Face au "fléau" de l’infertilité, le gouvernement d'Emmanuel Macron compte répondre par le "Réarmement démographique". À la veille du 49ème anniversaire de la promulgation de la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France, ces mots pourraient paraître tout droit sortis d’un roman dystopique. Pourtant, c'était bien la teneur de l'allocution du chef de l'Etat donnée le 16 janvier 2024. 

Sur les réseaux sociaux, nombreuses sont depuis les réactions face à ces mots issus du champ lexical de la guerre, qui font -à nouveau- du corps des femmes, un enjeu national

"La liberté de choisir d’avoir ou non des enfants est un combat historique des féministes !", rappelle la Présidente du Planning Familial, Sarah Durocher, sur X.

"La mise en place de politiques natalistes, profondément contraire à l'autonomie des femmes, constitue une régression politique et sociale préoccupante", appuie la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles, également dans un post X

Et les différentes annonces faites par l'Élysée depuis cette prise de parole présidentielle ne rassurent guère. Lundi 22 janvier 2024, il a ainsi été dévoilé que "l’exécutif voudrait généraliser un examen gynécologique pour les femmes et un spermogramme pour les hommes, pris en charge à 100 % par la Sécurité sociale, à 25 ans, soit l’âge où les femmes sont le plus fertiles", informe La Tribune.

De la pression à enfanter

Anne-Cécile Mailfert, Présidente de la Fondation des femmes et la Présidente du Planning Familial, Sarah Durocher nous expliquent en quoi ce "grand plan de fertilité" pour "réarmer démographiquement" la France peuvent faire craindre pour le droit à l’avortement. 

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Marie Claire : Lundi 22 janvier 2024, l'Élysée a annoncé travailler sur la mise en place d'un "bilan de fertilité" pour les femmes et les hommes de plus de 25 ans. Quel regard portez-vous sur cette proposition ? 

Anne-Cécile Mailfert : "Tout d'abord, ce qui est très important, c'est que les femmes aient le choix, puisque la grossesse repose sur elles, sur leur corps. Et la maternité va peser démesurément sur elles, sur leur carrière...

C'est très bien que ce genre de politique de santé puisse être évidemment gratuite, remboursée. Mais ce qui m'interroge, c'est le fait de le proposer à 25 ans. Pourquoi ? Si les femmes ne font pas d'enfant à 25 ans aujourd'hui et qu'elles les font plus tard, c'est parce qu'elles mettent plus de temps à se poser dans la vie, à avoir un travail et un compagnon stables. Si à 25 ans, vous avez un bilan qui vous dit : 'attention, votre fertilité décroit', qu'est-ce qui va se passer ? Vous allez avoir une double pression de cette horloge biologique (médicale et sociale) qui va vous pousser à avoir des enfants et à potentiellement faire des choix de vie ou de carrière différents.

Il y a quelque chose qui est terrible : les femmes et leurs enfants sont comme au service de la nation.

Sarah Durocher : "Concernant la santé publique, les questions de fertilité et d'infertilité sont nécessaires et nous n'y sommes pas opposées. Mais concrètement, comment est-ce qu'on accède à ce droit et dans quoi s'inscrit-il ? En parallèle, il n'y a pas d'éducation à la sexualité, et des urgences que les féministes réclament concernant les base de secteur de santé rurale (BSRR), mais nous ne sommes pas écoutées, alors que c'est tout autant important.

L'expression "réarmement démographique" est indéniablement belliqueuse. Pourquoi ces injonctions natalistes reprenant le vocabulaire de la guerre sont-elles problématiques ? 

A-CM : Déjà ça nous place dans un contexte où la guerre est une possibilité. Il n'y a rien qui motive moins à faire des enfants que cette idée. Ensuite il y a une question éthique. Les enfants ne sont pas des armes, ni de la chair à canon. C'est à nous de les protéger, de leur assurer un avenir financier, une planète vivable... Il y a quelque chose qui est terrible : les femmes et leurs enfants sont comme au service de la nation.

SD : Un enfant n'est pas une arme de guerre. Oublie-t-on que nous sommes actuellement dans ce contexte, avec le conflit entre Israël et le Hamas ? Maternaliser un enfant pour aller au combat, c'est assez édifiant, une logique qu'on n'avait pas entendue depuis longtemps. Les notions de choix, de désir n'ont pas été abordées. Le corps des femmes n'appartient pas à la nation. Ce n'est en tout cas pas ce qu'on entend aux permanences du Planning, on veut avoir le choix. Et c'est désolant de constater que le corps des femmes n'a été abordé que de cette manière. 

L'importance de réaffirmer la notion de choix

Comment ce type de discours rétrograde peut-il nourrir ceux des mouvements anti-IVG, de plus en plus nombreux sur les réseaux sociaux selon le dernier rapport de la Fondation des femmes*

A-CM : Ça ne nourrit pas ces mouvements, mais ça les conforte. Dans ces mouvements, la natalité est centrale dans l'idéologie. Ils pensent que nos nations occidentales sont affaiblies à cause du féminisme et que l'un de ces affaiblissements le plus clair et le plus dangereux, ce sont les droits sexuels et reproductifs. Regardez l'Italie où l'extrême droite italienne a renommé le Ministère des femmes en Ministère pour la Famille, la Natalité et l'Égalité des chances.

