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Sean Baker, vainqueur de la Palme d'or au Festival de Cannes 2024, nous raconte les dessous d'Anora

Sorte de réécriture de Cendrillon dans les communautés russophones de New York, et Palme d'or du Festival de Cannes 2024, Anora, le nouveau film de Sean Baker nous a conquis grâce à son cocktail mêlant charme et audace. De quoi nous donner envie d'échanger avec le réalisateur et sa comédienne, l'impressionnante Mikey Madison.
Anora de Sean Baker
© Le Pacte

On le connaît surtout pour ses portraits de parias. Avec Anora, Sean Baker déplace le regard, en partant d'un club de strip-tease, pour bâtir une critique acerbe des ultra-riches, à travers la mésaventure d'une travailleuse du sexe dans un New York âpre et glacial. Porté par l'interprétation magistrale de la jeune Mikey Madison (25 ans), le nouveau film du cinéaste américain vient de remporter la Palme d'or lors de la Cérémonie de clôture du Festival de Cannes, ce samedi 25 mai 2024. Quelques jours plus tôt, sur la terrasse du Palais des Festivals, nous avons rencontré le réalisateur et sa comédienne, afin de décortiquer le processus créatif d'un film aussi explosif qu'Anora.

© Le Pacte

Un portrait au vitriol des ultra-riches

Ce que l'on perçoit comme une critique acerbe des ultra-riches, Sean Baker, le réalisateur d'Anora, le réfute pourtant. Dans son tout nouveau film, le cinéaste américain revient à New York pour conter la trajectoire d'Anora (ou Ani), une travailleuse du sexe aussi impudente qu'attachante. Un soir, celle-ci fait la connaissance, dans le club où elle travaille, de Vanya, le fils niais d'un couple d'oligarques russes richissimes. Rapidement, Ani voit là la porte de sortie d'une existence qui ne lui convient qu'à moitié, l'ascenseur vers un monde où l'argent coule à flot. La réussite sociale, symbolisée par une bague au doigt. On s'amuse de sa malignité, on rit et prie avec elle, espérant qu'elle trouvera par là son salut. Ses attentes seront toutefois déjouées, à mesure que le film prend une tournure radicale, passant de la comédie romantique à une course-poursuite déjantée dans un New York enneigé.

Ce que je voulais, c'était transposer l’histoire de Cendrillon dans les États-Unis d’aujourd’hui”explique Sean Baker, sourire aux lèvres, le lendemain de la projection officielle d'Anora. Le cinéaste a de quoi être de bonne humeur : son film, le troisième présenté au Festival de Cannes depuis ses débuts, a récolté une ovation inédite, et un accueil critique sans pareil depuis le début de cette 77ème édition. À côté de sa chaise, son chien roupille. “En réalité, je ne voulais pas filmer les riches différemment des autres personnages, poursuit-il. Ce sont des humains, en chair et os, pour qui l'on peut ressentir de l’empathie. Je n’ai jamais voulu faire de caricature de quiconque”. C'est là que notre lecture d'Anora diverge de celle de son créateur. Nous le lui avouons : nous avons bien eu du mal à ressentir ne serait-ce qu'une once d'empathie pour le jeune Vanya, insupportable gamin immoral et abject, vivant au crochet de ses parents. “Vous avez raison, acquiesce Baker. Cela demande beaucoup. Mais je vous assure : Ivan n’est pas un personnage malveillant. Juste ignorant”.

Derrière la farce, la tendresse

La force d'Anora se situerait-elle, ainsi, dans la tendresse qu'éprouve Sean Baker pour ses personnages ? Encore une fois, la notion d'équilibre est primordiale. Nourri par un humour abrasif, le scénario demeure toujours bienveillant, et doux à l'égard de ses différents protagonistes. Il jongle, à vrai dire, de l'un à l'autre – comme avec le personnage d'Igor, incarné par un Yura Borisov (découvert dans Compartiment n°6 en 2021) au regard fuyant, mais aux gestes protecteurs. La construction du personnage d'Ani est également admirable, tant elle était périlleuse. Raconter la vie des travailleuses du sexe au cinéma n'est pas chose aisée, tant leurs vécus sont soumis aux tabous sociaux. Pour se préparer au mieux, Mikey Madison a décidé d'aller à leur rencontre : “Elle étaient très généreuses, souligne-t-elle. Elles m’ont accordé beaucoup de temps, d’histoires et d’informations. J’ai appris que c’était un métier très difficile, à la fois physiquement et émotionnellement. Vous faites constamment de l’exercice, tout en essayant d’établir une relation émotionnelle avec quelqu'un. C'est grâce à ces discussions que j'ai pu rendre le personnage crédible”. Toutefois, l'actrice insiste : Ani est bien plus que son métier au début du film. Et Sean Baker complète : “C'est un personnage qui a beaucoup d'humour, une attitude très insolente. Elle peut même se battre !”. Il est drôle de noter que ces qualités se retrouvent dans les personnages précédemment incarnés par Mikey Madison, à savoir une membre du culte de Charles Manson dans Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino, et une mesquine tueuse en série dans le cinquième volet de la saga Scream.

Si l'on avait pour habitude de voir Sean Baker jouer avec des acteur·ices non-professionnel·les, il a choisi, pour Anora, une équipe hétéroclite, faite de néophytes et de jeunes espoirs, d'ores et déjà rodés aux plateaux de tournage. “Ce que j’aime, explique-t-il, c’est faire collaborer un groupe de personnes avec des niveaux d’expérience complètement différents. Dans Anora, c’est la multiplicité des langages qui m’intéressait. C’était très difficile de réunir tout ce monde : nous sommes indépendants, avec un très petit budget et un tournage très court. J’étais donc très heureux que mes acteur·ices soient des gens expérimentés et professionnels. Cela m’a facilité la tâche !”. En résulte un film joyeux, qui lui permet de revenir à New York, lui qui avait un temps délaissé la ville pour les grands espaces vides offerts par le cœur des États-Unis : “J'ai pu filmer cette ville de la manière dont j’avais toujours eu envie de la filmer. Le chaos de la ville, les néons, les rues mouillées – c'est tout ce que j'adore”. En résulte une œuvre radicale et entraînante, qui n'a fait aucun compromis, et qui a séduit le public cannois. Rires et applaudissements ont ponctué la séance de présentation du film, comme le présage de sa Palme d'or reçue ce samedi 25 mai 2024.

© Le Pacte

Anora de Sean Baker, avec Mikey Madison, en salles prochainement.

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