Suivre le chemin de croix d'une jeune fille pour avorter dans la France des années 60, c'est accepter d'être soi-même désarmée. Démunie face à ce qu'on sait ou croit savoir sur le sujet. On pensait qu'un tel film prenait un peu le risque d'être anachronique – après tout, n'est-il pas l'adaptation d'une épreuve vécue et relatée par l'écrivaine Annie Ernaux lorsqu'elle était encore étudiante ?

Faux : L'événement résonne avec l'actualité d'un droit à l'avortement sans cesse chahuté à travers le monde – et récemment au Texas. C'est désapprendre aussi les images manquantes ou détournées de l'IVG illégal dans l'histoire du cinéma : à quelques exceptions près (4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu), cette expérience partagée par de si nombreuses femmes – cf. le "Manifeste des 343" – fut longtemps reléguée en périphérie de la fiction, dans un hors-champ lointain et ignoré.

Film de guerre et thriller asphyxiant

Et soudain on voit. On est confronté·e frontalement à l'insupportable : le jugement des autres, le paternalisme, la solitude. La honte, la peur, la douleur physique. Le sang. Pour raconter l'enfer vécu par Anne (la formidable Anamaria Vartolomei) dans une société qui interdit l'avortement, où chaque jeune fille ignorante de la sexualité et accidentellement enceinte est condamnée à être une fille-mère, L'événement privilégie l'intime au récit dit "objectif", le prosaïque au spectaculaire.

La caméra fait corps avec l'héroïne par le format 4/3 (une image carrée) qui figure tout autant le piège où Anne se débat. Voilà ce qu'on expérimente ici : regarder une image qui fait le choix de relayer un vécu, plutôt que de s'exhiber elle-même, détachée de son sujet.

Vidéo du jour

Audrey Diwan nous surprend avec ce deuxième long métrage radical et habité, elle qui s'était jusqu'ici illustrée dans le copilotage de scénario musclés (La French, BAC Nord) et un premier film centré sur un personnage masculin souffrant d'addiction (Mais vous êtes fous, avec Pio Marmaï).

C'est un peu comme si la réalisatrice avait dû d'abord plonger dans un grand bain de testostérone avant de donner vie, en quelque sorte, à un équivalent féminin. Car L'événement est aussi, à sa manière, un film de guerre, un thriller asphyxiant qui met en scène une bataille. Celle d'une jeune femme contre la société pour protéger son corps et permettre l'accomplissement de ses rêves – devenir professeure.

Anne n'est pas une victime. C'est une battante. Une future transfuge de classe, comme l'a été Annie Ernaux et comme l'est probablement toute femme cinéaste parvenant à imposer son talent au monde.

L'Événement d'Audrey Diwan, avec Anamaria Vartolomei, Kacey Mottet Klein. En salle le 24 novembre.

Ce papier a été initialement publié dans le numéro 831 de Marie Claire, daté décembre 2021.