Interview

“Très souvent, le corps se constitue comme un signal quand on n’est pas à l’écoute de son cœur”, Laurie Darmon se confie sur son projet Corps à Cœurs

Après avoir guéri d'une anorexie mentale, la chanteuse Laurie Darmon a créé Corps à Cœurs pour libérer la parole sur l'acceptation de soi. Trois ans plus tard, des dizaines de personnalités dont Louane et Charles de Vilmorin ont participé à ce projet décliné en spectacles, livre et podcast, qui touche de plus en plus de monde. Rencontre.
Laurie Darmon  Corps à Coeurs
Carmen Alessandrin

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En parallèle de sa carrière de chanteuse, Laurie Darmon porte haut et fort son projet Corps à Cœurs qui s'est vu décliner depuis 2021 en une soirée de performances, une chanson, un livre et un podcast. Adolescente, elle tombe dans l'anorexie mentale. Cette maladie insidieuse méconnue la suivra pendant 10 ans jusqu'à ce qu'elle s'en libère petit à petit en s'acceptant enfin telle qu'elle est : artiste ultra-créative et hors des normes. S'enfermer dans un moule prédéfini, Laurie Darmon se l'ait fait subir durant un long moment en suivant, par exemple, des études de droit avant de comprendre qu'elle devait suivre sa passion pour la musique et la création. À 17 ans, elle tombe dans l'anorexie mentale, à 21 ans, elle arrête ses études pour vivre de la musique et à 27 ans, elle guérit de la maladie. Un long chemin d'acceptation de soi et de sa vision du corps que la douce Laurie Darmon souhaite maintenant partager avec Corps à Cœurs.

Cette renaissance personnelle l'inspire évidemment dans son art, mais c'est sa générosité naturelle et son envie de partage qui poussent Laurie Darmon à donner vie à son projet dès 2021 afin de libérer la parole des jeunes générations. Comme on peut le lire en incipit de son livre (Corps à Cœurs, publié aux éditions Robert Laffont en janvier 2024) : “C'est alors que me vient cette idée : si les personnes qui prennent la lumière racontaient elles-mêmes comment elles se sentent pour de vrai quand on éteint les projecteurs, qu'on enlève les artifices et qu'on ne se cache derrière aucune parade, cela pourrait-il changer un peu la donne ?” Louane (qui y a créé son désormais tube Secrets), Laury Thilleman, Charles de Vilmorin, Joyce Jonathan, Benjamin Siksou, Irma, Hugo Bardin aka Paloma, Marie-Flore, Ben Mazué… Depuis le début, des dizaines de personnalités se sont prêtées au jeu des confidences au micro de Laurie Darmon lors d'interviews ou de performances artistiques toutes liées par cette notion du rapport au corps. Et ce n'est que le début pour Corps à Cœurs qui prend encore plus d'ampleur en 2024 ! Rencontre lumineuse avec Laurie Darmon autour de ce mouvement essentiel d'acceptation, son oeuvre d'artiste mais aussi son rapport au Désir au sens large.

Carmen Alessandrin

La chanteuse Laurie Darmon se livre en toute intimité sur son projet Corps à Cœurs

Vogue France. Peux-tu revenir rapidement sur la genèse de Corps à Cœurs ?

Laurie Darmon. J’ai créé ce projet à partir de mon parcours personnel marqué par une anorexie mentale que j’ai traversée entre mes 17 et 27 ans. Lorsque j’ai été guérie, j’ai spontanément écrit un texte un matin dans lequel je racontais ces dix années de maladie et de guérison : c’est devenu un titre qui s’appelle Mai 2018 que j’ai sorti sur toutes les plateformes un an plus tard. J’ai alors reçu de nombreux messages et témoignages qui m’ont permis de prendre conscience que le sujet des troubles du comportement alimentaire et plus largement du rapport au corps touchait beaucoup plus de monde que ce qu’on veut bien en dire. J’ai alors organisé des showcase-talk en tout petit comité où je racontais ce parcours et j’interagissais avec le public. Les moments d’échange étaient forts et passionnants. Puis le Covid est passé par-là, tout a été mis en pause et dans le même temps une certaine parole s’est libérée, les gens se sont rapprochés d’eux-mêmes, se questionnant sur le sens de leur vie avec une forme de sincérité permise par le ralentissement du confinement. Je me suis alors dit que lorsque les show seraient de nouveau autorisés, il serait possible de créer cette fois-ci un moment d’échange collectif où des personnalités publiques viennent raconter leur rapport au corps et la façon dont elles s’acceptent. Je sentais que les personnalités, le public et les salles étaient prêts à faire cette expérience-là et j’ai donc créé Corps à Cœurs fin 2021 avec une première édition qui a eu lieu au Grand Rex en mai 2022.

