musique

Rencontre avec Amaarae : “Ma musique est faite pour les filles et les gays”

Quelque part entre son défilé pour Vogue World : Paris et sa performance au festival Yardland ce samedi 6 juillet 2024, Amaarae s'est entretenue avec Vogue.
Amaarae Performs In Berlin
© Frank Hoensch

Tous les produits mis en avant dans cet article ont été sélectionnés indépendamment par nos rédacteurs. Les prix mentionnés dans cet article le sont à titre indicatif et susceptibles d’évoluer. Lorsque vous achetez via nos liens de vente, nous pouvons percevoir une commission d’affiliation.

Notre rendez-vous est à dix-sept heures. Amaarae accuse d'un léger retard dans les locaux français d'Universal, sa maison de disques. Dix minutes tout au plus – nous avons connu bien pire. Elle est cordiale, souriante, mais ne cache pas son épuisement. Une fois seules, elle nous l'avoue : elle a passé la soirée dans les meilleurs clubs de Paris, quelque part entre le Maxim's et Le Silencio. La veille, elle a défilé pour Vogue World : Paris, entre les sœurs Williams et l'autrice française Rokhaya Diallo – “la plus cool d'entre nous”, selon ses propres mots.

En 2023, Amaarae dévoilait Fountain Baby, qui demeure pour nous, parmi les meilleurs albums de l'année passée. Après s'être fait connaître en 2020 avec l’explosion du morceau “Sad Girlz Luv Money”, propulsé par TikTok, Ama Serwah Genfi revenait donc avec un excellent deuxième album, imaginé comme une exploration par l’artiste de sa propre sensualité. La pochette, humide, annonce la couleur. Fountain Baby est un album de découverte de soi, de ses sens et de son corps. Les violons grandiloquents qui ouvrent le morceau liminaire, “All My Love”, sont comme l’introduction d’un univers immersif où Amaarae invite ses auditeurs à la fête et au lâcher prise. Les singles, “Co-Star” et “Reckless & Sweet”, choisis avec précision, sont les pierres les plus lumineuses du projet. Jamais paresseux, Fountain Baby s’aventure à d’autres endroits dans des recoins plus sombres de la vie d’Amaarae, afin d’offrir une œuvre à part entière, aux accents presque cinématographiques (à l’instar de “Princess Going Digital” et son odeur de danger). Après l'avoir présenté dans la salle de l'Élysée-Montmartre à Paris, l'artiste revient en France ce samedi 6 juillet 2024 pour le festival Yardland. L'occasion d'échanger avec elle sur ses inspirations, son signe astrologique, et sa passion pour Britney Spears.

Amaarae - Fountain Baby

A lire aussi
Les meilleurs albums de 2023

Alors que la fin d’année approche, Vogue revient sur les meilleurs albums de 2023, de Lana Del Rey à Zaho de Sagazan.

Lana Del Rey  - Ocean Blvd - Neil Krug - meilleurs albums 2023

Rencontre avec Amaarae, à l'œuvre derrière Fountain Baby

Vogue. Qu'avez-vous fait hier soir ?

Amaarae. J'étais à l'after party de Vogue World : Paris, puis à une autre fête organisée au club Le Silencio. C'était sauvage ! Je me suis réveillée il y a trente minutes. Je suis en pleine gueule de bois, c'est terrible.

C'était votre premier défilé en tant que mannequin !

Tout à fait. Mon agent a reçu un mail demandant si j'étais disponible pour Vogue World : Paris, et nous pensions que j'étais simplement invitée, ce qui est déjà génial. Je ne le prenais pas sérieusement, jusqu'à ce que je croise les soeurs Williams et Anna Wintour lors des répétitions. C'est si drôle, nous étions comme une bande de gamins en train de traîner ensemble, avec les personnes les plus influentes du monde ! Je suis heureuse et reconnaissante que ma voix ait pu faire partir des leurs. J'ai rencontré cette fille, Rokhaya Diallo, c'était la plus cool de tous·tes ! Son travail est si important.

A lire aussi
Le rappeur Kalash fait une apparition remarquée sur la place Vendôme pour Vogue World : Paris

Figure française du dancehall, Kalash a foulé la place Vendôme à l'occasion du défilé Vogue World : Paris.

article image

Votre album Fountain Baby fait partie des meilleurs de l'année dernière.

