Société

Pourquoi faire sa valise est une source d'angoisse

Promesse de voyage et d'aventure, le bagage incarne aussi un objet de torture pour de nombreux globe-trotteurs. 

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Projections, incertitudes, crises de confiance. | Piqsels

Temps de lecture: 5 minutes

Si, pour certaines personnes, préparer son sac de voyage est une formalité expédiée en quelques minutes, pour d'autres c'est un stress monumental et tout un art pour faire rentrer sa vie dans un rectangle à roulettes. Selon une récente étude, un quart des Français se sent stressé à l'idée de faire ses bagages.

En réalité, la valise cristallise des angoisses qui ne lui sont pas directement liées. Elle incarne la projection de certaines peurs et les fixe ainsi, comme un mécanisme de défense inconscient. «Projeter sur un objet est un phénomène classique qui permet de déplacer à l'extérieur de nous nos peurs, nos angoisses, nos émotions», confirme Pierre Cochat, sophrologue à la tête du cabinet Performance & Coaching.

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Ces angoisses, conscientes ou non, peuvent avoir de multiples racines dont certaines sont rationnelles. Ainsi, la peur du départ, la crainte de l'inconnu, l'appréhension de quitter son cocon ou encore la pression de faire les bons choix sont autant de causes de stress cristallisées dans la valise.

«Il y a la peur de ne pas pouvoir rentrer, d'être abandonné: un départ qui pourrait être sans retour, en somme, et qui renvoie à la mort», décrypte Rodolphe Oppenheimer, psychothérapeute membre de l'Association française de thérapie comportementale et cognitive (AFTCC). «Cela relève du trouble anxieux généralisé de sortir de sa zone de confort.»

Le dilemme de la valise

Mais la préoccupation la plus courante reste liée à la contrainte de faire des choix. Pour les voyageurs en plein préparatifs, il faut trancher. Choisir d'amener telle chemise au détriment d'une autre, prendre un ou plusieurs pantalons, opter pour la robe longue ou la plus courte… Autant de décisions torturées qui renvoient au renoncement.

«La peur de faire des mauvais choix peut être présente pour des personnes de nature anxieuse qui n'ont pas confiance en leur capacité d'adaptation le temps venu», analyse Pierre Cochat. «Cela renvoie à un manque de confiance en soi.»

Depuis plus de trente ans, Jean-Michel expérimente cette appréhension à chaque déplacement. «Je me pose plein de questions sur ce que je dois apporter en fonction de la météo et de la durée du séjour», raconte le sexagénaire, qui préfère s'y prendre quelques jours à l'avance pour faire son bagage. «J'ai toujours la crainte de manquer, donc je prends des affaires de secours.»

«Notre valise est notre meilleure amie.»
Marta Perego, autrice de La Théorie de la valise

La multiplication des effets personnels dans la valise sert alors à se valoriser, à se rassurer. Si pour certains, comme Jean-Michel, il s'agit d'anticiper le voyage et parer à toutes les éventualités, pour d'autres c'est une manière de contrer l'angoisse de séparation. Tout embarquer avec soi revient ainsi à emporter ses repères.

«Faire sa valise est un stress parce que ça revient à organiser un mini-déménagement, avec toute l'angoisse qui l'accompagne», avance la psychologue Caroline Weil, interrogée dans l'émission «Je t'aime etc.». «On part de chez soi avec un contenant minuscule dans lequel on doit mettre l'essentiel de sa vie, donc l'angoisse de séparation est à son maximum. La valise devient un objet transitionnel; c'est l'objet régressif par excellence.»

Des projections philosophiques

Livré à soi-même et à ses angoisses, il faut alors remplir sa valise. Dès lors, des réflexions plus philosophiques que rationnelles interviennent. Comment faire face à cette liberté d'indifférence qu'impliquent les préparatifs de son bagage, sans aucune intervention extérieure? Pourquoi partir en voyage? Quelle promesse réserve l'avenir?

Selon la philosophe Marie Robert, préparer son bagage revêt forcément un sens philosophique. «Quel que soit le contenu, faire sa valise n'a rien d'un geste anodin», développe-t-elle dans les pages de Marie Claire. «C'est une espérance, un dialogue avec l'avenir, un tête-à-tête avec nos projections, notre lâcher-prise ou notre anxiété. Car la valise nous ramène à une étrange question, l'incontournable énigme de l'été pour celles et ceux qui ont la chance d'en profiter: pourquoi partir?»

Tout voyage implique un inévitable changement, un départ loin de son monde et de son quotidien, et la valise incarne ce saut dans l'inconnu. Qu'elle cristallise des émotions positives, comme l'espoir d'une aventure ou l'excitation de la découverte, ou des sentiments plus stressants, la valise reste la projection de notre futur.

