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Jäde a le remède pour panser nos cœurs brisés

Son premier album, Les Malheurs de Jäde, ressemble à une comptine à la fois douce et amère. Un peu comme le reste de sa discographie. Vogue a rencontré Jäde, chanteuse à l'identité hybride, et résolument joyeuse.
Jäde Les Malheurs de Jäde
© Louise Chevallet

C’est sur X (anciennement Twitter), qu’on le découvre : le morceau le plus écouté par la chanteuse et compositrice Jäde en 2023 est “vampire”, petit tube en puissance de l’Américaine Olivia Rodrigo. Un hymne sanguin plus proche de l’énergie punk rock d’une Avril Lavigne que de l’identité R’n’B de la Française. Pourtant, Jäde le dit elle-même : “Et puis, si ils savent pas où me mettre / Bah, ils ont qu'à me mettre partout”. C'est du moins ce qu'elle affirme dans “Mode d’emploi”, le titre qui clôture Les Malheurs de Jäde, son premier album sorti au cœur du mois de mars. Symptomatique d’une génération qui rejette les cases et se revendique de tous les genres à la fois. Mais pour nous, l’analogie avec la jeune Olivia Rodrigo n’est pas maladroite. Au contraire : elle rapproche deux artistes pour les qualités portées par leurs plumes à la fois drôles, décomplexées et touchantes. Comme l’étendard d’une nouvelle génération de chanteuses qui ne mâchent plus leurs mots pour remettre leurs anciens amants à leur place. Plus le temps. “Studio, j’enchaîne, boy pour m’brancher, faudrait plus qu’un ‘ça dit quoi ?’” chantait Jäde en 2022. Deux ans plus tard, le temps passé en studio est enfin rentabilisé, avec un premier album à la croisée de la pop, du rap et du R’n’B, bourré d’autodérision et de punchlines presque aussi hilarantes qu’elles sont inquiétantes. À cette occasion, Vogue a rencontré la chanteuse autour d'un diabolo grenadine, au cœur du 18ème arrondissement.

Jäde, d'une enfance à Lyon aux premiers concerts à Paris

C’est suffisamment rare dans l’industrie musicale pour le souligner : Jäde (ou Adèle de son vrai prénom) ne vient pas d’une famille de musicien·nes. De mélomanes, tout au plus. La chanteuse se souvient très bien du jour où son père offre une guitare à sa sœur. Le début de longues années que les deux enfants passent à reprendre Katy Perry ensemble. Mais là où l'une se dirige vers une carrière dans l’audiovisuel, Jäde ne démord pas. Elle sera chanteuse, ou rien. Heureusement pour elle, un très bon ami de ses parents travaille dans la musique. De quoi rassurer un couple qui ne connaît rien de cette industrie : “Mes parents étaient très ouverts, ils m'ont plutôt poussée et non bloquée dans ce chemin. C’est une chance, là où beaucoup d'artistes doivent combattre leur famille pour se lancer” explique-t-elle.

Si son amour de la musique ne vient pas de sa famille, Jäde lui doit une rigueur et une éthique peu communes. En témoignent certains titres de son répertoire, à l’instar de “J’boss” (2022) ou du précédemment cité “Mode d’emploi”. Très vite, elle quitte son Lyon natal pour la capitale, où elle espère connecter avec l’écosystème musical, tout en poursuivant ses études : “C’était une période très compliquée financièrement. J’étais boursière, mais je galérais quand même. Au début, mon père m'aidait. Et puis un jour, il a vu mes notes, et il a arrêté. Maintenant je le comprends ! Il savait que je voulais faire de la musique, il me poussait, me disait de trouver une maison de disque, de faire des concerts. Il voulait me responsabiliser”.

Pendant un temps, Jäde jongle entre les jobs étudiants mal payés, les études, et l’écriture de nouveaux morceaux. L’un des premiers à voir le jour est “Miel” en 2017. Aujourd'hui encore, il est toujours disponible sur la plateforme Soundcloud, écurie de presque tous les artistes nés au cœur des années 2010. À l’époque déjà, Jäde déroule une esthétique sirupeuse, aux tonalités roses. Le clip de “Docteur” (2020), un des premiers de l’artiste, en est l’illustration parfaite. De ses cheveux à la fumée qui inonde l’écran : tout est rose. Une imagerie de laquelle Jäde s’est peu à peu détachée, pour mieux y revenir avec son premier album, sorti le 15 mars 2024.

