Interview

Rencontre avec Céleste Brunnquell : “Le rôle de la petite-amie a souvent été trop désincarné au cinéma”

À l'affiche de deux nouveaux films en juin, la révélation Céleste Brunnquell s'affirme déjà comme un caméléon du septième art : elle passe d'un drame politique à une romance vampiriste, et met même un pied dans l'univers des biopics. Portrait d'une jeune fille fascinante et fascinée.
Cleste Brunnquell dans En attendant la nuit
© Manuel Moutier / Tandem

Elle est l'une des comédiennes françaises les plus prometteuses de sa génération. À 21 ans, Céleste Brunnquell enchaîne les rôles comme les genres, qu'elle se plaît à goûter, l'esprit grand ouvert. Tantôt stagiaire au Parlement dans Une affaire de principe d’Antoine Raimbault début mai, tantôt confidente de Maria Schneider dans le biopic de Jessica Palud consacré à l’actrice du Dernier Tango à Paris, en salles le 19 juin prochain, elle tient également l'un des rôles phare d'En attendant la nuit, la première fiction de Céline Rouzet. Réalisatrice venant du documentaire, celle-ci s'empare de la figure du vampire pour dévoiler un drame social et familial sur un adolescent à la marge. “Le vampirisme opère comme une métaphore du handicap, de la dépression et du mal-être adolescent. Pour moi, la fiction et le recours au cinéma de genre permettent d’exacerber les situations en mettant à distance une réalité trop dure. Le film n’en dresse pas moins un constat amer sur la violence de la norme et la peur de l’autre…” explique la cinéaste dans un communiqué de presse. Dans ce récit, Céleste Brunnquell joue Camila, une fille à papa impertinente, qui à soif de danger comme de plaisir. Elle trouvera ces derniers en la compagne de Philémon, un garçon venant d’emménager près de chez elle, dans la banlieue pavillonnaire un peu trop tranquille, et normative, de Besançon.

La révélation Céleste Brunnquell

“J’ai commencé à voir des films très tôt. Quand on est enfant, on ne sait pas trop ce que l’on regarde, s'il s'agit de films, de la réalité ou de nos rêves. Mais j’ai toujours eu une grande curiosité pour le cinéma” confie Céleste Brunnquell lorsque nous la rencontrons à Paris, dans le 10ᵉ arrondissement. Révélée dans Les Éblouis de Sarah Suc, qui lui a valu d’être nommée pour le César du meilleur espoir féminin en 2019, elle se laisse porter par les souvenirs de cette joyeuse expérience – qui était alors davantage un premier pas vers une émancipation que la conscience d'un vrai travail – sans pour autant chercher à les ranimer. Ainsi, on a presque l'impression de la découvrir pour la première fois lorsqu'elle apparaît, deux ans plus tard, sur le divan du docteur Dayan d'En Thérapie. À l'écran de la série créée par le duo Éric Toledano et Olivier Nakache pour Arte, la jeune actrice prête ses traits à Camille, la patiente du mercredi. Une adolescente championne de natation aussi dure à cuire que vulnérable.

Depuis, Céleste Brunnquell collectionne les rôles aussi variés que bien choisis, allant de L'Origine du mal de Sébastien Marnier à Fifi de Jeanne Aslan et Paul Saintillan, sans oublier La Fille de son père d'Erwan Le Duc, présenté en clôture de la Semaine de la Critique au Festival de Cannes l'an passé. Une histoire touchante d'un père et de sa fille qui doivent bientôt se séparer pour vivre chacun leur propre vie… Avec ce rôle, Céleste Brunnquell décroche une nouvelle nomination aux César. Cinq ans après sa première venue, la comédienne se sent plus à l'aise au sein de “la grande famille du cinéma” mais admet tout de même que l'événement est “le comble de la mondanité”. Quatre ans après la victoire de Roman Polanski au César de la meilleure réalisation, et le départ de Adèle Haenel en signe de protestation, la cérémonie a-t-elle changé ? Pas vraiment. Pour la jeune femme, on arrive tout juste à un point de bascule. “Pouvoir assister à ça, et pas seulement à des gens qui se fêtent eux-même, c’est assez réjouissant. Cette année, la cérémonie était animée de beaux discours, notamment grâce à Judith Godrèche”, exprime-elle. “On peut vite devenir aigri face au cinéma français, la façon dont il est représenté, son système de financement… C’est beaucoup de frustration. Mais je pense qu’il faut continuer d’accueillir ce qu’il y a de beau.” La poésie du beau, Céleste Brunnquell l'embrasse totalement en jouant Rosa dans La Fille de son père, aux côtés de Nahuel Pérez Biscayart. “Je me suis retrouvée dans sa nostalgie, sa crainte du changement et la peur de se développer toute seule. […] Je dirais que l'on est un peu égoïstes toutes les deux, dans le sens où nos envies passent avant tout.”

