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Rencontre avec Erika de Casier, la productrice danoise qui explore les affres du désir

Avec Still, son troisième album, Erika de Casier s’impose un peu plus comme l’une des productrices R’n’B les plus talentueuses du moment. Récemment, elle œuvrait derrière Get Up, le deuxième EP du groupe NewJeans. Rencontre.
Erika de Casier  Still
© Colin Solal Cardo

48. C’est le nombre de répétitions du mot sexy dans “Home Alone”, deuxième morceau de Still, le nouvel album de la productrice danoise Erika de Casier. De quoi donner le ton d’un album qui, imaginé comme une photo de la vie de l’artiste à un moment donné, fait du désir le cœur de son discours sirupeux. Depuis ses débuts, la chanteuse et musicienne a habitué son audience à des sonorités moelleuses et sucrées, baignées dans des influences du R’n’B des années 2000, tout en se voyant revisitées avec une modernité percutante. Un regard neuf, et singulier. C’est dire : il n’y a pas deux Erika de Casier aujourd’hui, sur le paysage musical international. Chacune de ses sorties se distingue par la multitude de ses références et le soin apporté aux productions, dont les couches se superposent sans jamais se faire de l’ombre. Récemment, c’est le groupe de Kpop NewJeans qui s’offrait les talents de la productrice danoise, afin de confectionner l’EP Get Up (2023).

Alors qu’Erika de Casier était de passage à Paris à l'occasion de la Fashion Week, Vogue en a profité pour rencontrer l’une des productrices les plus talentueuses du moment, avant qu’elle ne reparte vers Copenhague, la ville qui l’a vue grandir et qu’elle a choisi comme berceau créatif, devant Berlin, Londres ou Paris.

Erika de Casier, ou comment transcrire le désir en musique

C’est la première chose qu’on lui confie, au début de notre entretien : Still est non seulement notre album favori de ce début d’année, mais surtout l’album le plus excitant que nous ayons écouté depuis un moment. Ce qui provoque chez Erika de Casier un gigantesque éclat de rire : “Vous avez raison, je ne peux qu’être d’accord avec vous, se voit-elle contrainte de répondre. Je crois que j’avais envie de faire des chansons sexy, et pousser les curseurs de l'exagération. Mais ce qui me plaît avec ce nouvel album, c'est de mélanger ces chansons avec des ballades sur mon anxiété, par exemple. Still touche à différents aspects de ma vie, et le sexe en fait partie”.

Depuis Essentials, son premier album sorti en 2019, Erika de Casier a tracé les contours d’un R’n’B intime et sensuel, dont les paroles évoquent le plus souvent les affres du désir, des amours passionnés et la difficulté de nouer des relations profondes et riches. “Puppy Love”, un morceau qui figure sur ce premier opus, en témoigne : “Est-ce bien vrai que tu n’as jamais aimé personne d’autre que moi ? / Et que tu n’as jamais regardé personne d’autre que moi ?” s’interroge la Danoise face à l’être aimé. Face à nous, elle acquiesce : “L’amour est définitivement une source infinie d'inspiration. Selon où vous en êtes dans votre vie, il peut signifier des choses différentes. Il y a l'amour que vous portez à votre famille, l'amour que vous portez à un partenaire, celui que vous portez à vos ami·es…”.

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Entre la productrice et la popstar, une troisième voie

On lui pose la question, mais on connaît déjà la réponse. Entre le studio et la scène, Erika de Casier ne réfléchit pas : elle préfère largement le confort apporté par les quatre murs de son studio. La scène, pour elle, peut parfois s’apparenter à une torture moderne : “Encore aujourd’hui, j’ai le trac avant de monter sur scène. Je dois faire très attention à ce que je fais, ou je peux me perdre très facilement, confie l’artiste de trente-trois ans. Si je n'ai pas fait de concert pendant longtemps, le moment où je remets les pieds sur scène, c’est comme si je performais pour la toute première fois, tout mon corps se met à trembler !”.

