interview

Rencontre avec Diane Von Furstenberg : “Je ne comprends pas les femmes qui ont peur de vieillir !”

Son parcours est celui d'une femme qui n'a fait aucun compromis. Diane Von Furstenberg est à l'honneur du documentaire Diane von Furstenberg : impératrice de la mode, réalisé par Sharmeen Obaid-Chinoy et Trish Dalton. L'occasion de rencontrer l'icône.
Diane von Furstenberg  Disney  Woman in Charge
© Carmen De Vos

Tout commence par un plan. Celui d'une femme de 76 ans assise dans son lavabo, face à son miroir. C'est en tout cas celui que l'on retient de Diane Von Furstenberg, impératrice de la mode, documentaire consacré à celle qui semble avoir tout accompli. Femme d'affaires, princesse, divorcée, remariée, mère, modèle, aventurière… Diane Von Furstenberg a joué de nombreux rôles au cours de sa vie, et semble s'en amuser, à l'autre bout du fil. “Ce n'est pas que je suis arrogante, mais avec l'âge, on acquiert une certaine sagesse” soupire-t-elle dans un sourire, avant de nous demander notre âge. “26 ans”, répond-t-on. “Ah, c'est le début !” s'exclame-t-elle, avant de se lancer dans la périlleuse mission de nous donner ses conseils les plus précieux. Le début de quoi ? On ne saurait dire. D'une grande aventure, peut-être, comme en ont rendu compte les réalisatrices Sharmeen Obaid-Chinoy et Trish Dalton dans Diane Von Furstenberg, impératrice de la mode. Celle qui a révolutionné la mode pour femmes avec sa robe cache-cœur aux imprimés colorés ne s'en cache plus : elle traverse sereinement l'hiver de sa vie, qu'elle a choisi d'installer à Venise. Aujourd'hui, elle se raconte de manière inédite face à la caméra. Pour Vogue, elle explique ses motivations, et les clefs de son succès. Toujours avec une certaine malice.

© Thomas Whiteside

Rencontre avec Diane Von Furstenberg à l'occasion du documentaire Diane von Furstenberg : impératrice de la mode

Vogue. Après avoir écrit un livre, vous décidez de raconter votre histoire dans un documentaire !

Diane Von Furstenberg. À l'origine, j'ai connu Sharmeen Obaid-Chinoy car je lui ai remis un prix il y a quelques années. Avec elle, je voulais faire des films sur les femmes que j'aime. On a essayé de vendre ça à plusieurs chaînes, qui n'étaient absolument pas intéressées ! Ces chaînes voulaient un film sur moi, ce que je refusais d'envisager à l'époque. C'est Sharmeen qui m'a fait comprendre qu'à travers moi, on pouvait faire passer un message, et parler des femmes. C'est comme ça qu'elle m'a convaincue ! Et puis, à partir de ce moment-là, j'ai abandonné l'idée d'être productrice, je me suis retirée pour ne devenir que le sujet. Je dois vous l'avouer : c'est beaucoup plus agréable, et même très intéressant.

Comment s'est déroulé le premier visionnage ?

Au début, je refusais de le voir. Mais Sharmeen a beaucoup insisté, donc j'ai fini par céder, il y a deux mois environ. Et cette séance… c'était comme être chez le gynécologue pendant une heure et demie. Pendant les semaines qui ont suivi, j'étais horrifiée. J'avais l'impression d'avoir prostitué ma famille. Puis, le film a été sélectionné pour ouvrir le festival de Tribeca. J'ai donc pu le voir avec un public autour de moi, dont mon fils et mon mari. Ça m'a aidé à l'accepter. Ce que j'aime à propos de ce film, c'est qu'il est très honnête.

Pourquoi était-ce si difficile d'accepter que l'on fasse un film sur votre vie ?

Je ne sais pas… j'avais l'impression d'avoir déjà tout dit. Alors qu'aujourd'hui, je comprends que le réalisatrices m'ont fait un très beau cadeau. L'honnêteté, c'est ce que j'admire par-dessus tout. C'est très amusant car j'ai réalisé, et je vous le dis car vous êtes jeune : être vous-même, c'est le grand secret. C'est la liberté. La relation la plus importante de votre vie, c'est celle que vous avez avec vous-même. Si vous osez être vous-même, et je sais que ce n'est pas facile, vous être libre.

Votre mère a quitté votre père pour un autre homme. J'imagine que vous avez hérité de son sens de la liberté.

