Portrait

Adam Bessa : “On devient plus tolérant en devenant moins bête, c'est primordial à notre époque”

Remarqué dans la série Ourika ou les films Tyler Rake avec Chris Hemsworth, Adam Bessa est la tête d'affiche du très réussi Les Fantômes. GQ a rencontré cet acteur qui se refuse obstinément au surplace.
Adam Bessa
Adam Bessa tient le rôle principal dans Les Fantômes de Jonathan Millet.© Laurent Koffel/Getty Images

Adam Bessa fait partie de ces acteurs qui montent les marches de cette grande tour qu'on appelle cinéma sur la pointe des pieds. Sans faire de bruit, sans geindre, sans surjouer la sympathie pour conquérir à peu de frais le cœur des spectateurs. L'acteur franco-tunisien ne se focalise que sur son travail, cherchant sans cesse les projets qui ne ressemblent en rien à ce qu'il a fait auparavant, glissant d'un genre à un autre, d'un cinéma d'auteur exigeant (Harka) à des superproductions Netflix en compagnie de Chris Hemsworth (Tyler Rake). Un brouillage de pistes qu'il exécute avec une aisance presque insolente. “Les gens cloisonnent trop souvent les choses, résume-t-il. Je trouve de l’intérêt partout. J'aime autant le cinéma d’auteur que le mainstream, il y a des choses extraordinaires des deux côtés. C'est un peu comme la cuisine ! On peut savourer plein de cuisines différentes, en Italie, en Thaïlande, en Tunisie…” Si on ose prolonger la métaphore culinaire, quel plat pourrait alors le définir ? “Des pâtes à l’arrabiata. Tu sais ce que ça veut dire arrabiata en italien ? Fâché, énervé ! C’est un peu relevé, j’aime bien.”

Rien ne laisse pourtant supposer qu'Adam Bessa est un acteur fâché lorsqu'on le rencontre au Festival de Cannes. Venu présenter l'intense Les Fantômes de Jonathan Millet, film d'espionnage sur fond de guerre civile syrienne où il tient le premier rôle, le comédien de 32 ans ressemble beaucoup aux personnages qu'il a déjà incarnés sur les écrans : réfléchi, déterminé, alerte. On lui a par le passé reproché en école de théâtre de ne pas être assez expressif, de ne pas se laisser déborder par l'émotion. On ne le changera pas et, à vrai dire, ce serait probablement une erreur que de le vouloir. “Je comprends qu’on puisse me voir comme un acteur profond ou intense. Mais je me considère surtout comme un artiste, pas simplement comme un acteur. J’ai envie d’explorer des choses.”

Le récit des Fantômes est inspiré d'une histoire vraie. Il y incarne le membre d'une organisation secrète qui s'est donnée pour mission de traquer en Europe les criminels de guerre syriens qui ont fui le conflit au moment où le vent ne tournait plus en leur avantage. Le film, précis et haletant, se déroule à Strasbourg où le héros pense avoir trouvé son ancien bourreau en prison, sans en avoir totalement la certitude. Commence un jeu de pistes pour trouver l'indice capable de faire basculer le récit. “C’est un film qui parle de la guerre civile sans la montrer, qui parle de Bachar al-Assad sans qu’il ne soit montré. Même les prisons ne sont pas mises en scène. Ça fait travailler l'imaginaire du spectateur, à partir de toutes les images de guerre qu’on a tous déjà vues.”

Le scénario a passionné l'acteur par ses allées et venues entre les genres. Les Fantômes est à la fois un thriller, un film d'espionnage pas si loin de l'atmosphère du Bureau des Légendes, mais aussi un drame familial sur un deuil impossible à panser. “Le film traverse les genres. C’est très plaisant en tant qu’acteur. Ma priorité est d'offrir au spectateur une expérience cinématographique, visuelle ou auditive. Quelque chose qu'il n'a pas l'habitude de voir. Le spectateur est de plus en plus difficile à surprendre aujourd'hui. Ses sens sont fatigués, très sollicités au quotidien. Un mot filmé peut être beaucoup plus violent pour le spectateur qu’un coup de feu. On s’est tellement habitué à la violence et à la mort que cela ne nous fait presque plus rien. Voir un cadavre dans un film ne provoque plus rien. En tant qu’artistes, notre mission est presque celle d’apaiser le spectateur.”

