Omar Sy : "J'ai tendance à aller chercher le bon partout"

C’est l’une de ses premières interviews sérieuses et il a un peu peur. D’habitude, il fait le rigolo avec Fred pour parler du « SAV » (« Service après vente des émissions ») diffusé chaque soir dans « Le grand journal » sur Canal+. Ensemble, ils rient et mentent outrageusement dans les interviews en espérant rester des enfants. Dans « Intouchables »*, la comédie d’Olivier Nakache et Eric Toledano, l’humanité, l’éclat de ses rires, la lumière d’Omar Sy transcendent le film.

C’est un homme qui semble fondamentalement bon. Nous lui avons demandé la permission de le mettre à nu. Un peu perdu de se retrouver seul et sérieux, il a préféré garder un marcel noir sur peau noire, et s’est raconté : enfant de Trappes, mari fidèle, fervent positif face à la vie. Ses sourires fluo et ses rires puissants le disent sans cesse. Un homme de foi.

Marie Claire : Vous plaisantez sans cesse avec Fred, comment allez-vous gérer le passage vers le statut d’acteur ?

Omar Sy : C’est vrai que j’ai peur. Ça me rend hésitant, j’ai moins confiance.

MC : Les acteurs ont souvent un complexe d’imposture. Est-ce votre cas ?

Omar Sy : Oui, jusqu’à « Intouchables ». Avant, j’avais l’impression que tout ce qui m’arrivait n’était pas du tout justifié, je me disais qu’on allait sonner chez moi et me dire : « Il faut tout rendre, on annule tout, on s’est trompé. » C’est le premier film où je m’autorise à dire que je suis acteur. On verra pour les autres. Je ne m’avance pas sur le reste de ma vie.

MC : Vous semblez naturellement positif, joyeux, solaire.

Omar Sy : C’est très gentil. Le mauvais, les énergies négatives, le malheur, la misère me terrorisent. J’ai tendance à aller chercher le bon partout. C’est vital. Dès que je peux sourire, je souris. Ça me fait du bien. On parle de générosité dans ces cas-là, mais c’est de l’égoïsme pur.

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MC : Faites-vous parfois la gueule ?

Omar Sy : Oui, mais ça me fait horriblement souffrir et je ne sors pas de chez moi. Je n’ai pas envie d’infliger ça aux autres. C’est comme si je partageais du poison. Si tu as le malheur d’en avoir, au moins ne le donne pas.

MC : Pouvez-vous être violent ?

Omar Sy : Oui. Je serais un menteur si je disais le contraire. Je peux répondre à la violence par la violence. Le but, c’est de m’améliorer. Je ne suis pas Gandhi. (Rires.) J’ai grandi à Trappes.

(*) En salles le 2 novembre 2011.

Omar Sy : "Avec Jamel, on a eu la même enfance"

Marie Claire : Comme Jamel Debbouze. Il racontait à Marie Claire la vie sans eau chaude, la pauvreté, les baskets sur lesquelles il fantasmait. Vous l’avez aussi vécue difficilement, la vie à Trappes ?

Omar Sy : On en parle beaucoup avec Jamel, car on a eu la même enfance. C’est avec du recul, en comparant la mienne avec celle des autres, que je me suis rendu compte des moments violents et durs que j’ai connus. Mais c’était la norme. On fait avec et on arrive à vivre heureux. J’ai eu une enfance géniale. J’ai le souvenir de moments où je me marrais, de potes que j’ai encore aujourd’hui, de solidarité, de rapports très forts et fraternels.

Marie Claire : Vous avez vu vos parents trimer ?

Omar Sy : Oui. Ma mère était femme de ménage, mon père magasinier, il rangeait des caisses dans une usine. C’est pour ça que j’ai ce sentiment d’imposture : le travail, c’était pour moi de la souffrance. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression de travailler car c’est un plaisir immense.

MC : Ça vous rend coupable ?

Omar Sy : Oui. Je me suis posé un tas de questions : « Pourquoi moi ? Et pourquoi pas mon frère ? » J’ai l’impression que c’est du vol. Parfois je me dis qu’il faut que je transpire, que je souffre.

Marie Claire : Enfant, aviez-vous des rêves ?

Omar Sy : Non. Je me disais juste : il faut que je trouve un moyen pour m’en sortir. J’y croyais. Je suis un aventurier, même si je ne suis pas très courageux.

MC : Etes-vous instinctif ?

Omar Sy : Je suis attentif à ce qui se passe dans mon ventre. Et j’essaie de sentir ce qui se passe dans le ventre de l’autre. J’ai un côté primitif : je regarde bien dans les yeux, j’observe beaucoup les gestes.

MC : Vous avez choisi de vivre où ?

Au milieu des arbres et des champs. Je ne suis pas loin de Montfort-l’Amaury, vous connaissez ? J’ai besoin de moments de retrait, où je réfléchis, où je me concentre sur moi et sur les miens. Je peux me poser à un endroit et ne rien faire pendant des heures. Regarder un oiseau qui passe, suivre un insecte avec ma fille. Je suis père de quatre enfants. Je profite d’eux.

MC : Quel âge ont vos enfants ?

Omar Sy : 10, 7, 5 et 2 ans.

MC : Vous avez voulu être père jeune ?

Omar Sy : C’est arrivé naturellement. J’ai toujours eu des enfants autour de moi. Je viens d’une famille où l’on en a beaucoup : quand ma mère n’en a plus fait, ce sont ses enfants qui ont fait des enfants.

