C'est en se remémorant une garde particulièrement difficile et pendant laquelle elle estime ne pas avoir exercé correctement son métier qu'Anna Roy, sage-femme et autrice du podcast Europe 1 Sage Meuf, prend conscience qu'elle est "maltraitante". Elle relate alors cette histoire dans une vidéo, publiée le 17 novembre dernier sur les réseaux sociaux, et accompagnée du hashtag #jesuismaltraitante.

Vidéo du jour

"Ce jour-là, j'accueille un joli couple. Ils ont la trentaine, adorables, se souvient-elle. J'avais envie de les accompagner même s'il y avait un boulot fou. Mais vite la situation se complique. Je pose le monitoring et je tombe sur un rythme cardiaque fœtal très pathologique. Je vois rapidement que ça ne va pas du tout et l'obstétricien me confirme qu'il faut qu'on césarise vite. La salle d'attente est pleine à craquer, mais j'y vais quand même. On fait naître cet enfant, qui va très mal sur le moment mais qui réussit à s'en tirer. Je me souviens ne pas avoir pris en charge la douleur de cette femme qui venait d'avoir une césarienne. Je l'ai laissé traîner dans des serviettes hygiéniques trempées de sang que l'on n'a pas pu changer, ni moi, ni les infirmières, ni les aides-soignantes qui étaient présentes."

En colère, elle exprime sa revendication : "1 femme = 1 sage-femme en salle de naissance". Dans la foulée, Anna Roy, ainsi que Clémentine Sarlat (autrice du podcast La Matrescence), Clémentine Galey (productrice du podcast Bliss), Agathe Lecaron (présentatrice de La Maison des maternelles) et Alyson Cavaillé, (fondatrice de la marque tajinebanane) lancent une pétition adressée au Ministre de la santé et au Président de la République.

Marie Claire : vous réclamez une sage-femme par femme enceinte. Quels autres moyens doivent-être alloués aux maternités selon vous ?

Anna Roy : "Pour moi, il ne doit pas y avoir de négociation sur la sage-femme par femme. C'est la base. Dans certaines maternités, elles peuvent être seules pour 25 nouvelles mamans. Comment voulez-vous travailler dans de bonnes conditions ?

Sur le reste, j'ai pleins d'idées ! Il faut travailler sur la paternité, sur la généralisation des maisons de naissance, sur la sécurisation des accouchements à domicile... Tout le monde à l'air de croire que je demande quelque chose de fou, mais d'autres pays comme l'Angleterre ou Les Pays-Bas le font très bien.

Il faut avoir conscience que n'importe qui, un jour, peut être maltraité à l'hôpital si les choses ne changent pas. Et a priori, beaucoup de femmes vont accoucher.

Il doit y avoir une vraie réflexion éthique. Quel prix accorde-t-on à la vie des gens ? Il faut se poser les bonnes questions. Aujourd'hui, la Covid-19 agit comme un accélérateur et je suis très contente de porter un combat pour la naissance en ce moment. Cela fait 40 ans que les soignants réclament des lits, mais il y en a de moins en moins. Pour que ces revendications soient mieux entendues, il faut que les usagers nous rejoignent. Souvent, on ne se sent pas concerné, jusqu'à ce que l'on devienne victime soi-même. Il faut avoir conscience que n'importe qui, un jour, peut être maltraité à l'hôpital si les choses ne changent pas. Et a priori, beaucoup de femmes vont accoucher.

750 000 bébés par an arrivent au monde. Les mains de la sage-femme sont les premières qui vont prendre soin de l'enfant qui vient de naître. Ce n'est pas rien. Il faut que ces mains soient à l'hauteur. On nous parle de chiffres, de réunions... Mais de quoi parle-t-on ? Ce n'est pas le sujet."

Vous vous dites "maltraitante". C'est un mot très fort...

"J'ai choisi ce mot, parce que c'est vrai. Les infirmières utilisent ce très joli concept des 14 besoins fondamentaux de la personne humaine, rédigé par Virginia Henderson en 1947 et qui définit les besoins des patients auxquels elles doivent répondre pour qu'ils se sentent bien. À partir du moment on l'on ne répond pas à ces besoins, on est maltraitant. Et bien je le ré-affirme : je suis maltraitante. C'est très dur d'endosser cela.

Nous sommes toujours les 'oubliées', tout le monde se fout de nous. Et je suis certaine que c'est parce que justement, nous sommes des femmes au service des femmes.

J'adore mon métier et j'ai renoncé à beaucoup de choses pour l'exercer. M'avouer maltraitante alors qu'au contraire, j'ai voulu le faire pour servir la vie, c'est compliqué. Quand j'ai raconté ma garde la première fois en vidéo, j'ai eu une prise de conscience. Je me suis dis 'Anna, arrête de dire que c'est le système qui est maltraitant. C'est toi ! De qui on parle ? Qu'est-ce que le système ? Celle qui est en première ligne c'est toi'.

Nous sommes toujours les 'oubliées', tout le monde se fout de nous. Et je suis certaine que c'est parce que justement, nous sommes des femmes au service des femmes. Il y a quelques hommes, mais cela reste un métier majoritairement 'féminin'."

Vous avez lancé une pétition. Avez-vous déjà des retours ?

"Pas encore. Pour le moment je 'surfe sur la vague médiatique' pour faire passer mon message. J'attends sagement."

Quels échos avez-vous eu de la part de vos consoeurs ?

"Je suis très touchée par les nombreuses réactions que suscite mon message. Je vois l'ampleur que c'est en train de prendre et cela m'effraie même un peu.

J'ai eu des retours de sages-femmes bien sûr, mais aussi d'infirmières, de médecins... J'ai même une femme, qui est dans la Police, qui m'a écrit en me disant qu'elle aussi se sentait maltraitante. On vit tous la même chose. Si cela peut être repris par d'autres corps, je serais très contente. Mettre un genou à terre, permet aussi d'entamer un dialogue avec les usagers. En leur disant : 'Putain, vous voyez dans quelle situation on se trouve ! Aidez-nous !'

Je suis aussi en lien avec le Collège et l'Ordre des sages-femmes, ainsi qu'un syndicat représentatif. J'ai pris contact avec eux, car j'avais peur d'aller au combat seule. Je pense qu'ils s'exprimeront de leur côté en temps voulu."