Comme un poisson dans l'eau

Depuis sa jeunesse à Grasse, près de Nice, le comédien vadrouille. Le cinéma ne s'est pas présenté à lui d'emblée. Il a d'abord rêvé de football. Une tête passée par le centre de formation de l'AS Monaco, où il croise notamment le chemin de futurs professionnels comme Geoffrey Kondogbia ou Valère Germain, avant de claquer la porte au seuil de la majorité. “Je n'avais plus l'envie, j'ai tout lâché. Ça n'a pas surpris mon entourage mais je l’ai vécu comme un deuil. Ça a été mon premier deuil à 17 ans, comme une petite mort prématurée d'une vie qui s’arrête, du jour au lendemain, après 10 années à m’y consacrer totalement.”

Crampons au placard, il remet la tête dans les livres, entame sans achever des études de droit, multiplie des petits boulots. On s'en était étonné en la lisant mais sa page Wikipédia le gratifie d'une passion pour la poissonnerie, où il a un peu travaillé. Forcément curieux, on l'interroge à ce sujet. La carapace de l'acteur mystérieux finit par se fissurer, laissant échapper un beau rire spontané. “Je suis passionné d'apnée, pas de poissonnerie ! Je ne sais pas pourquoi ils ont écrit ça, ils ne comprennent rien et disent un peu n’importe quoi. Mes potes en rigolent beaucoup. Qui peut être fan de poissonnerie ?”

Fils d'une mère italo-tunisienne et d'un père tunisien, il cherche sa place dans le monde puis accepte que sa force se trouve sûrement dans l'entretien d'un entre-deux incessant. Joaquin Phoenix, Leonardo DiCaprio ou Heath Ledger lui ont donné ce goût des caméléons, de ceux qui ne tiennent pas en place ou refusent de s'adapter à un monde qui compartimente trop. “Ils ont tous un amour de la bizarrerie, qui est un peu hérité de James Dean. Cet amour de l’être bizarre, cette fierté d’être le weirdo, d’assumer ses différences, ses névroses ou son extrême sensibilité.”

Adam Bessa dans Ourika.© Mika Cotellon/Prime Video

En plus du cinéma, il mène parallèlement une carrière musicale avec Claire Bessa. Leur duo illi a publié un premier album en avril dernier où, à la manière des Fantômes, les langues et les territoires musicaux se confondent. Il a récemment partagé l'affiche d'une série sur Prime Video avec Booba, Ourika, et ne tarit pas d'éloges à l'égard du si controversé Duc de Boulogne. “Je suis resté en contact avec lui. Il me conseille sur mes chansons, je lui fais écouter. Au vu de sa carrière, son avis m'importe forcément. Ce qui est intéressant, c’est que lui aussi me demandait des conseils en matière de jeu. Il n’avait jamais joué, ça ne le dérangeait pas d'être guidé. On ne se l'imagine pas quand on voit le personnage, mais c’est quelqu’un de très humble.”

Méditatif mais jamais ronflant, Adam Bessa espère que Les Fantômes parviendra à apporter de nouvelles clés de compréhension sur un conflit qui, en l'absence d'images télévisées et de unes de journaux qui lui sont consacrées, s'éloigne tragiquement de nous. “Ce que raconte Les Fantômes reste contemporain. On essaye encore aujourd’hui de comprendre les mécaniques géopolitiques qui lient le Moyen-Orient et l’Europe. Plus on a d’informations, plus on comprend le monde dans lequel on vit. Et l’art apporte, au même titre que le journalisme, les sciences ou la politique, des réponses sur son époque. Ou, du moins, une perspective différente sur des questions de société.” La conclusion de notre entretien prend des airs d'adage : “On devient plus tolérant en devenant moins bête et ce devrait être primordial à notre époque.”

Les Fantômes avec Adam Bessa est à découvrir au cinéma dès le 3 juillet 2024.