"Maman est là". C’est par ces trois petits mots que Karen Aiach a titré son ouvrage mi-autobiographique mi-épistolaire, qui raconte son histoire et celle de sa fille Ornella, atteinte depuis sa naissance d’une maladie génétique rare : la maladie de Sanfilippo. Ce syndrome à la fois méconnu et incurable, a bouleversé la vie de cette femme, diplômée des grandes écoles et destinée de prime abord à une carrière dans la finance.

Avec courage et détermination, et ce malgré un diagnostic cruel alors que sa fille n'est âgée que de cinq mois, elle décide de se battre en créant une entreprise à l’origine de l'élaboration du tout premier traitement expérimental en thérapie génique de ce syndrome. Aujourd’hui, alors que Lysogene va lancer la deuxième vague d’essais cliniques du médicament, Karen Aiach livre dans un ouvrage à la fois sensible, technique et puissant, son histoire. Celle d’une mère que la révolte et l’amour ont aidé à déplacer des montagnes.  

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Qu’est-ce que la maladie de Sanfilippo ? Quels sont les symptômes et les conséquences de ce syndrome ?

Karen Aiach : “La maladie de Sanfilippo est une maladie pédiatrique neurodégénérative mortelle. Elle se caractérise par un profond retard mental, des symptômes très importants au niveau des troubles du comportement dès la naissance et un décès prématuré au début de l’adolescence.

C’est une maladie génétique rare et extrêmement violente qui touche 100 à 150 enfants par an en France et quelques milliers dans le monde. Elle est extrêmement dévastatrice pour les patients évidemment, mais aussi pour leur famille, car ce sont des enfants très compliqués à prendre en charge et pour lesquels il y a très peu de structures. C’est surtout une maladie pour laquelle il n’existe pas de traitement, sauf la technique développée par Lysogene, mon entreprise, qui on l’espère deviendra un succès dans quelques années."

Durant votre combat contre cette maladie, quels ont été les plus gros obstacles ?  

"C’est d’abord de devoir gérer une vie de mère et une vie de femme qui travaille : évidemment, tous les parents qui travaillent se disent la même chose, mais là, ça prend un retentissement particulier parce que j’ai une enfant qui a une santé extrêmement précaire.

Au-delà de cet équilibre pro / perso à trouver, s’ajoutent d’autres difficultés comme trouver les financements à mon entreprise. Et puis, il y a aussi cette course contre la montre que suppose cette maladie. D’un côté, on a beaucoup de familles et d’associations de patients plein d'espoir qui se tournent vers nous, parce qu’on est les plus avancés dans la recherche associée au syndrome de Sanfilippo, et d’un autre côté, il y a la nécessité de prendre le temps qu’il faut pour développer un médicament, les essais cliniques à l’international, les réglementations à respecter, etc. C’est un vrai challenge."

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous en tant que mère ?  

"Le plus dur en tant que maman durant ces années, c’est de voir ces progrès très importants dont ma fille ne pourra pas bénéficier. Ornella a par exemple participé à l’essai de première génération, mais elle ne pourra pas tester celui qu’on est en train de lancer en clinique, alors même qu’on a amélioré le produit. Je me bats toujours, mais plus pour ma fille.

J’ai continué cette mission alors même que ma fille se dégradait

Si je le fais c’est que je suis convaincue que j’œuvre pour le bien et qu’on a un bon médicament entre les mains. Ça n'en n'est pas moins douloureux : j’ai continué cette mission alors même que ma fille se dégradait. Sans compter les bouleversements dans notre famille, le fait aussi de ne pas pouvoir s'octroyer du temps pour soi, c’est compliqué. Ce genre de maladies peut exploser des familles."

Comment avez-vous été reçue dans le monde académique si particulier de la recherche, alors même que vous étiez une femme, non-scientifique ?

"Certains n’ont pas été bienveillants parce qu’ils ne s’attendaient pas à voir une jeune femme, mère de patiente qui plus est, s’intéresser à ce point à la maladie de son enfant et prétendre pouvoir mettre en place les conditions pour la mise en place d’un traitement. J’imagine que ça en a froissé ou surpris quelques-uns. Mais quand on développe un médicament, il ne faut pas seulement des médecins et des scientifiques, il faut aussi tout un tas d’autres compétences. Et mon travail consiste finalement en cela : assembler les compétences, trouver les financements et faire que tout ça avance. Je n’ai certainement pas la prétention de me substituer aux scientifiques.

Quant au fait d’être une femme, je pense malgré tout que ça eu un impact. Favorable d’une part et défavorable de l’autre. Certains universitaires très haut placés ont pu être perturbé dans leur environnement et leur écosystème de devoir traiter avec une jeune femme, d’égal à égal. Mais je préfère ne pas prêter attention à ce genre de comportement. C’est la meilleure façon selon moi de ne pas donner de prise à cela." 

D’où tirez-vous votre force et votre résilience ?

"Je ne sais pas très bien. Je crois que la force et la résilience viennent avant tout de l’amour que l’on peut porter à nos enfants, et de l’envie de les sauver quand quelque chose de si grave les menace. Et puis de la révolte aussi face à l’absurdité d’un monde qui ne s’occupe pas de ses enfants malades. Il existe des milliers de maladies orphelines et 80% des patients touchés par celles-ci sont des enfants. Je trouve ça absolument scandaleux qu’on ne fasse pas plus d’efforts.

Ce qui m'a poussé à continuer ? La révolte face à l’absurdité d’un monde qui ne s’occupe pas de ses enfants malades

C’est aussi la colère et la révolte qui m’ont conduite à prendre les choses en main. C’est quand même aberrant qu’au 21ème siècle, ce soit une mère de famille qui soit finalement obligée de prendre en charge l’élaboration d’un traitement d'une maladie parce que personne d'autre ne s’en occupe. D’autant que certaines approches thérapeutiques -comme la thérapie génique - qui n’existent que par les maladies rares au départ car ce sont des techniques expérimentales, peuvent servir ensuite au plus grand nombre."

Aujourd’hui, comment envisagez-vous l’avenir ? Pour votre famille, d’abord, et pour votre entreprise ?

"Au niveau de ma vie de famille, c’est d’abord de gérer au mieux Ornella, qui a 13 ans aujourd'hui et dont l’espérance de vie reste incertaine. Elle est en soins palliatifs à la maison. Je veux lui offrir le maximum de sécurité et d’amour, dans sa vie de tous les jours. Ensuite, élever ma deuxième fille Salomé, qui a 12 ans. Elle est adorable et mérite aussi beaucoup d’attention.

Pour Lysogene, j'aimerais réussir nos nouveaux essais cliniques et pouvoir annoncer dans quelques années qu’on a mis au point un médicament efficace qui transformera radicalement la vie des patients. C’est ça qui nous motive."