En quoi ton histoire personnelle et le fait de te livrer inspirent ton art sous toutes ses formes ?

Je crois que depuis petite, j’ai toujours eu une appétence pour l’expression et la création, avant même d’inscrire cela dans la musique. La musique est une des manières de s’exprimer artistiquement, mais avant la musique il y a l’expression artistique pure. J’ai toujours aimé écrire et je ne me suis jamais cantonnée à une seule forme d’écriture. Plus jeune, je créais des campagnes de publicité que j’écrivais et que j’enregistrais avec des amies. J’écrivais également des histoires, des textes une pièce de théâtre. J’avais inventé une comédie musicale, créé des chorégraphies. Bref, toutes les formes d’expression m’ont toujours parlées et je me suis publiquement dirigée vers la musique en premier parce que c’est celle avec laquelle j’ai réussi le plus vite à aboutir un projet d’expression artistique, mais je ne me suis jamais dit que cela signifierait que je renonçais aux autres formes d’art. Je crois qu’en fonction du message qu’on veut délivrer, il y a des formes d’art plus ou moins adaptées et qu’il ne faut pas s’empêcher d’aller les expérimenter, comme un enfant qui s’essaie spontanément aux choses qui l’entourent sans se demander en amont s’il est légitime à le faire.

En quoi, selon toi, le Corps et le Cœur peuvent souvent être décorellés dans notre société actuelle ?

Le Corps et le Cœur me semblent très souvent envisagés en étant très détachés l’un de l’autre dans la société actuelle. Déjà, ils sont la plupart du temps relégués au second plan, considérés comme des sujets non essentiels qu’on traitera plus tard si on a le temps. Ensuite, on remarque que le corps est souvent associé à un moyen (de se déplacer d’un point A à un point B, de se présenter, etc.) pour atteindre une fin en soi. Le cœur quant à lui est relégué à un imaginaire plus sentimental et plus féminin qui flirte avec le pathos et l’idée qu’on se fait des films à l’eau de rose.

Je considère au contraire que ces deux éléments constituent l’essence de toutes les actions qu’on mène ensuite pour dérouler sa vie, sa vie intérieure puis celle qui s’adresse davantage à la société en fonction de ce qu’on fait valoir publiquement, des combats qu’on mène ou pas, etc. Il faut d’abord partir de l’intérieur, le reste n’en est que le reflet. Et j’ai pu remarquer, à travers ma guérison qui fut longue, qu’à mesure que j’acceptais profondément qui j’étais en étant à l’écoute de mon cœur - donc en faisant droit à ma singularité et à mes désirs - mon rapport avec mon propre corps s’apaisait. Je crois que très souvent le corps se constitue comme un signal quand on n’est pas à l’écoute de son cœur. Il est comme le porte-parole de notre inconscient quand on refuse de prendre conscience de certaines choses qui peuvent être plus ou moins dures à assumer, à réaliser ou à accepter et qu’on a donc refoulées dans notre inconscient. Il faut être à l’écoute pour ne pas passer à côté de sa vie. Je crois que c’est cet alignement-là qui fait qu’on réussit sa vie, ce qui est très différent de “réussir dans la vie”, notion mise en avant par la société, et ce à très mauvais escient. La nuance paraît légère, mais il y a un monde entier qui s’y joue.

Peux-tu nous parler du Désir, thème récurrent dans ton œuvre dorénavant.