Cette timidité, Erika de Casier la traîne depuis des années déjà. À vingt ans, elle suit une formation de musiques électroniques, mais n’ose en parler à personne. Elle a pourtant déjà commencé à écrire ses propres chansons, et ce dès l’époque où elle n’était qu’une lycéenne, mais ne pense pas qu’un jour, la musique puisse devenir l’un des piliers de sa vie : “C’était plutôt un hobby, juste avant de commencer l’université, se souvient-elle. Et puis, plus le temps passait, plus j’avais envie de poursuivre ce désir. J’avais peur de l'affirmer à haute voix, par peur de l'échec. J'en rêvais, mais j'avais peur d'en rêver”. À peu près au même moment, l’apprentie musicienne croise une amie d’enfance, qui lui rafraîchit la mémoire : alors qu’elle était encore toute petite, Erika de Casier assenait à qui voulait l’entendre qu’elle allait devenir une star, tout en chantant devant son miroir, aux rythmes des tubes de Britney Spears et des Destiny’s Child. “Moi qui croyais que ma passion était secrète…” sourit l’artiste.

Aujourd’hui, difficile d’imaginer Erika de Casier en popstar, tant elle est une artiste discrète. Seul·es celles et ceux qui s’intéressent à la production musicale savent qu’elle a œuvré derrière l’EP Get Up de NewJeans, l’un des groupes émergents les plus suivis du moment. D’ailleurs, elle le répète : loin d’elle l’envie de se retrouver sous le feu des projecteurs. “Il y a un enfant en moi, qui a soif d'être vu et apprécié pour ce qu'il fait, et un adulte, qui n'aime pas vraiment être au centre de l'attention, explique-t-elle. D'un côté, vous avez donc le fantasme de la popstar, et de l'autre, la réalité. Je ne pourrais pas gérer autant de pression ! C'est malsain d'obtenir autant d'attention, et même dangereux – d’autant plus à une époque où le discours sur la santé mentale est omniprésent”.

Erika de Casier© Colin Solal Cardo

Still, un troisième album comme un catalyseur d'influences

Bienvenue / Ça va être très drôle” : tels sont les mots qui ouvrent Still, au sein du morceau liminaire “Right This Way”. Comme une invitation à pénétrer dans le monde d’Erika de Casier, un monde composé d’une multitude d’influences, qui prennent chacune leurs racines au cœur des années 2000. En effet, dès le troisième morceau, “Lucky”, on perçoit dès les premières secondes un sample de l’artiste anglaise et hongroise Linda Király, avant que les rythmes drum’n’bass d’Erika de Casier ne démarrent. Le morceau samplé, “Can’t Let Go” (2006), ne porte en lui pas d’éléments particulièrement remarquables ; la musicienne le confie elle-même, elle trouve cette mélodie au cœur d’une banque de samples. Mais c’est du côté de la composition que les choses deviennent intéressantes : “Can’t Let Go” a été co-écrit par Rodney Jerkins alias Darkchild, producteur récompensé de multiples Grammy Awards, à l’œuvre derrière des tubes du R’n’B des années 2000 comme “The Boy Is Mine” de Brandy, “Say My Name” des Destiny’s Child ou encore “Deja Vu” de Beyoncé. “Je ne connaissais aucunement Linda Király, mais j’adore Darkchild ! C’est un producteur exceptionnel et surtout l’une de mes plus grandes sources d'inspiration. C’était précieux qu’il fasse partie de cet album, explique Erika de Casier. J'avais peur de devoir affronter une armée d'avocats pour obtenir les droits du sample, mais heureusement, tout s'est bien terminé”.

Une autre inspiration de la productrice danoise se niche au cœur du morceau “The Princess”, probablement l’un des plus mélancoliques de l’album, où elle évoque la lutte constante pour atteindre un équilibre parfait entre les attentes de la société et la recherche d’épanouissement personnel : “Je veux être une mère / et toujours pouvoir faire mon travail” entonne-t-elle. “La plus grande inspiration de ce morceau est la chanson “Everytime” de Britney Spears, avoue-t-elle. C'est une chanson sublime, une des seules qu'elle a pu écrire seule”. Comme la preuve ultime que l’univers d’Erika de Casier se situe quelque part à la croisée de la pop et du R’n’B, sans pour autant choisir entre les deux. “Je suis comme une boule de références, poursuit-elle. C'est pour cela que l'album s'appelle Still : c'est une image de ce que j'ai été à un moment particulier de ma vie”.

Erika de Casier sera en concert à la Gaîté Lyrique (Paris), le 23 mai 2024.

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