Et je ne l'ai jamais jugée pour ça ! Vous savez, quand vous avez une mère forte, vous essayez de prendre vos distances, car elle peut vous étouffer. Mais j'ai aussi compris à quel point son éducation m'avait forgée. Elle ne voulait pas que j'ai peur, elle voulait m'équiper, elle qui avait vécu des choses épouvantables. Ses deux grandes leçons étaient les suivantes : la peur, ça ne sert à rien et il ne faut jamais être une victime. J'ajouterai une troisième : vous ne savez jamais ce qui peut être bon pour vous. Avant de partir à Auschwitz, ma mère s'était fait une amie en prison. Elle s'était jurée de ne jamais abandonner cette femme. En arrivant au camp, il y avait une sélection. À son amie, on a ordonné d'aller à droite, et à ma mère, d'aller à gauche. Elle n'a pas écouté, et a suivi son amie ! C'est un type en blanc qui a attrapé ma mère pour la jeter de l'autre côté. Elle m'a confié n'avoir jamais détesté quelqu'un autant. Et bien figurez-vous que ce fameux type, c'était Josef Mengele, l'ange de la mort, et qu'il lui a sauvé la vie. Il l'a sortie de la chambre à gaz. C'est une énorme leçon. Quand il vous arrive quelque chose qui n'était pas ce que vous souhaitiez, ça ouvre une autre porte. Heureusement pour moi, je n'ai jamais vécu un moment aussi fort.

© Mireille Roobaert

On croise de nombreuses personnalités dans ce documentaire, dont l'autrice féministe Gloria Steinem !

C'est quelqu'un que j'admirais beaucoup quand je suis arrivée à New York. Et puis je l'ai connue. À travers les années, nous sommes devenues amies. En vérité, il y a encore plus de personnes interviewées que toutes celles que l'on voit dans le film. Et vous savez, je commence à accumuler un certain nombre d'archives. Par exemple, ma mère nous a quittés il y a 24 ans, mais j'avais conservé cet entretien filmé que l'on a pu ajouter au montage. Il est précieux, d'autant plus qu'elle ne me disait pas beaucoup qu'elle était fière de moi. Ce n'était pas vraiment son genre.

Une autre femme, puisque l'on parle de celles qui ont marqué votre vie, c'est Diana Vreeland. La seule qui a réussi à vous intimider, selon vos propres mots. Qu'est-ce qui la rendait si impressionnante ?

À mon avis, elle en jouait beaucoup. C'était son personnage, un vrai personnage. Une femme qui a dû se faire ! Mais la réalité, c'est que derrière la façade, elle était d'une grande générosité. Elle a bâti les carrières d'énormément de gens, elle était d'une créativité folle. Elle donnait des appareils photos à de jeunes gens et les envoyait faire le tour du monde. Une autre époque !

Vos premiers pas dans la mode, on peut les situer lorsque vous découvrez, en Italie, les usines Ferragamo…

Ah non ! Mes premiers pas dans la mode, c'était à Paris, en plein mai 68. C'est pour ça que je suis vite partie, d'ailleurs… Je travaillais dans une agence. C'était le monde de l'image, les balbutiements de la publicité. Ensuite, j'ai rencontré le père d'un ami d'Egon [von Furstenberg] qui m'a convié en Italie pour visiter ses usines d'impression. C'est là que j'ai tout appris sur les imprimés. Pendant ce temps, il a acheté une seconde usine qui fabriquait des bas, pleine de tricoteuses tubulaires. Il les a utilisées avec des fils plus épais : c'est comme ça que le jersey est né. Et moi j'étais là, par hasard !

Mais avant tout cela, à quoi ressemblait votre relation avec la mode ?

Je n'étais pas particulièrement intéressée par la mode. Ce qui m'intéressait, c'était devenir une femme libre. Une femme aux commandes. Je ne savais pas ce que j'allais faire, mais je savais très bien quelle était la sensation que je voulais éprouver. C'est en cherchant cette sensation que j'ai trouvé ma vocation.

Après toutes ces années, comprenez-vous le succès de votre robe cache-cœur ?

Et bien non. Avant tout, je faisais des robes tee-shirts. Puis j'ai continué avec la robe chemisier. Ensuite l'idée du cache-coeur m'est venue, comme ceux que portaient les danseuses de ballet. Les premiers, je les faisais avec des hauts assortis et des pantalons assortis. Seulement après, c'est devenu une robe. Quant à identifier son succès… Je pense que c'est d'abord dû à son tissu. Vous savez, Christian Lacroix m'a dit une fois : “Les hommes stylistes font des costumes. Les femmes stylistes font des vêtements”. Prenez le jersey : les hommes stylistes ne l'aiment pas. Ce n'est pas un tissu qui fait rêver quand on le regarde ! Alors que toutes les femmes stylistes ont utilisé le jersey : Sonia Rykiel, Gabrielle Chanel, Donna Karan. Et moi, j'ai utilisé des imprimés pour créer du mouvement qui, avec la robe cache-cœur, vous embrasse le corps. Tout ça ensemble, ça fait le succès de la robe !

