Interview

Rencontre avec Noée Abita, nouvel espoir du cinéma français : “La sororité existe, et elle est nécessaire entre actrices”

Dans le film Première affaire de Victoria Musedlak, en salles ce mercredi 24 avril, la comédienne Noée Abita enfile la robe d’avocat de Nora, son personnage, lorsqu'elle est appelée à défendre un potentiel criminel.
Noe Abita
© Jérôme Bonnet / modds

Noée Abita a bien grandi depuis son premier film, Ava (2017). Devant la caméra de Léa Mysius (à qui l'on doit aussi Les Cinq Diables, merveilleux film porté par Adèle Exarchopoulos), elle joue une adolescente de treize ans qui perd doucement la vue. Elle n’a alors que trois ans de plus que son personnage et, déjà, un jeu bien à elle. À la fois tendre et farouche, son expression nous est restée en mémoire jusqu’à ce que l’on la retrouve, quelques années plus tard, dans le drame Slalom (2020). Si Noée Abita a eu plusieurs rôles entre ces deux tournages, dont un dans Le Grand Bain (2018) de Gilles Lellouche, c'est bien le film de Charlène Favier qui l'a révélée au public. Dans la peau de Lyz, quinze ans et future championne de ski, elle porte le récit tragique d'une élève perdue sous l'emprise de son entraîneur. À 25 ans, l'actrice française semble désormais vouloir porter des personnages plus mâtures sur le grand écran. Un défi qu'elle relève dans Première affaire, attendu ce mercredi 24 avril au cinéma.

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De jeune fille à jeune femme

Née dans une famille de cinéphiles à Aix-en-Provence, Noée Abita évolue à Paris, entourée de films. “J’ai très vite été sensible à cet art”, se confie-t-elle lorsqu'on l'interroge sur l'origine de sa passion. “Mais on allait aussi beaucoup au théâtre.” À 16 ans, alors qu'elle est encore lycéenne, elle passe un casting “un peu par hasard” comme elle aime le dire – casting qu'elle réussit – et se retrouve à jouer aux côtés de Laure Calamy dans un thriller gorgé de soleil baptisé Ava. “Léa Mysius [la réalisatrice, ndlr] est très au fait de la direction d'acteur·ices et m'a beaucoup appris sur ce tournage, notamment sur la manière de bouger. Depuis, j'aborde toujours mes personnages en partant du corps.” Cette première expérience de plateau confirme le souhait de la jeune femme de se diriger dans cette voie. Elle enchaîne ainsi divers tournages, s'essaye à la comédie comme au drame, et affûte son désir de faire du cinéma. Derrière sa silhouette discrète, Noée Abita s'affirme au fil de rôles puissants et éclectiques, se challenge dans l'univers extrême du sport et de la haute montage dans Slalom, puis s'ouvre à de nouvelles perspectives, et de nouvelles émotions, dans Les Passagers de la nuit de Mikhaël Hers. Devant la caméra de celui qu'elle admire, elle joue Talulah, une jeune fille mystérieuse en proie aux addictions. L'actrice se mêle alors à plusieurs grands noms du cinéma français, à l'instar de Charlotte Gainsbourg et d'Emmanuelle Béart, et donne également la réplique à ceux qui, comme elle, esquissent sa relève (on pense à la brillante Megan Northam, qui tient par ailleurs le premier rôle du film, vraiment réussi, Pendant ce ce temps sur terre de Jérémy Clapin, au cinéma le 3 juillet prochain). En somme, Noée Abita ne se refuse rien, et surtout pas la différence. Elle aime qu'un rôle “la déplace”, nous dit-elle. “Ça peut être provoqué par la rencontre avec le réalisateur ou la réalisatrice, l’écriture du scénario qui m’émeut, le personnage qui m’intéresse… Je n’ai pas de règle. Mais j'aime interpréter quelque chose qui ne ressemble en rien à ce que j'ai fait auparavant.”