J’aime bien parler de Désir avec un D majuscule, en faisant référence au sens le plus large de ce terme. Je me suis rendue compte à travers mon parcours qu’à mesure que je persévérais dans une vie quelque peu prescrite par la société, j’avais faits miens des désirs dénués de ma propre singularité. Autrement dit, je croyais désirer des choses et une manière de les atteindre que n’importe qui aurait pu désirer. Et petit à petit, j’ai vu mon Désir s’éteindre de manière générale. J’entends par là “l’envie de” me lever le matin, de découvrir, de construire, de devenir, etc. J’ai senti que m’avait quittée cette chose que je croyais innée, alors que je faisais tout bien pour que cela advienne. Quand j’ai fait ce constat très difficile, j’ai entamé une longue quête pour retrouver mon Désir, une quête dont je n’avais ni la notice ni la certitude de sa finalité. J’ai ainsi pu me rendre compte que le Désir est une notion très sérieuse qui demande un effort qui dure toute la vie afin de le maintenir à flot. Cela demande d’écouter son intuition, son instinct - une notion essentielle qu’on nous apprend au contraire à mettre en quarantaine voire à regarder dès la petite enfance comme le signe de la déraison - et d’oser exaucer dans la réalité ce que ça raconte. Le Désir peut être exigeant, c’est difficile de lui être fidèle. Parfois cela parle d’une orientation sexuelle ou professionnelle refusée dans l’environnement familial ou sociétal qu’on essaie alors d’étouffer, parfois cela parle d’une vision des relations humaines qui n’a rien d’aussi conventionnel que ce qui est défini par la société comme étant la norme. J’aime beaucoup la philosophie et notamment cette phrase de Spinoza, “Le désir est l’essence même de l’homme, c’est-à-dire l’effort par lequel l’homme s’efforce de persévérer dans son être”. C’est très juste je trouve. Le mot désir renvoie très souvent au désir sexuel et donc à une certaine légèreté dans l’imaginaire collectif. Mais il n’y a rien de plus sérieux que le Désir, et la vraie légèreté, celle qui n’est pas le signe d’une fuite en avant, est quelque chose de difficile à atteindre.

Enfin, j’ai consacré dans mon dernier album La traversée du Désir une chanson (Fidélité.com) dans laquelle je questionne la notion de désir et la première phrase c’est “Le Désir est un savant jeu d’équilibre entre la présence et l’absence”. Je crois que le vrai Désir nous maintient parce qu’il n’est jamais entièrement assouvi, on s’en rapproche, on l’appréhende, on continue d’avoir envie parce que l’exaucer dure toute une vie.

Charles de Vilmorin, Joyce Jonathan, Laury Thilleman, Benjamin Siksou... Parmi les 9 personnalités que tu as interviewées dans ton livre plus toutes celles qui interviennent dans ton spectacle et dans ton podcast, comment les as-tu choisies ? Quels sont leurs retours d'expériences (une catharsis ?) après s'être livrées à toi et ton public ?

Je les ai choisies en fonction de ce qu’elles m’inspiraient. Pour certaines de ces personnalités, ce sont des amies, donc je les connais davantage et j’ai des discussions avec elles dans l’intime donc je savais qu’elles contiennent des clés pertinentes à partager au plus grand nombre. Pour d’autres, je les trouves inspirantes et je sentais que la puissance et l’authenticité de leur propos artistique résulte certainement de parcours d’acceptation de soi pas évidents que je devinais captivants. Cela transpire l’espoir qu’on ne voit pas ou plus, et c’est précisément cette notion qu’il est bon d’entendre et de faire rayonner.

Leurs retours d’expériences m’ont bouleversée car en effet, pour la plupart d’entre eux, cela fut salvateur. Ils se sont confiés avec une sincérité sans pareille et sont descendus en profondeur avec moi pendant l’entretien, se questionnant sous mes yeux, se souvenant aussi. Pour Joyce par exemple, ce fut la première fois qu’elle prononçait même auprès d’elle-même l’intégralité d’un parcours très compliqué qu’elle n’avait jamais autant regardé en face. Pour Irma aussi.

La soirée Corps à Coeurs de 2024

Mila Runser

Peux-tu nous partager un passage ou une anecdote de ton livre pour donner envie à nos lecteurs d'en lire plus ?

J’ai mis dans le livre des extraits des journaux intimes que j’ai tenus dès l’enfance, et notamment celui-ci que je trouve intéressant en ce qu’il raconte, sans aucune forme de censure, comment je percevais la beauté et quelle place je lui attribuais quand j’avais 13 ans. Je trouve que cela raconte bien des choses sur notre société et les années 2000 :

“12 décembre 2004 : Comme l’a dit une amie dans une de ses expressions libres, la beauté extérieure est presque inutile pour aimer quelqu’un, ce qui compte, c’est la beauté intérieure. Mais moi, je n’arrive pas à me résoudre à cette vérité cruelle. J’ai totalement tort, c’est un de mes gros défauts, mais à mes yeux la beauté physique est très importante. Je veux être belle comme tout le monde, mais aussi la plus belle. C’est si mal de penser ainsi. Je regarde aussi beaucoup le physique des personnes qui m’entourent mais bien moins que le mien. J’ai conscience que j’ai totalement tort de voir les choses de cette façon, et c’est peut‐être le début de mon autoguérison…”

Après une soirée qui revient chaque année, une chanson, un livre et un podcast, jusqu'où aimerais-tu qu'aille Corps à Cœurs ?