J'ai fait cette album pour les filles et les gays. Je veux juste que les gens s'amusent sur de la musique intéressante. D'ailleurs, j'ai reçu beaucoup de messages de gens qui ont fait l'amour sur ce disque, et ça me va très bien ! Ça fait totalement partie de mon intention : aider les gens à faire l'amour.

Vous avez vécu dans de nombreux endroits différents. Comment cela a-t-il influencé votre manière de concevoir la musique ?

J'ai été élevée entre les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Afrique. En outre, ma mère voyageait beaucoup pour son travail, tout comme mon père, et ils nous ramenaient tous deux des CDs des endroits qu'ils visitaient. J'ai donc toujours été exposée à différentes cultures, à travers la musique. Un de mes premiers souvenirs, c'est la musique crunk à Atlanta avec des artistes comme Lil John. J'ai vraiment vu cette première vagues d'artistes issus d'Atlanta gagner en notoriété ! Puis nous avons déménagé à la campagne, dans le New Jersey. Là, l'ambiance était différente. Nous étions à peine treize enfants noirs dans toute l'école… Mais ce que je retiens de cette période, c'est d'aller à des fêtes d'enfants blancs, et de découvrir l'album Blackout de Britney Spears. J'ai beau aimer Britney, je n'aurais sans doute jamais écouté cet album en entier si je ne m'étais pas rendue à cette soirée. J'ai adoré “Radar”, puis “Piece of Me”, puis “Gimme More”, puis “Break the Ice”… Tout l'album, en fait ! Et c'est ça que j'ai adoré en grandissant : être sans cesse exposée à de nouvelles sonorités, des nouvelles idées…

Vous venez de quitter Londres pour vivre à Los Angeles. En quoi l'approche de la musique est-elle différente entre ces deux villes ?

Je vais être honnête : je n'ai jamais enregistré un seul morceau à Londres. Cette météo est si déprimante et froide, ça ne m'inspire rien du tout.

Mais pourquoi y vivre ?

C'est la question que je me pose ! C'est l'idée la plus stupide de ma vie… Non attendez, ce n'est pas ce que je veux dire. La vie culturelle de Londres, la musique, la mode, les restaurants… tout ça est fabuleux. Mais la météo ruine tout. À côté, Los Angeles a le soleil toute l'année. Je crois que la moitié de mon album Fountain Baby a été faite dans cette ville, l'autre moitié a été conçue au Ghana. Quand le soleil est de sortie, qu'il fait chaud… c'est là où je me sens la plus inspirée.

Dans la réédition de Fountain Baby, vous décidez de remixer “Disguise”. Qu'est-ce qui vous rend si fière dans ce morceau ?

C'est ma chanson favorite, car elle est une inspiration directe de “Break the Ice” de Britney Spears. Si vous les jouez l'une après l'autre, vous pouvez entendre la similarité, notamment dans les synthétiseurs au début, ainsi que dans le chant… J'aime tellement ce morceau, je voulais en faire ma propre version. Ce que j'aime chez Britney, c'est sa théâtralité et son sens dramatique, que l'on retrouve aussi dans “Toxic”. Je cherchais à recréer ça dans une chanson. Et je pense qu'avec “Disguise”, c'est là où nous avons le mieux réussi.

La production, c'est une affaire d'autodidacte pour vous.

Je n'ai jamais réussi à trouver des producteurs capables de créer le son que je voulais créer, donc j'ai dû m'y mettre ! Et puis, si vous parlez le même langage que les ingénieurs du son, ils ont bien plus de respect pour vous. Ils vous prennent au sérieux et acceptent vos idées plus facilement.

Votre expérience ressemble à celle de Rosalía, qui produit sa propre voix.

C'est drôle que vous parliez de ça. L'un de ses principaux producteurs est Noah Goldstein, qui est l'un de mes associés. Il m'a dit la même chose ! Et elle est tout aussi impliquée dans la direction artistique de ses projets, dans les concerts… C'est l'une des meilleures performeuses de notre époque. J'étais à Coachella en même temps qu'elle et je l'ai manquée. Je crois que je n'ai pas de plus grand regret à ce jour !

À Yardland, vous devez absolument voir Shay, qui joue après vous. D'ailleurs, écoutez-vous des artistes francophones ?

Christine and The Queens est l'un de mes préférés. Et un autre, Stromae, qui est une légende pour moi. Ça, c'est un artiste avec une vraie vision ! En plus, il même son art avec des commentaires socio-politiques toujours très pertinents. Il est si intelligent… Et puis Aya Nakamura, évidemment.

A lire aussi
Aya Nakamura ouvre Vogue World : Paris avec une performance inoubliable

En novembre 2021, Aya Nakamura faisait la couverture du premier numéro de Vogue France. Aujourd'hui, elle honore la place Vendôme avec une performance mémorable à l'occasion de Vogue World : Paris.

Aya Nakamura - Vogue World: Paris - Show

Votre toute première mixtape, In Splendid Isolation, remonte à vos années lycée, et vous avez tout fait : la direction artistique, la production, le chant… Votre parcours était-il déjà tracé ?

À vrai dire, c'était au Ghana, et j'étais en plein cursus scientifique au lycée. Je voulais devenir neurochirurgienne. Je ne sais pas vraiment ce qu'il s'est passé ! Il y avait ce gars qui venait de Londres, qui a débarqué à notre école avec sa mixtape. Tout de suite, je lui ai demandé où il l'avait enregistrée. Il m'a répondu : “Au bout de la rue”. J'y ai presque couru, pour décrocher un job d'assistante auprès de l'ingénieur du son. C'est comme ça que j'ai pu récupérer des sessions studio gratuites ! En résulte ma première mixtape, In Splendid Isolation, dont découle tout le reste.

Et le chant, dans tout ça ?

J'ai commencé par le rap. Avant tout, j'étais rappeuse et productrice. Et mon cousin, qui m'a appris à produire, est aussi rappeur. Un jour, il m'a pris à part et m'a dit : “Tu sais, tu n'es pas une bonne rappeuse. En revanche, tu as une voix unique, qui ressemble à de l'Auto-Tune. Tu devrais travailler sur ça”. Et nous voici aujourd'hui ! Meilleur conseil de ma vie !

Comment avez-vous perfectionné cette voix ?

J'ai une réponse pour vous : Young Thug. Avant, je chantais avec ma voix de poitrine. Et il a débarqué. À partir de là, tout ce que je voulais, c'était de lui ressembler. J'ai commencé à l'imiter, jusqu'à découvrir mon propre style.

A lire aussi
12 artistes francophones à écouter à l'occasion de Vogue World Paris

Du rap à la pop, Vogue propose 12 artistes francophones à découvrir à l'occasion de Vogue World. Une sélection éclectique, à l'image de la scène musicale de demain.

Jäde, Les Malheurs de Jäde

Britney Spears, Young Thug, vous citez également souvent Lauryn Hill… Quels sont les nouveaux artistes que vous écoutez ?

Il y a cette nouvelle rappeuse originaire d'Atlanta, Paris Aden, avec sa mixtape intitulée Monster, c'est juste incroyable, je l'adore. Il y a un autre jeune d'Atlanta, BEAR1BOSS. Nous avons un morceau ensemble ! Lui, c'est un vrai personnage, très spécial… SadBoi aussi, elle est Canadienne et rappe sur des sonorités baile funk. Une folie ! Et Snowsa, une artiste caribéenne basée à Philadelphie.

Ça fait beaucoup !

Je suis une vraie directrice artistique, toujours à l'affût ! C'est le meilleur moyen de rester inspirée : trouver des artistes uniques, pour me pousser à me surpasser et rester au niveau. Et puis les plus aventureux restent les artistes underground. Je découvre sans cesse de nouvelles sonorités.

D'ailleurs, vous avez été DJ. L'êtes-vous encore ?

Oh non… Je pense que ça fait dix ans que je n'ai pas touché à des platines. Je faisais ça à la fac, quand j'avais besoin d'argent. À cette époque, les DJs gagnaient beaucoup d'argent ! En une heure, je me faisais 150 dollars, ce qui pour l'étudiante que j'étais, était simple et rapide. En quatre heures, j'avais 600 dollars.

Étiez-vous une bonne DJ ?