Omar Sy : "Je suis fier d’être un homme marié"

Marie Claire : Etes-vous angoissé ?

Omar Sy : Je dois avoir des angoisses pour rire tout le temps, puisque, apparemment, ce n’est pas normal. Je dois cacher quelque chose. Je n’ai pas soulevé ces angoisses. Si : j’ai la crainte de perdre ma famille, mes parents, mes frères, mes sœurs. Ce n’est pas la peur de la mort, je l’ai intégrée. C’est de continuer à vivre, de les savoir vivants et de n’être plus connectés. Je ne pourrais pas ne plus les voir.

MC : Votre père et votre mère ont fait quel homme de vous ?

Omar Sy : Un homme attaché à la famille. Un arbre qui n’a plus de racines est « dead », il ne peut pas pousser, ni s’élever. L’échange est aussi très important pour moi.

MC : Vous parliez beaucoup ?

Omar Sy : Non, ce n’est pas dans notre culture. Nous, on est dans les gestes et dans les actes. J’ai appris avec ma femme qu’on pouvait dire « je t’aime » à ses enfants. On ne se disait pas « je t’aime », mais on voyait qu’on s’aimait.

MC : Pour vous, l’amour va-t-il forcément avec le mariage ?

Omar Sy : Non. Je me suis marié au bout de dix ans. En fait, on ne se rend pas compte de ce qu’est le mariage avant de le faire. Je pensais que c’était juste une fête et une bague, mais ça change beaucoup de choses. On est encore plus unis. On avait nos enfants, mais le mariage, c’est une affaire à deux. Je suis fier d’être un homme marié. Surtout avec cette femme.

MC : L’engagement va-t-il avec la fidélité ?

Omar Sy : Oui. Mais c’est une de mes angoisses. Je suis tellement content de ce bonheur, j’y tiens tellement, que ça me fait flipper. La vie est faite de surprises, l’infidélité existe. Avoir peur est aussi une manière de rester sur mes gardes, de ne pas m’endormir. Je ne suis pas l’homme parfait, mais je suis très attentif. J’essaie de rester séduisant, marrant, d’être toujours dans le coup. (Rires.) Surtout avec quatre gosses, il faut être là, tenir le marathon. Car c’est un marathon. (Rires.)

MC : Cela peut-il durer toute la vie ?

Omar Sy : Evidemment ! Pourquoi je le ferais sinon ? Je veux être un vieux papy avec elle. J’adore voir un papy et une mamie amoureux marcher ensemble, main dans la main. C’est magnifique. Je voudrais passer des années et des années avec elle, et que l’on se dise : « Tu te rappelles ? » C’est peut-être naïf, mais je le veux.

MC : Vous ne vous demandez jamais si vous ne passez pas à côté de quelque chose ?

Omar Sy : Non, mais ce qui m’effraie c’est que ma femme le pense. J’espère qu’elle ne se dit pas : « Est-ce que l’herbe est plus verte ailleurs ? » La vie sans elle me fait peur.

MC : Vous avez l’air très amoureux d’elle.

Omar Sy : Je le suis. Ça fait quatorze ans.

MC : Vous regardez les femmes dans la rue ?

Omar Sy : Ça, je ne vais pas le dire en interview ! Je vais donc vous répondre non.

Omar Sy :"ça se voit que je ne suis pas un adulte"

Marie Claire : Quelle est la toute première femme qui vous ait plu ?

Omar Sy : Là, c’est le moment confidence : Dalida et Dorothée. Je trouvais Dalida magnifique, elle avait de la lumière. Et puis Dorothée me plaisait. Quand, enfant, je regardais son émission, j’étais bien. Quand je l’ai revue, ça m’a fait quelque chose, c’est comme si je retrouvais une ex. (Rires.) Je suis encore très attaché à ces moments de ma vie passés devant la télé. J’ai beaucoup appris, voyagé grâce à elle, j’entendais un autre français, différent de celui de mes parents. J’ai découvert très tard ce qu’était la Fnac.

MC : Qu’est-ce qui est le plus difficile pour un enfant dans cette vie-là ?

Omar Sy : Ne pas avoir d’horizon. C’est le moment, en plus, où l’imaginaire est le plus puissant. Un enfant qu’on empêche de rêver, c’est hyper violent. Je serais très triste de savoir que mes enfants ne rêvent pas. Ça pourrait me tuer. Dire « c’est pas possible » à un enfant.

MC : A 33 ans, vous sentez-vous adulte ?

Omar Sy : Non. Ça se voit que je ne suis pas adulte. Je reste un enfant. Je ne veux pas avoir conscience de la réalité, du danger, du lendemain. Je le voudrais le plus tard possible, si possible jamais.

MC : Est-ce que vous vous trouvez beau ?

Omar Sy : Oui, je pense que je suis quand même beau gosse.

MC: Pourquoi portez-vous une boucle d’oreille ?

Omar Sy : C’est le seul acte de ma crise d’adolescence, l’une des rares fois où j’ai dit non à mon père. J’en ai eu envie en écoutant du rap. J’ai demandé la permission, puisque je suis un enfant qui a besoin de la bénédiction de ses parents, et l’on m’a dit non. Je n’ai pas aimé les raisons de ce refus : « On va penser que tu es une fille, on va penser que… » Je l’ai fait. Je la porte encore aujourd’hui car elle fait partie de ma construction.

MC : