont débordés et manquent de bras pour tenir la craie au tableau noir. A l’arrivée, des classes surchargées, un absentéisme chronique du côté des professeurs, des retards de paiement de salaires et des enseignants insuffisamment formés.

Mais tout ne se calcule pas en pertes financières directes. Les auteurs du rapport se sont aussi penchés sur les conséquences sociales de cette crise des apprentissages qui, à long terme, pèsent aussi sur l’économie : délinquance, homicides, violences sexuelles, corruption et grossesses adolescentes. Ils se sont particulièrement attardés sur vingt pays, dont cinq africains, « représentatifs de toutes ces problématiques pour l’ensemble du continent », explique Matthias Eck, passant au crible divers indicateurs du Maroc, de la Tunisie, du Sénégal, du Tchad et du Burundi.

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Quel que soit le pays, si chaque année d’enseignement secondaire évite que les jeunes filles se marient avant leurs 18 ans, l’abandon scolaire, lui, multiplie quasiment par deux le risque d’une grossesse précoce.

« Un droit et un devoir moral »

En ne respectant pas leurs engagements d’investir au moins 20 % de leur budget dans l’éducation de leur jeunesse – seulement neuf pays y parviennent –, les gouvernements africains plombent l’avenir de tout un continent. « L’éducation est une ressource essentielle pour relever les défis contemporains, de la réduction de la pauvreté à la lutte contre le dérèglement climatique, a tenu à rappeler Audrey Azoulay lundi à Paris. Mais c’est aussi un investissement stratégique, l’un des meilleurs qui soient pour les individus, les économies et la société dans son ensemble. »

A ce titre, l’Afrique est la région du monde où le potentiel de progression est le plus élevé : en réduisant de seulement 10 % le taux de déscolarisation et en augmentant d’autant la qualité des apprentissages, le continent regagne entre 1 et 2 points de PIB, évalue le rapport. « Avec peu d’efforts, on peut rapidement sortir de ce cercle vicieux du sous-développement, fait valoir Matthias Eck. L’éducation est non seulement un droit et un devoir moral, mais c’est aussi très rentable. »

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