Je crois, oui ! Pour moi, ce qui fait un·e bon·ne DJ, c'est le goût, et parvenir à prendre le pouls de la foule. Mon éthique à l'époque, c'était de m'adapter aux publics, tout en leur faisant découvrir des nouveautés. Si je jouais dans un café, je jouais des choses tranquilles, comme Sade, et puis quelque chose comme Naomi Sharon. Elle vient des Pays-bas, et fait des choses similaires. C'est un échange de bons procédés. Si je jouais un ancien artiste, je passais ensuite à un nouveau, dans le même ADN, afin de toujours faire découvrir des nouvelles choses au public.

Qu'écoutait-on chez vous lorsque vous étiez enfant ?

Ma mère adore le jazz ce qui est aujourd'hui considéré comme de la musique sophistiquée ou compliquée, tandis que mon père aime la soul. J'avais un oncle, bizarre comme pas possible, qui adorait le rock alternatif…

… que l'on retrouve dans Fountain Baby.

C'est complètement grâce à lui ! Et d'ailleurs, ce que j'ai découvert en grandissant, c'est que ma mère voulait être décoratrice d'intérieur. C'est une personne très visuelle, ça se voit chez elle. Mais elle a abandonné cette carrière pour un travail qui rapportait davantage. Et mon père était dans un groupe quand il était au lycée. C'est une passion qui ne l'a jamais quittée. Quand il boit un peu trop aux dîners de famille, il saute sur un micro et peut chanter d'un coup ! Et il chante bien en plus ! Il a abandonné son rêve pour payer ses factures et nourrir ses enfants.

Vous n'avez pas de factures à payer, vous ?

Oh si ! Mais vous savez, j'ai une mère qui n'a peur de rien, et qui est aussi ma manageuse. Elle a suffisamment travaillé pour me mettre dans une position où, si j'avais envie de poursuivre une carrière musicale, elle allait m'accompagner. On l'a fait ensemble, nous sommes associées et on pourrait même dire qu'on a réussi ! Pour une mère africaine, il faut dire qu'elle a toujours été radicale… Elle m'a toujours dit : “Je n'ai pas réussi à vivre mes rêves, mais toi, tu vas y arriver, et je vais t'y aider”. Et nous y voilà.

A lire aussi
Qui est Sabrina Carpenter, la chanteuse défilant à l'occasion de Vogue World : Paris ?

Alors que ses tubes “Expresso” et “Please Please Please” s'apprêtent à accompagner notre été, Sabrina Carpenter a fait une apparition surprise au Vogue World Paris. Portrait.

Sabrina Carpenter at the 2024 Governors Ball

Vous allez même assuré les premières parties de Sabrina Carpenter aux États-Unis ! Qui l'eût cru…

Je l'ai croisée durant Vogue World : Paris, et je suis allée lui demander directement qui lui avait parlé de moi. En fait, elle est fan de ce que je fais ! C'est elle qui a insisté pour que je tourne avec elle. What the fuck ! Je lui ai demandé si je devais m'adapter, changer certaines paroles… Elle est contre : elle veut que je vienne avec mon univers, pour qu'il complète le sien. Nous sommes vraiment les deux opposés. Je pense que pour la première fois de ma vie, je vais jouer devant des très jeunes filles, et je vois ça comme un super challenge. Comment vais-je arriver à séduire ces adolescentes ? C'est une vraie opportunité pour moi. Je pense qu'elles vont adorer “Co-Star”.

Quel est votre signe astrologique ?

Cancer, et vous ? Attendez, laissez-moi deviner. Scorpion ? Balance ? Gémeaux ? Lion ?

Verseaux.

Oh…

Comment savez-vous quand un morceau est terminé ?

Je le joue à des filles. Je me fiche pas mal de l'avis des hommes, mais celui des femmes m'importe beaucoup.

Votre public est très féminin.

Clairement, des filles et des hommes gays. Mais vous savez quoi : avec Fountain Baby, j'ai vu le public se diversifier, par rapport à mes précédents projets. Je me souviens de ce père de famille qui avait ramené sa fille, mais c'était lui le fan ! Il a une dégaine de fan de country, avec une grosse barbe et une veste de motard… Improbable !

Amaarae sera en concert ce samedi 6 juillet au festival Yardland, à Paris.

Plus de culture sur Vogue.fr : 
La crème de la French Touch va se produire sur le toit de l’aéroport Charles de Gaulle
Pourquoi Rina Sawayama est l'une de nos pop stars préférées
Avec Brat, Charli XCX fait du club le théâtre de ses déboires émotionnels

Plus de Vogue France en vidéo :