© Stéphanie Branchu

Ses envies d'aujourd'hui, elles passent essentiellement par le pouvoir déconnant du cinéma, source d'apprentissage et d'amusement par excellence. “Plus je grandis, plus j’ai besoin qu’il y ait quelque chose, à un endroit, qui m’amuse. Pas forcément que ça me fasse rire, mais qu’il y ait de la place pour essayer des choses différentes, me mettre dans des situations un peu alambiquées.” dit-elle. “Les Blues Brothers ou Les Demoiselles de Rochefort sont des films qui m’ont longtemps accompagnée durant mon enfance. Je reviens toujours vers ces films qui accueillent la bizarrerie. Ils m'ont permis d'avoir une grande liberté de pensée et de la confiance. Aujourd'hui, j’aime faire des films très différents les uns des autres. Et ils n’ont pas besoin d’être mon cinéma, celui qui me toucherait de prime abord. Je suis très jeune et je n’ai pas fait d’école alors j’ai l’impression d’être toujours à un stade de découverte. Je peux proposer des choses en même temps que de me laisser guider par la sensibilité d’un��e metteur·euse en scène.”

En attendant la nuit ou la valse ensanglantée de deux ados amoureux

Céleste Brunnquell étend cette volonté à son paroxysme lorsqu'elle décide de se frotter à une histoire de vampires. Celle de Philimon, un garçon qui fait peur aux gens qu’il aime et qui cherche sa place dans un monde qui ne lui ressemble pas. Devant la caméra de Céline Rouzet, elle joue du malaise comme du désir naissant avec son camarade Mathias Legoût Hammond, qui tient ici son tout premier rôle au cinéma. Ensemble, ils avancent sur le chemin quelque peu risqué des films de genre et livrent une partition aussi sensible que crédible. “Je connais mal cet univers, avoue la comédienne. Je n’ai même pas grandi avec Twilight, c'est pour dire. Ma seule grande référence, c’est le film Only Lovers Left Alive [de Jim Jarmusch, ndlr], que je trouve vraiment magnifique.”

Quand on lui demande ce qui l'a attirée dans ce nouveau film, elle cite plusieurs éléments. Il y a tout d'abord le réalisme de la mise en scène, à la fois terrible et drôle à certains égards. Elle décrit : “C’était la première fois que je voyais une historie de vampire pensée de manière aussi concrète. Quand tu ne peux boire que du sang dans un monde tel que le nôtre, comment tu te débrouilles ?” En se posant cette question, Céline Rouzet esquive les clichés et propose une œuvre maîtrisée, parade aux teen movies que l'on connaît déjà bien. Céleste Brunnquell évoque également Camila, son personnage. La petite copine qui, pour une fois, n'est pas seulement désirable mais aussi désirante. “C’est lui le vampire, et pourtant c’est elle qui va réveiller son envie de sang”, commente-t-elle. “Jouer une petite copine, c’est quelque chose que j’ai du mal à m’approprier. C’est un rôle qui a souvent été très désincarné au cinéma. Et même au-delà de ça, je pense que je ne serai pas capable de jouer la sensualité. Mais il y avait quelque chose de très étrange chez Camilla. Ce décalage m'a tout de suite plu.”

© Manuel Moutier / Tandem

Le costume de l'amoureuse, la comédienne le renfile assez vite pour le drame Maria de Jessica Palud. Présente au Festival de Cannes 2024, où elle dévoilait le long métrage avec l'ensemble de l'équipe, Céleste Brunnquell raconte : “Cannes, c’est un peu ce qu’il y a de mieux et de pire réuni. C’est la passion du cinéma, mais aussi tous les débordements ultra-capitalistes. Y aller pour Maria, ça me rendait très heureuse. Les conditions étaient exceptionnelles car on a présenté le film dans la salle Debussy, qui est magnifique, avec beaucoup de monde. C'était un moment important, je crois. Maria Schneider est une actrice que j’aime énormément. Je suis contente d’avoir pu parler d’elle à cet endroit-là. J’espère pouvoir continuer à faire des films auxquels je crois beaucoup comme celui-ci. Des films qui me portent et me font voyager, qui m’interrogent et élargissent mon esprit. Je ne veux pas être cantonnée.”

En attendant la nuit, un film de Céline Rouzet à voir actuellement au cinéma.
Maria, un film de Jessica Palud à voir le 19 juin au cinéma.

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