Tout commence dans la ville paisible de La Corogne, au coeur de la Galice espagnole. Amancio Ortega, fils de cheminot, quitte l’école à 13 ans et enchaîne les petits boulots dans l’industrie textile avant de lancer en 1963 une petite fabrique de robes de soirées et robes de chambre : Confecciones Goa.

Une petite entreprise qui ne connaît pas la crise et qui ouvre, en 1975 sa propre boutique en ville. Son nom ? Zorba, d’après le film mythique sorti plus tôt, "Zorba le Grec". Le propriétaire d’un bar voisin craint toutefois que la confusion se fasse avec son établissement du même nom et demande à Ortega de faire preuve d’un peu plus de créativité. C’est ainsi que Zara est né.

De Zorba à Zara

Souhaitant maintenir ses ateliers de confections à La Corogne, l’entrepreneur autodidacte se distingue d’emblée de ses concurrents par une stratégie visionnaire.

Et pour cause, au lieu de sous-traiter la fabrication de ses vêtements dans des pays comme l’Inde et la Chine tristement réputés pour leur main d’oeuvre bon marché, Amancio Ortega opte pour un mode de production local qu’il qualifie lui-même d’instantané.

Son secret ? Des micro-collections réalisées en petites quantités, suivant de près les tendances au détriment des traditionnelles saisonnalités et vendues à des prix très abordables.

Sans stock, ni invendus, et surtout pas de campagne de publicité, l’espagnol parvient ainsi à créer le désir tout en réduisant au maximum les coûts inhérents à toute entreprise textile. Un coup de génie qui permet à Zara d’ouvrir en moins de 10 ans une dizaine de boutiques et un gigantesque centre logistique.

En 1985, Zara rejoint Inditex, futur groupe textile tentaculaire fondé également par Ortega et qui donnera naissance à d’autres jeunes pousses de la fast-fashion comme Massimo Dutti, Bershka ou encore Stradivarius.

Vidéo du jour

Trois années plus tard, Zara s’installe à Porto au Portugal puis à New-York. C’est le début d’une internationalisation galopante avec des ouverture de boutiques à tour de bras à travers le monde, de Mexico à Nicosia en passant par Bruges et bien entendu Paris dès 1990.

Les collections se diversifient et Zara habille la femme comme l’homme et l’enfant et produit vêtements, chaussures, accessoires, parfums avant de lancer en 2007 Zara Home, une ligne d’objets de décoration. Avec 2000 magasins ouverts dans plus de 200 pays, Zara donne un nouveau coup d’accélérateur en 2010 en inaugurant son e-shop, qui boost de façon exponentielle un chiffre d’affaires évalué à 18 milliards d’euros en 2018.

Ortega ? Il est devenu quant à lui l’homme le plus riche du monde.*

Mode démocratique et excès de vitesse

Au-delà de l’ingénieux business model, c’est toute notre manière d’appréhender les vêtements qui se trouve ainsi bouleversée par l'ascension fulgurante de l’enseigne galicienne.

"Avec Zara, vous savez que si vous ne l'achetez pas, sur-le-champ, dans un délai de 11 jours, le stock entier changera. Vous l'achetez maintenant ou jamais. Et parce que les prix sont si bas, vous l'achetez maintenant", expliquait au New York Times Masoud Golsorkhi, éditeur de la revue britannique Tank.

Résultat ? Le shopping d’antan se mue en sessions exutoires d’achats compulsifs, façonnant petit à petit une mode jetable où le vêtement se voit presque d’emblée attribué une durée de vie, sinon de désirabilité, à durée limitée.

En cause, une chaîne de production ultra-réactive qui permet à M. et Mme, Tout-Le-Monde de se réapproprier les tendances, vastes "copier-coller" des pièces de créateurs et maisons de luxe, au détour de collections mensuelles qui disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues.

Chez Zara, un dessin technique de robe, manteau ou de pantalon est transformé en vêtement et présenté en magasin seulement en un mois. Satisfaire notre insatiable appétit de nouveautés : telle est la corde sensible sur laquelle tout le succès de Zara est fondé, lui offrant à l’heure de l’urgence climatique, une place de choix sur le banc des accusés.

Scandale(s)

Face aux critiques, l’enseigne adoubée par les anonymes comme les têtes couronnées a discrètement contre-attaqué, affirmant son désir de produire l’intégralité de ses collections dans des matières durables d’ici 2025.

En attendant, Zara a également lancé Zara SRPLS, une collection inspirée des vêtements utilitaires, entièrement fabriquée à partir de matériaux recyclés tout en privilégiant en parallèle les colorants d’origine naturelle ou encore le don de ses invendus à des associations caritatives, notamment en France.

Il faut aussi désormais compter sur Zara Origins, une ligne de pièces mixtes qui proposent un vestiaire intemporel.

Une façon plus ou moins convaincante d’apaiser les polémiques, notamment lorsqu’une cliente annonce, en 2017, avoir trouvé dans une boutique Zara d’Istanbul des messages de détresse d’ouvriers. Insérés sur des étiquettes par des représentants syndicaux de l’un des sous-traitants de l’enseigne, ils témoignent de la précarité dans laquelle sont fabriqués ces vêtements dont on remplit compulsivement nos dressings.

Dernièrement, c'est la question de l'exploitation des Ouïghours qui a mit la marque au rang des accusés. De quoi inciter Zara à faire du développement durable et de la mode éthique la prochaine tendance à proposer à ses clientes.

* En 2016. Source : Forbes.