Hilde OLRIK

Le sang impur.

Notes sur le concept de prostituée-née

chez Lombroso.

« Car l'âme de la chair est dans le sang ». Lévitique, XVIII, 10-11.

« Et le « sang » de la bourgeoisie, ce fut son sexe » .

M. Foucault, La Volonté de savoir.

Cesare Lombroso, criminologue italien, vécut de 1835 à 1909. Selon le savoir canonique et reçu d'aujourd'hui (1), il fut « le premier à attirer l'attention sur l'importance des sciences médicales dans le domaine de la criminologie, en recherchant les causes de la criminalité dans la personnalité physique de l'homme et en s'efforçant de découvrir, selon la méthode expérimentale, les stigmates caractéristiques du délinquant. On peut le considérer comme le fondateur de l'anthropologie criminelle, avec son ouvrage L 'Homme criminel (1876) ».

Ajoutons à ces lignes que Lombroso a toujours joui d'une réputation de précurseur, de novateur, de grand savant humanitaire, et que ses ouvrages ont connu un immense succès et ont été traduits très vite en de nombreuses langues. Récemment encore, les étudiants en droit du monde entier entendaient chanter les louanges de ce défenseur du criminel qui purgeait de toute faute le délinquant, faisant de lui un malade sinon inoffensif, du moins innocent.

Voilà pourquoi il m'a paru intéressant de regarder de près un autre de ses ouvrages, qui fit suite kL'Uomo delinquente, c'est La Donna de- linquente, la prostituta e la donna normale, qui parut en 1893, et en français en 1896, sous le titre La Femme criminelle et la prostituée. C'est sur cette édition que je me fonderai dans les pages qui vont suivre. La thèse principale de cet ouvrage c'est que l'équivalent féminin de la criminalité masculine, c'est la prostitution. Ouvrage vaste et touffu au demeurant, dont l'argumentation se veut, ostensiblement et fiévreusement, scientifique, positiviste et expérimentale, dans la digne succession de Darwin, mais qui, à y regarder de près, se révèle pétrie de contradictions, nées d'obsessions à la limite du délire. Je voudrais montrer par le biais de quels fantasmes masculins, de quelle mythologie sous-jacente, cet ouvrage en arrive à instaurer une liaison entre hérédité, sexualité et sang menstruel, et comment Lombroso s'inscrit par là dans une idéologie plus globale de bourgeois et d'homme de science du XIXème siècle.

Pour signaler tout de suite en quoi consiste, dans sa manifestation la plus évidente, cette idéologie de bourgeois aisé, un exemple suffira. Ce n'est nullement un lapsus si, une fois sur deux, l'auteur, dans ses