Fascinée par les orages, façonnée par la comédie et enragée par le racisme qui pullule le milieu du théâtre et pas seulement, Annabelle Lengronne se dévoile pour Marie Claire en sept indices. Rencontre.

Cyclones

Elle est adoptée à la naissance à Paris par un couple qui part ensuite s'installer à Fort-de-France, en Martinique, où celui-ci fabrique et vend des cercueils et des tombes. Son père a conçu la dernière demeure de l'homme politique et poète Aimé Césaire.

Chaque année, une dizaine de cyclones agitent l'île et la famille se barricade pendant vingt-quatre heures. "C'était très ennuyeux… Mes parents pensaient me divertir avec des jeux de société sauf que je n'avais pas peur. J'ai toujours été fascinée par les orages et le ciel qui volait avec des vents à 270 km/h."

Vidéo du jour

Gothique

Enfant, elle est victime de harcèlement scolaire pendant une douzaine d'années. "En Martinique, il y a un problème de colorisme. Plus on est foncé de peau, moins on vaut quelque chose." Au lycée, elle souffre d'être en surpoids, s'habille en gothique, écoute du métal et se scarifie. "C'était super flippant."

Pour s'exprimer et se faire une place, elle suit un atelier théâtre : fascinée par Cyrano de Bergerac, "une pièce qui parle de la différence", elle rêve d'en jouer le rôle-titre.

Théâtre

En 2005, après le bac, elle arrive à Paris, où elle intègre l'école de théâtre Claude Mathieu pendant trois ans. Tragédie grecque, Molière, poésie, tango, kabuki, marionnette humaine, théâtre jeune public… "Étant partie à 8 000 kilomètres de chez moi, je voulais une formation solide !".

Elle débute sa carrière sur les planches, où elle est repérée par un agent de cinéma. Suivent ses premières apparitions dans Une vie meilleure de Cédric Kahn et Les Kaïra de Franck Gastambide.

Dark skin, j'ai joué la femme en colère pendant une dizaine d'années.

Geste citoyen

Noël 2021. En vacances à Dax, elle croise le chemin d'un homme qui profère des insultes racistes à son égard. "J'avais déjà vécu des situations similaires – et ce n'est pas fini – mais ce soir-là, je n'ai pas laissé passer. Dans la profession, des personnes m'ont suggéré de passer à autre chose… Porter plainte et faire condamner cette personne fut mon premier geste citoyen. Je ne fais pas de politique mais on est dans un moment de l'histoire où c'est politique."

Colère

Dans son métier, elle regrette de voir régulièrement une émotion assignée à une couleur de peau. "Dark skin, j'ai joué la femme en colère pendant une dizaine d'années. Je l'étais donc ça collait bien mais avec la maturité, j'ai eu envie d'essayer autre chose…"

Elle vit sa première déconvenue d'actrice lorsqu'un professeur lui suggère de travailler le rôle de la Négresse dans Le Soulier de satin de Claudel pour préparer les concours des grandes écoles. "Vous n'êtes pas le théâtre", lui a-t-elle répondu.

Château-Rouge

Dans Un petit frère de Léonor Serraille, elle incarne Rose, une mère célibataire décidée qui vient de quitter la Côte d'Ivoire pour s'installer en France avec ses deux enfants. "En vivant avec elle, j'ai aimé pouvoir exprimer un sentiment de liberté... C'est comme si j'avais rencontré une amie."

Pour préparer le rôle, elle se balade en bas de chez elle, dans le quartier africain de Paris, à Château-Rouge, où elle croise des Rose de tous les âges.

Onomatopées

C'est en passant du temps avec Audrey Kouakou, sa partenaire de jeu d'origine ivoirienne qui joue sa cousine dans Un petit frère, qu'elle parvient à prendre l'accent et à se familiariser avec les onomatopées. "Ayant été adoptée, je n'ai aucun lien avec l'Afrique directement. Je suis d'origine sénégalaise, mes parents sont blancs. Mère auvergnate, père pyrénéen. En dépit de ce qu'on peut penser, aborder l'africanité de Rose n'a pas été évident pour moi."

Un petit frère de Léonor Serraille, avec aussi Stéphane Bak, Ahmed Sylla, Laetitia Dosch…

Ce portrait a été initialement publié dans le numéro 846 Marie Claire, daté mars 2023.