Ce printemps, elle se dévoile sous les traits de Nora, jeune avocate et protagoniste du premier long-métrage de Victoria Musedlak. Précipitée dans sa première affaire pénale, celle-ci se découvre en même temps qu'elle embrasse le monde qui l'entoure. Avec une frénésie qui lui va si bien et qui, à certains égards, ravive l'enfance qu'elle tend de plus en plus à laisser derrière elle, elle plonge dans l'aventure du terrain, quitte à fermer les yeux sur ses dangers. “Nora a 25 ans, elle a eu son diplôme et elle est avocate. Malgré tout, elle s’accommode d’une vie d’adolescente chez sa mère. Elle travaille dans un bureau et ne prend pas vraiment part au monde. Mais quand cette affaire lui tombe entre les mains, ça va impacter sa vie personnelle et ses désirs. Elle va vouloir faire ses preuves et trouver sa place”, explique Noée Abita. Pour l'actrice, c'est “un vrai récit d'initiation”. Car même si Nora a la vingtaine, elle n'est pas encore tout à fait adulte. Elle se cherche, se perd et a encore besoin de l'approbation de ses proches, quoi qu'elle en dise. Souvent, elle est dans la confrontation, franche et sans retenue. Elle navigue entre justice et morale. Elle est pleine de contradictions. Soit un rôle nuancé, qui permet à Noée Abita de clore en même temps que son personnage le chapitre de l'enfance.

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Noée Abita, actrice engagée

En parallèle des castings et tournages, Noée s'investit auprès de l'Association des Acteur·ices (ADA), une organisation féministe et antiraciste soucieuse de lutter contre les violences sexistes et sexuelles au sein de l'industrie du cinéma. Fondée en 2021 à l'initiative de comédiennes (Zita Hanrot, Anna Mouglalis, Ariane Labed, Alma Jodorowsky, entre autres), elle permet à ses membres d'échanger leurs expériences, mais aussi de questionner ensemble les maux du 7ème art, à commencer par les représentations des femmes. “Je suis reconnaissance que cette association existe. M'y engager, ça fait partie de mon début de militantisme. Et là, ce n’est plus la comédienne qui parle, c’est la femme qui fait partie de cette société”, s'exprime Noée Abita. Elle poursuit : “J’aime ce métier, j’aime y travailler et j’ai envie de continuer à m’exprimer à travers lui. Mais je ne veux pas que ça se fasse n’importe comment. Entre actrices par exemple, c’est primordial de se soutenir. La sororité existe et elle est nécessaire. On nous l’a enlevée en nous faisant croire à une potentielle jalousie entre femmes. Ça découle de notre société patriarcale.”

À propos de l'avenir du cinéma français, l'actrice n'est pas dupe : il reste encore un long chemin à parcourir. Pour elle, le cinéma hexagonal est vraisemblablement resté le même qu'autrefois, avec son système d'oppression et de silenciation bien huilé. Elle note toutefois qu'une écoute générale s'amorce. Judith Godrèche va à l’Assemblée nationale, on la reçoit sur des plateaux télé, elle fait la une de journaux... Il était temps !”, s'exclame-t-elle. “Maintenant, j’ose espérer que les agresseurs prennent peur.”

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Pour ce qui est de la suite de sa carrière, Noée Abita se laisse la possibilité de poursuivre ses aspirations : que ce soit en goûtant au cinéma asiatique, qu’elle affectionne tout particulièrement, à commencer par celui ce Kore-eda, en osant enfiler la casquette de réalisatrice ou même en revenant au théâtre, cet art qu’elle avait apprivoisé durant l’enfance. Le rêve américain ? “Je dirais ‘oui, pourquoi pas’ mais ça paraît tellement inaccessible”, avoue-t-elle. La minute d'après, on sourie pourtant en l'entendant affirmer “pas de barrière, pas de frontière” à propos de son futur. Signe qu'un horizon radieux pourrait bien s'offrir à elle.

Première affaire, un film de Victoria Musedlak à découvrir le 24 avril 2024 au cinéma.

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