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Simple comme Sylvain : une histoire d’amour au delà du couple

Dans Simple comme Sylvain, l’actrice et réalisatrice Monia Chokri réussit ce que trop peu de cinéastes ont accompli : faire respirer l’amour au delà des normes sociales, notamment celles liées au couple. Le film passe ce soir, à 22h34, sur Canal+.
Simple comme Sylvain
© Fred Gervais

Quand les opposés s’attirent, l’amour peut-il durer ? C’est la question que pose Simple comme Sylvain, le troisième long-métrage de la réalisatrice québécoise Monia Chokri, sacré meilleur film étranger aux César 2024. Pensé comme une comédie furieusement sensuelle, finement drôle et toujours très intelligente, le film déroule la rencontre de Sylvain (Pierre-Yves Cardinal) et de Sophia (Magalie Lépine-Blondeau). Lui est charpentier, elle est professeure de philosophie. Malgré leurs différences sociales, et le fait qu’elle soit déjà en couple, ils tombent tous les deux amoureux. Quel est donc ce sentiment qui les submerge soudainement ? Et que peut-il face à toutes les barrières que lève la société à son égard ?

© Fred Gervais

Une histoire d’amour comme on en voit peu…

En 2019, après son premier long-métrage La Femme de mon frère, Monia Chokri ressent l'envie d’écrire un film d’amour. “Je trouve qu’il y en a encore trop peu au Québec. Il y a des histoires de famille, des récits initiatiques sur le passage à l'âge adulte… mais pas tellement de films sur l’amour.” L'amour, c'est d'abord le sentiment amoureux. L'attirance déraisonnée que l'on ressent pour quelqu'un, et la passion qui nous dévore lorsqu'on fredonne son nom, lorsqu'on entend son pas se rapprocher, son odeur nous enivrer. Une attraction folle qui se crée sans crier gare et en dépit de toute entrave. Pourtant, la possibilité des complications est bien réelle, à commencer par la lutte des classes. C'est en s'intéressant au versant social, avant même celui de l'intime, que le projet de Simple comme Sylvain est né chez la réalisatrice. “Je me suis penchée sur les changements qui résident dans le langage entre la province et la ville. Je voulais comprendre pourquoi on n’absorbe pas la culture de la même façon en fonction de là où l’on vient”.

La réalisatrice pose ainsi une distinction nette entre l'amour et le couple. Elle rappelle que ce dernier est “un système politique, social et économique” et donc qu'il a longtemps rien eu à voir avec les sentiments. L’amour s’est répandu dans l’idée du couple principalement à partir des années 1960 et 1970, même si les romantiques s’en amusaient déjà, avec une certaine légèreté bourgeoise, au XIXème siècle. Et si les altérités sont bienvenues en amour, la réalité a tendance à les chasser dans les relations de couple. “On peut très bien avoir des relations amoureuses, souvent légères, avec des gens qui ne sont pas issus de notre milieu social, mais la plupart du temps on demeure très organisés dans notre manière de penser et de faire le couple.” développe Monia Chokri. Cette réflexion habite totalement sa comédie, qui se pare des plus grandes théories philosophiques faites sur l'amour. Si les premières scènes évoquent la pensée de Platon, de Spinoza ou de Jankélévitch, le film avançant, la cinéaste ajoute in extremis des passages d'À propos d’amour de bell hooks, qu'elle découvre durant le montage. Comme beaucoup, cette lecture la bouleverse, au point qu’elle décide de greffer, à la dernière minute, une voix-off de Sophia qui parle de l’autrice afro-féministe. Elle souligne notamment, et à juste titre, qu’aimer est un verbe d’action et donc avant tout un choix.

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Dans son livre À propos d’amour, l'écrivaine américaine bell hooks questionne la notion d'amour, qu'elle oppose à la culture patriarcale. Elle redonne aux relations d'amour saines tout le sérieux - et toute la puissance - qu'elles méritent. Surtout, elle nous explique de manière très pratique comment les cultiver.