«Notre valise est notre meilleure amie», affirme Marta Perego, journaliste globe-trotteuse et autrice de La Thérapie de la valise. «Nous y insérons ce que nous sommes et ce que nous voudrions devenir. [...] Nous lui confions nos rêves.» Un constat que partage Jean-Michel, qui se considère comme un anxieux de la valise mais adore voir du pays. «C'est le prolongement et la promesse du voyage. Ce qui va t'attendre sur place se trouve déjà dans tes bagages!»

Un stress universel?

Si cette angoisse de la valise vous parle, c'est parce qu'elle concerne un large spectre d'individus. Le phénomène est courant chez les personnes atteintes d'anxiété, qui témoignent d'une grande nervosité lors des préparatifs de leurs bagages. Mais il touche également des profils variés et implique des réactions très différentes en fonction des personnes concernées.

«Chaque individu est singulier, et nous n'avons pas tous les mêmes sources d'angoisse», commente Manon Soupault, sophrologue spécialiste de la relation d'aide et des émotions. «Pour certaines personnes, les choses du quotidien sont faciles... et pour d'autres non.»

«Chercher à calmer ces réactions reviendrait à mettre un couvercle dessus dans un mouvement de fuite ou de déni.»
Manon Soupault, sophrologue

Parmi les stressés de la valise, elle distingue ainsi ceux qui anticipent, comme Jean-Michel, et imaginent ainsi plein de scénarios pour tenter d'y répondre à l'avance. «Il y a aussi les personnes contrôlantes, qui ont beaucoup de mal à intégrer l'imprévu, les personnes hautement sensibles qui vont potentiellement avoir besoin d'objets auprès d'elles pour se rassurer, ou encore celles qui souffrent de problématiques d'image de soi ou de complexes corporels», résume la responsable pédagogique de l'École supérieure de sophrologie appliquée (ESSA).

De son côté, Pierre Cochat évoque les phobiques des moyens de transport et notamment de l'avion: «Pour eux, faire sa valise matérialise encore plus le voyage qui approche et les peurs liées au trajet», souligne le sophrologue.

Une pluralité de profils qui entraîne donc des comportements et une organisation différents. Préparer son bagage à l'avance ou repousser jusqu'au dernier moment, trier ses vêtements avant de les ranger ou tout entasser en vrac, faire une liste d'effets à emporter ou errer dans son appartement à la recherche de l'objet oublié… Autant de façons de faire selon les craintes de chaque globe-trotteur.

Conseils pour les stressés de la valise

Comment, dès lors, pallier cette irrépressible angoisse? Si lâcher prise semble être une bonne réaction, afin de se laisser porter par le voyage en partant l'esprit et le bagage léger, cela reste plus facile à dire qu'à faire pour nombre de stressés de la valise.

«Ne pas intellectualiser est impossible à mon sens», tranche Pierre Cochat. «Ces peurs sont activées par des angoisses, une anxiété que les personnes peuvent parfaitement verbaliser mais qui les ressentent pour autant, tout en sachant que c'est “absurde”. Se préparer me semble plus intéressant.» Le spécialiste conseille ainsi la pleine conscience, la méditation ou l'hypnose pour apaiser ses appréhensions.

«Chercher à calmer ces réactions reviendrait à mettre un couvercle dessus dans un mouvement de fuite ou de déni», interprète quant à elle Manon Soupault. «Par contre, on peut accueillir ses émotions avec le moins de jugement possible et avec douceur pour y porter un nouveau regard.» Selon la sophrologue, il s'agit ainsi de donner de l'espace à ses peurs par la respiration ou encore se remémorer les souvenirs de vacances passées pour déterminer l'éventuelle source de ce stress.

«Je vous invite aussi à respecter vos besoins», ajoute-t-elle. «Si c'est celui de prendre du temps pour faire votre valise, respectez-le. Pensez aussi à emporter vos indispensables, pour vous sentir bien! Mais si le phénomène prend trop d'ampleur, je vous conseille de vous faire accompagner car la souffrance a toujours une raison d'être.»

Sur un terrain plus terre-à-terre, les spécialistes recommandent de rester pragmatique. «Il faut essayer d'être rationnel en fonction de la destination –chaude ou froide–, le nombre de jours passés là-bas ou le contexte», suggère Rodolphe Oppenheimer, également auteur de Guérir de ses angoisses avec la thérapie par téléphone. Enfin, sélectionner ses tenues à l'avance ou emmener des «basiques» comme des couleurs unies permettra d'éviter toute mauvaise surprise et de rendre votre valise un peu moins terrifiante!

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