Le plus loin possible, au-delà des frontières françaises peut-être. Je me dis que ce projet aborde des notions fleuves et universelles, longtemps restées taboues et qui méritent d’être mises en lumière et sous toutes les formes possibles pour rayonner et toucher le plus grand nombre…

Quel impact ressens-tu déjà depuis la création de Corps à Cœurs ?

Je suis inondée de messages, de témoignages et de confidences de la part du public et ça me bouleverse. Certains me disent qu’ils ignoraient leurs propres troubles dans leur rapport au corps, leurs désirs profonds contrariés, et qu’ils viennent de prendre conscience d’un point de départ qui peut changer leur trajectoire de vie, d’autres me disent qu’ils se sont sentis bien le temps d’une soirée, en se rendant compte qu’ils n’étaient pas seuls à ne pas s’accepter comme ils sont, d’autres encore me disent qu’ils ont trouvé de l’espoir, du réconfort, ou des clés pour aller de l’avant. C’est immense.

Sur un plan plus personnel, ce projet remue très fort le parcours qui fut le mien. Dénoncer l’anorexie avec une telle lucidité en dévoilant son mode opératoire, alors qu’elle m’a tenue dans le silence et le déni pendant des années, c’est parfois un peu difficile, comme si je la mettais au défi en lui désobéissant de la manière la plus provocante, mais c’est salvateur.

Que voudrais-tu dire à la jeune Laurie avant que le trouble alimentaire ne s'installe ?

Je lui dirais de s’écouter profondément, de n’avoir pas honte d’être différente ni d’être vulnérable. De ne pas consacrer son énergie à façonner son masque social, mais au contraire de consacrer son temps à assumer qui elle est elle, que ça plaise ou non, car ça prend du temps de s’accepter. De se fier à son intuition, de ne pas refouler sa spontanéité, de la laisser s’échapper sans avoir peur de ce qu’on va penser. Je lui dirais d’oser exister librement et de ne jamais craindre cette liberté.

En quoi la mode et les magazines dits “féminins” participent selon toi à une vision erronée du corps, encore plus chez les jeunes ? As-tu l'impression que les choses changent ?

Quand on est né dans les années 1990 comme moi, on forme son imagerie collective dans les années 1990-2000 à une époque où les magazines féminins glorifient le corps maigre et s’approchent d’une perfection visuelle permise par les avancées technologiques qui font des “filtres beauté” - ceux qui lissent la peau notamment - des outils tout-puissants. Je crois que cela marque l’idée d’un canon de beauté type, d’une norme à laquelle il faut correspondre pour être accepté par la société. C’est dangereux car ça trouble la perception que l’on a de soi, et la façon dont on apprécie ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Ça institue en silence une silhouette qu’il faut incarner sinon quoi on serait dans le rouge, on déborderait, on dépasserait. Les magazines féminins, sans volonté première d’avoir cette conséquence-là, ont beaucoup oeuvré pour insuffler cette pensée, en préconisant, en plus des visuels qu’on y trouvait, des méthodes en tout genre pour perdre du poids ou avoir un “summer body”, etc. Je trouve que ça s’est adouci, on voit de plus en plus de femmes qui ont des formes et sont mises en avant dans les magazines et les publicités, et cela a une influence directe sur la tolérance et la bienveillance qu’on a envers soi-même.

On sous-estime souvent l’impact de l’imagerie que l’on reçoit sur la façon dont on se regarde, mais c’est beaucoup plus diffus qu’on ne l’imagine, surtout quand on est jeune car c’est à ce moment-là qu’elle se construit, et déconstruire ce qui a été construit c’est très difficile. Je pense que les générations qui arrivent, si elles sont préservées de l’imagerie que nous avons connue, ne construiront pas leur “sens” de la norme selon les mêmes critères et c’est une excellente chose. En revanche, il va falloir dealer avec le désastre des filtres virtuels sur les réseaux sociaux…

Corps à Cœurs résumé en 3 mots.

Vulnérabilité, singularité et tolérance.

Livre Corps à Coeurs par Laurie Darmon

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