C'est une robe aussi facile à mettre qu'à enlever…

C'est-à-dire que c'est pratique. Moi j'aime les choses pratiques ! Et ce que j'aime dans la mode, ce sont les uniformes. Quand quelque chose me plaît, je le mets tout le temps.

Pourtant, vous ne l'avez pas tant portée, cette fameuse robe. À quoi ressemble votre uniforme aujourd'hui ?

C'est vrai, j'ai toujours préféré les chemisiers. Aujourd'hui, je porte beaucoup de soie, notamment des pantalons. J'aime mélanger, j'aime les choses qui bougent. En ce moment je reprends le contrôle de ma marque et j'en réécris les codes. Finalement, DvF, c'est une histoire de codes.

Quels sont-ils ?

Faciles, intemporels. Tout part du tissu, que l'on habille avec des couleurs et des silhouettes qui sont faciles et seyantes.

Une femme qui a vécu une vie d'homme” : cette phrase revient beaucoup dans le documentaire pour vous décrire. En aviez-vous conscience à l'époque ?

Vous savez, on ne choisit pas qui sont nos parents. On ne choisit pas où on naît. On ne choisit pas vraiment son destin non plus. Mais, ce que l'on peut choisir, c'est comment le naviguer. J'ai navigué mon destin du mieux que je le pouvais, selon les choses qui se passaient. Aurais-je été aussi libre si je n'avais pas épousé un homme lui-même très libre ? Je n'avais surtout pas envie de passer pour une pauvre conne ! On fait ce qu'on peut.

Des obstacles, vous en avez rencontré beaucoup ?

Énormément. Mais à partir du moment où vous les attaquez, ce ne sont plus vraiment des obstacles. Et puis c'est comme la douleur : une fois que c'est fini, on ne s'en rappelle pas vraiment. Sans vouloir paraître arrogante, je suis vieille aujourd'hui, et j'ai accumulé beaucoup d'expériences. Ça me donne une certaine sagesse. C'est ça, la beauté de la vieillesse : utiliser ce que vous avez appris. Je ne comprends pas les femmes qui ont peur de vieillir ! Toutes ces années vécues, c'est beau. Mais je n'oublie pas que j'ai beaucoup de chance, et que je suis très privilégiée. C'est pour cela que j'ai une responsabilité vis-à-vis des autres, et notamment auprès des femmes.

A lire aussi
Rencontre avec Sophie Fontanel : “Le vrai anti-rides, c'est de s'en foutre”

Son nouveau livre, Admirable, imagine un monde où il ne resterait plus qu’une femme ridée. Rencontre avec Sophie Fontanel.

Sophie Fontanel - Admirable

Cela me rappelle ce moment du documentaire où vous apparaissez face à votre miroir, dans une intimité que l'on croirait volée. Vous n'êtes pas maquillée, on voit vos rides.

Oui, j'aime mes rides. Je préfère avoir mon visage plutôt qu'un visage que je ne reconnaitrais pas. Rappelez-vous : être vous-même, c'est le plus important. Vous écrivez votre journal, vous ?

J'essaie.

Moi, j'ai écrit toute ma vie.

Alors vous aussi, vous changez de carnet chaque année ?

Je suis née un 31 décembre. Ça veut dire énormément de choses. Un nouveau journal, c'est une nouvelle vie pour moi. Tiens, j'ai le journal de cette année sous la main. Voyons ce que j'ai écrit à la première page… [Elle lit] Je suis prête pour l'année nouvelle. Reconnaissante de ma vie, de la famille que j'ai eue. Reconnaissante, humble et fière à la fois. Je remercie Dieu, ma mère, mon père, mon frère, Egon, Alex, Tatiana, Barry, merci. Merci à qui je suis, merci d'être bien avec moi-même. Encore pleine de vie et d'enthousiasme. Je m'engage à être une bonne personne et essayer de faire du bien. J'apprécie et j'honore la vie du plus profond de moi-même. Merci. [Elle s'arrête]. Voilà, ça c'était le 31 décembre 2023.

Diane Von Furstenberg : impératrice de la mode, disponible dès maintenant sur Disney+.

Plus de culture sur Vogue.fr :
Rencontre avec la photographe Viviane Sassen : “J'envisage les corps comme des sculptures”
Rencontre avec Sofia Coppola : “J’admire Priscilla car c’est elle qui a quitté Elvis”
Rencontre avec Douce Dibondo : “La charge raciale n'est pas un vêtement que l'on revêt pour se plaindre”

Plus de Vogue France en vidéo :