Interview

Rencontre avec Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz : “Rosalie nous enseigne combien la gentillesse est belle, bien plus qu'un physique”

Dans Rosalie, de Stéphanie Di Giusto, l'actrice Nadia Tereszkiewicz interprète une femme à barbe qui lutte pour s'accepter dans la France du XIXème siècle. À son bras, Benoît Magimel, doublement césarisé du prix du meilleur acteur, l'accompagne dans un récit d'amour et d'émancipation. Rencontre.
Rosalie
© Trésor Films / Gaumont / LDRP II / Artémis Productions

Rosalie est une jeune femme hors du commun. Dans la France de 1870, elle cache un lourd secret : depuis sa naissance, elle est atteinte d'hirsutisme, un trouble génétique qui fait que son visage et son corps sont recouverts de poils. De peur d’être rejetée, elle a toujours été forcée de se raser. Jusqu’au jour où Abel, un tenancier de café acculé par les dettes, l’épouse pour sa dot. Rosalie le rejoint dans son village, situé au cœur de la Bretagne, et se prépare malgré la peur à vivre avec lui. Sera-t-il capable de l’aimer ? Survivra-t-elle au regard des habitants ? Déterminée à soutenir son mari mais refusant d'être un simple phénomène de foire, elle se bat pour sa liberté en assumant sa barbe mais aussi, et surtout, ses sentiments. Un récit qui permet à sa réalisatrice, Stéphanie Di Giusto, de filmer le désir autrement, entre la violence et la sensualité. Porté par la force d'interprétation de Nadia Tereszkiewicz et Benoît Magimel, celui-ci est troublant de beauté. C'est ce que nous ont raconté les deux amoureux inconditionnels de Rosalie quand on les a rencontrés, quelques semaines avant la sortie du film ce mercredi 10 avril. Entretien.

Rencontre avec Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz pour le film Rosalie

Vogue. Qu'est ce qui vous a immédiatement séduit dans l'histoire de Rosalie ?
Nadia Tereszkiewicz. Je l'avoue, je n'ai pas pensé directement au fait que j'allais devoir porter une barbe ! La première fois que j'ai lu le scénario, j'ai d'abord découvert une grande histoire d'amour.
Benoît Magimel. Oui, c'est vraiment cette histoire d'amour qui m'a séduit. Il y a une résistance incroyable chez le personnage d'Abel à tomber en amour pour Rosalie. Même au delà de la pilosité, c'est quelque chose qui m'a beaucoup touché. Il y a des lectures de scénario où l'on est tout de suite ému. C'est quand même bon signe.

Comment arrive-t-on à jouer une femme à barbe ?
Nadia Tereszkiewicz. Quand j'ai compris que j'allais devoir porter les thèmes de la différence et de l'acceptation de soi à l'écran, ça m'a enthousiasmée. Mais ça n'a pas été évident. Il ne s'agissait pas d'un simple postiche : les poils étaient partout, devenant presque une seconde peau qu'il fallait que je m'approprie. Ça a questionné ma féminité. J'appréhendais le regard des autres sur le plateau. J'avais honte. Puis, les jours avançant, j'ai commencé à les aimer, ces poils !

© Trésor Films / Gaumont / LDRP II / Artémis Productions

Comment décririez-vous le personnage de Rosalie ?
Nadia Tereszkiewicz. Elle a du courage et de la force. C'est une jeune fille qui devient femme. Elle est très féminine, même si la société lui fait croire qu'elle ne l'est pas. En réalité, on a tous des complexes ou quelque chose qui n'entre pas dans les normes. Rosalie nous rappelle l'importance d'accepter, de comprendre et d'embrasser nos failles car elles font partie de nous.

Et celui d'Abel ?
Benoît Magimel. C'est quelqu'un qui est parti faire la guerre et qui, comme beaucoup de gens lorsqu'ils en reviennent, n'est plus le même. C'est un homme abîmé, brisé. Son corps est détruit, on le voit avec son corset qui lui permet de rester debout malgré la douleur. Il ne croit plus en grand chose, il s'est totalement isolé et n'a plus confiance en l'être humain… Il se voit comme une bête curieuse. C'est pour ça que ce sont deux personnages qui se ressemblent plus qu'il n'y paraît. Ce sont presque des âmes-sœurs.