SD : C'est la première chose à laquelle j'ai pensé. C'est ce qu'on va entendre à la manif anti-choix dimanche prochain, c'est ce que peut dire le Rassemblement National. Sous couvert du : 'il faut donner des droits à ceux qui veulent des enfants', il y a un projet nataliste derrière, qu'on entend souvent de la part de nos opposants. 

Ces discours nous font peur car ils font écho à des discours très natalistes qu'il y a pu avoir en France et qu'il y a actuellement en Hongrie et en Pologne.

Ce genre de prise de parole pourrait-il peser sur la constitutionnalisation du droit à l'avortement, dont le texte est examiné ce mercredi 24 janvier à l'Assemblée Nationale ?

A-CM : C'est très important de protéger le droit à l'avortement. Parce qu'à nouveau, tous ces mouvements réactionnaires savent que l'une des solutions à leur 'problème', c'est d'aller vers une société où les femmes n'ont pas le droit de choisir.

Est-ce qu'on voyait les États-Unis rétropédaler ? En tout cas, ce qui est sûr, c'est que l'immense majorité de la population est favorable au droit à l'avortement. Le problème, c'est qu'on a une minorité réactionnaire qui est puissante, qui a des postes au gouvernement, qui est élue député et élue sénateur. Et ces personnes-là sont celles qui vont revenir sur le droit à l'avortement. Ça va commencer par écouter obligatoirement le battement de cœur du fœtus. Après, le nombre de semaines sera réduit. Puis, le droit sera rogné.

SD : C'est une bataille que l'on mène depuis des années. Mais il faudrait poser la question à Emmanuel Macron. J'espère qu'il est sûr de ce qu'il a proposé et qu'il a parlé avec les deux chambres, parce que ce n'est pas un détail pour le nombre de femmes qui avortent, pour les féministes françaises et du monde qui nous regardent. Nous ne sommes pas un détail.

Dans le discours du Président, la notion de choix est inexistante. L'annonce du bilan de fertilité n'a pas non plus été accompagnée de la mention "au choix". Pourquoi est-ce important que les politiques appuient aussi sur ce droit à ne pas vouloir d'enfant ? 

A-CM : On a toujours mis la pression aux femmes sur ce sujet. Ne pas appuyer cette notion de choix, c'est dire que les femmes sont d'abord et avant tout vues comme des mères. Qu'on se réalise au travers de la maternité, qu'on est une femme accomplie, une femme heureuse, une femme qui contribue à la société, qui contribue à la civilisation et la nation.

C'est très important de déconstruire ces mythes-là, en induisant le choix. On peut être femme sans être mère et c'est OK. Mais avec ce discours, on les culpabilise et on les stigmatise en quelque sorte. Car elles ne 'participent' pas au 'réarmement' de la nation française en refusant de faire des enfants alors qu'elles pourraient en avoir quand d'autres qui sont infertiles.

Le fait que les femmes françaises décident de faire moins d'enfants, c'est surtout parce que les inégalités persistent. La double journée travail-maison, c'est ça le problème.

SD : Ces discours nous font peur car ils font écho à des discours très natalistes qu'il y a pu avoir en France et qu'il y a actuellement en Hongrie et en Pologne. Ces paroles et ce vocabulaire employés à quelques mois de faire rentrer l'IVG dans la Constitution... Il y a quelque chose d'assez schizophrénique.

Le Président n'a pas parlé de l'avortement, seulement quand un journaliste a posé une question. C'est important de poser des questions sur la fertilité et l'infertilité. Mais en termes d'enjeux, de droits sexuels et reproductifs, on trouve qu'il devrait y avoir une interrogation plus complète, qui prenne en compte les préoccupations climatiques, de choix, des combats des femmes... 

On ne peut pas comparer une natalité d'avant-guerre, avec une période où des droits ont été gagnés par les féministes". 

L'outil nommé par Emmanuel Macron pour contrer le "fléau" de l’infertilité est le congé de naissance qui se substitue au congé parental. Cette nouvelle mesure, annoncée comme la solution pour ne plus éloigner les mères du marché du travail peut-elle réellement être bénéfique ? 

A-CM : Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait productif. Les solutions de garde sont souvent trop pauvres, alors au bout de six mois, on fait quoi ? Souvent, ce sont les mères qui compensent. 36% des femmes vont réduire leur activité professionnelle à l'arrivée du deuxième enfant, contre seulement que 9% des hommes.

Et finalement, a-t-on vraiment un problème avec ce congé, avec la natalité ? Le fait que les femmes françaises décident de faire moins d'enfants, c'est surtout parce que les inégalités persistent. La double journée travail-maison, c'est ça le problème. Il faut déjà répondre à des problématiques qui pèsent, souvent sur les épaules des femmes. Une société inégalitaire ne donne pas envie de faire des enfants". 

*La Fondation des Femmes a présenté son nouveau rapport co-publié avec l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) et soutenu par Luminate : "Mobilisation anti-avortement en France : quand les réseaux sociaux menacent le droit à l’IVG", le 17 janvier 2024.