Chansons d'amour pour cœurs sinistrés

Si elle a du mal à se définir musicalement, Jäde se plaît à dire qu’elle “fait du Jäde”. Tout comme Beyoncé annonçait récemment, à propos de son album à venir ce 29 mars : “Ce n’est pas un album de country, c’est un album de Beyoncé”. “Elle m’a copiée !” s’exclame la chanteuse en riant, quand on le lui fait remarquer. Mais qu’est-ce qui fait l’identité Jäde, alors ? Peut-être, avant toute chose, les punchlines. Certaines sont devenues cultes dans sa discographie, comme une boîte d’outils pour résoudre tous nos problèmes relationnels. “J'sais c'que je vaux et ça vaut cher” entonnait-elle, à titre d’exemple dans “Milano” (2020), pour continuer sur “Adèle” : “J'ai des rêves et j'ai d'l'ambition / Sur la planète des comme toi y en a des millions” un an plus tard. “C'est trop drôle de voir que quand j'étais plus jeune, j'avais encore moins de barrières…” remarque Jäde.

Ainsi s’est bâtie la discographie de l’artiste : comme un ping-pong constant avec les hommes de sa vie, perçus comme des incapables, parfois même des moins que rien. “Moi je pense pas au public quand j'écris, je pense qu'à moi et à mes vieux gars !” plaisante-t-elle (à moitié). De quoi nous donner envie de l’interroger sur sa capacité à conserver son âme romantique, après avoir vécu autant de désillusions. “Et bien je suis bête !, explose-t-elle en riant. Plus sérieusement, c’est vrai que j’ai tendance à être très sensible et naïve, mais aujourd'hui j'ai du recul pour me dire qu’ils n’étaient pas les bonnes personnes pour moi. Ça ne va pas détruire mon futur. Il faut séparer le passé du présent”. Une distance qui permet à l’artiste de décortiquer son cœur pour coucher ses peines sur le papier, et bâtir une discographie entière sur des ruptures répétées. Ce que Jäde est parvenue à conjurer avec son premier album, par peur de tourner en rond. Ainsi, Les Malheurs de Jäde, bien que rythmé par de nombreuses chansons d’amour (ou plutôt de désamour), permet à la jeune femme de faire son auto-portrait, comme le cliché des émotions qui l’ont parcourue au cours des deux dernières années. “Morale de l'album, c'est que j'ai pas trop l'moral” entend-t-on sur “Mode d’emploi”, morceau conclusif s’il en est.

© Louise Chevallet

Les Malheurs de Jäde, plus qu'une comptine pour enfants

Après deux EPs (Première fois et Romance) et une mixtape (Météo), on aurait pu penser que Jäde irait, pour son premier album, s’aventurer vers des contrées plus lointaines. C’est tout le contraire. Avec Les Malheurs de Jäde, la chanteuse s’est retrouvée seule chez elle, entre ses notes et son clavier. Seule une excursion à Londres a ponctué la confection du disque, grâce à laquelle elle est partie dans les pas de ses idoles, de FKA Twigs à Shygirl, en passant par PinkPantheress. Pourtant, ce n'est pas une star de la production anglaise que l'on retrouve derrière les contours musicaux des Malheurs de Jäde, mais Kofi Bae et Roseboy666, les producteurs de prédilection de l'artiste. Une manière de renouer avec ses premières amours, tant dans la musique que dans l’image. Elle s’est à nouveau teint les cheveux en rose, et a choisi, pour titrer le projet, de faire référence à un dessin animé diffusé à l’aube des années 2000 en France. Les Malheurs de Sophie conte, c’est couru, les mésaventures d’une enfant maladroite. “Ce qui me plait, c’est l'insouciance liée au monde de l’enfance. On a des problèmes minuscules, qui disparaissent aussi vite qu’ils sont arrivés. On perd ça, une fois adulte” narre l’intéressée.

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La confection des Malheurs de Jäde ne s’est pourtant pas faite en un jour. Deux ans, c’était la période nécessaire pour l’artiste afin de pondre les onze titres de l’opus. “J’écris seulement quand je suis inspirée, et le reste du temps, j’attends” explique Jäde. Un temps de réflexion grâce auquel elle a privilégié une écriture nourrie d’autodérision, dans une volonté de rire de tout, mais surtout d’elle-même. En cela, Les Malheurs de Jäde apparaît comme le disque parfait à écouter à l’aube du printemps en sirotant un diabolo grenadine tout en pensant à sa nouvelle idylle. Et surtout à la manière dont elle va se terminer.

Jäde sera en concert à la Gaîté Lyrique (Paris), le 18 avril prochain.

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