Fragile film

L'amour, c'est aussi celui des amitiés. À l'écran, Sophia se rapproche instinctivement des femmes qui l'entourent. Sur le plateau, l'amitié bat pleinement. Et l'actrice Magalie Lépine-Blondeau y est pour beaucoup. Monia Chokri nous raconte : “Magalie est ma meilleure amie, mais c’est aussi ma première lectrice. Elle est aux balbutiements de mes idées créatives, je lui fais part de tout. C'est une grande comédienne aussi. Je l’imaginais parfaitement dans le rôle de Sophia parce qu'elle joue très bien l’héroïne romantique, et en même temps, c’est aussi une grande intellectuelle. C’était formidable de faire ce projet avec elle. Et puis on a eu quarante ans toutes les deux l’année du tournage, alors c’était un peu notre cadeau d’anniversaire, un beau cadeau d’amitié qu'on s'est fait.”

© Fred Gervais

…car écrite du point de vue d'une femme

C'est un fait, beaucoup de comédies romantiques ont été écrites par des hommes, notamment les classiques du genre (qui datent un peu) tels que Pretty Woman ou Coup de foudre à Notting Hill. “Le point commun dans tous ces films, c’est qu’ils ont éduqué les femmes à gagner l’attention d’un homme qui n’est émotionnellement pas disponible.”, commente Monia Chokri. Cette façon de construire nos rapports amoureux revient régulièrement dans le cinéma, mais aussi dans la littérature. Ce n'est pas le cas dans Simple comme Sylvain. Ici, le personnage masculin est disponible, il veut s’engager et il n'a pas peur de l'exprimer. C’est Sophia qui questionne son engagement. Beaucoup de femmes peuvent se reconnaître dans ses pensées et ses confusions : le film fait appel à une intimité à laquelle elles n’ont eu que très rarement accès au cinéma.

Par ailleurs, les scènes d'intimité physique et sexuelle sont particulièrement justes et lumineuses. Certainement parce qu'elles ne se départissent jamais de la psychologie de ses personnages, et notamment celle de Sophia. “Il fallait qu’elles fassent avancer la dramaturgie.” nous explique Monia Chokri. “Je les ai donc imaginées comme des dialogues et non pas comme des scènes de sexe.” Ce qui l'intéresse, c'est de peindre le désir de son héroïne. De lui laisser toute la place. “Surtout, je voulais la présenter comme un être désirant et non pas seulement désiré.” Dessiner des femmes passives fait partie des clichés lancinants autour des comédies romantiques. Monia Chokri cherche à bousculer tout ça. Elle nous montre comment Sophia regarde Sylvain à travers le désir qui la submerge, et elle n'hésite pas à érotiser son personnage masculin. La réalisatrice prend un malin plaisir à inverser les rôles, faisant l'opposé de ce à quoi le 7ème art nous a habitués, à l'instar du Mépris de Jean-Luc Godard, exemple très significatif qu'elle cite régulièrement. Non décidément, ce qui intéresse Monia Chokri, ce sont les femmes. “Les hommes, on les connait déjà. On a déjà eu accès à leur intimité. Ils ont raconté le monde à travers les époques, ils ont dominé la littérature, et toute forme d’art. Je trouve ça fou qu’il ait fallu attendre tant d’années pour donner la parole aux femmes. C'est pour ça que je m’étonne toujours lorsqu’on me dit que mon cinéma est novateur. Je ne révolutionne pourtant rien, je raconte simplement des histoires dans lesquelles les femmes peuvent se reconnaître.”

Lorsqu'on lui demande quelles expériences de la vie d'une femme elle aurait aimé voir plus tôt au cinéma, Monia Chokri nous répond, au travers d'un sourire amer, qu'elle regrette de ne pouvoir citer aucune scène qui parle ouvertement de la ménopause. Et des exemples d’intimités comme celui-ci, il y en a des milliers d'autres qui attendent encore d'être racontés. Parmi eux, la question de la maternité. Une question que les femmes se posent autant qu'on leur pose, et qui traverse en continu le travail de la cinéaste. Dans Simple comme Sylvain, Monia Chokri en parle comme d’un sujet en mouvement, qui n’est jamais réellement défini (tant mieux, il n’a pas forcément besoin de l’être). Une femme a le droit de s’interroger sur son désir d’avoir un enfant : elle n’est pas obligée de vouloir ou de ne pas vouloir, elle a aussi le droit de ne pas savoir. Ce que l’on sait en revanche, c’est que la psyché des femmes n’apparaît toujours que plus juste à travers le regard de Monia Chokri. Comme ça fait du bien !

© Fred Gervais

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