Dans une des scènes, Abel dit à Rosalie qu’il “espérait une vraie femme”.
Benoît Magimel. Quand il apprend qu'elle lui a caché la vérité, il a l'impression d'avoir été pris pour un imbécile. Il ne veut plus qu'elle soit là. Mais elle reste. Et inconsciemment, il cherche à la protéger. Il ne la laissera pas aller au bûcher. J'aime bien m'imaginer le personnage qu'il était avant de partir à la guerre, et je pense que c'était quelqu'un de plus solaire et de plus doux. C'était une belle personne. Aujourd'hui, c'est un type qui se cache.
Nadia Tereszkiewicz. C’est un film qui questionne la féminité, et de manière plus générale la normalité. Rosalie se demande constamment si elle doit se raser pour se conformer aux standards de beauté ou si elle doit s’en affranchir en assumant qui elle est, soit une femme ayant une forte pilosité due à un dérèglement hormonal. Pour compenser ce trouble, elle essaye de se féminiser par tous les moyens : le maquillage, les belles robes… Mais le poil est bel et bien là. Et s’il fait appel à l'intimité la plus profonde, on voit qu’il est également source de débat. En fin de compte, il nous rappelle le droit de disposer de notre corps.
Benoît Magimel. Au-delà d'être féminine, Rosalie est surtout très lumineuse. Dès qu'elle trébuche, elle se relève et a encore plus de lumière en elle. Abel essaye d'être de plus en plus dur pour la convaincre de s'en aller et d'arrêter cette folie. Il sait très bien que ça va mal se terminer… Mais à chaque fois, Rosalie se redresse et reprend de la vigueur. Il n'y a rien de plus déstabilisant. Elle pose des actes d'amour alors que lui refuse encore de s'y adonner. Jusqu'à ce qu'il tombe sous le charme…

© Marie-Camille Orlando / Trésor Films / Gaumont / LDRP II / Artémis Productions

Construire une complicité à l'écran, ça s'est fait facilement ?
Nadia Tereszkiewicz. Elle est née et a grandi avec la fiction. Benoît est très gentil alors ça a aidé. Mais on ne s'était pas vus avant de jouer ensemble, mis à part une fois, très brièvement, à Cannes - Stéphanie avait tenu à ce que nous n’ayons pas de contact jusqu’au tournage. Le premier jour, il m'a offert une petite boîte à musique. Elle jouait la mélodie du film. C'est quelqu'un de précieux. Dans le jeu, il arrive à comprendre chacune des scènes et à les revoir lorsqu'elles ne fonctionnent pas… Il est très sensible et ça m'a tirée vers le haut. On ne peut pas être ailleurs que dans le présent avec lui.
Benoît Magimel. Pour être sincère, j'ai besoin de m'identifier au personnage que je joue, de me poser des questions de manière intime, y compris celles qu'il n'y a pas dans le scénario… Ne pas se rencontrer avant, ça a énormément joué sur nos deux interprétations. Jusqu'à la première prise, nous nous étions quasiment pas regardés. Ça apporte quelque chose. Il y a une émotion, une fragilité qui, peut-être, n'aurait pas été la même si on avait appris à se connaître. Donc j'ai continué à garder cette distance...
Nadia Tereszkiewicz. Et moi, comme Rosalie, j'essayais d'attraper son regard, son attention. Si je me suis sentie un peu rejetée pendant cette première partie du film, j’ai compris plus tard qu’il m’avait fait un formidable cadeau.
Benoît Magimel. Parfois, j'avais l'impression d'avoir été trop dur, trop loin… J'avais envie de prendre soin d'elle, mais très vite je me suis dis “continuons”. Gardons cette émotion. C'est agréable d'essayer de nouvelles méthodes de travail.

Dans le film, la beauté n'est pas là où l'on pense.
Benoît Magimel. Rosalie voit quelque chose en Abel. Et c'est ça aussi la beauté : voir le beau chez les gens. Quand on aime quelqu'un, les apparences sont secondaires. Quand on a des relations comme celle-ci, qui finissent par s'enrichir de tout un tas de choses, des choses vraies, faites par amour, on tombe amoureux malgré ce qui peut nous séparer au premier abord.
Nadia Tereszkiewicz. Stéphanie a un don pour faire briller la beauté partout et surtout là où l'on ne l'attend pas. Elle nous enseigne combien la gentillesse est belle. Et c'est une chose qui me saute aux yeux, bien avant un physique.

Rosalie de Stéphanie Di Giusto avec Benoît Magimel et Nadia Tereszkiewicz, au cinéma le 10 avril 2024.

© Trésor Films / Gaumont / LDRP II / Artémis Productions

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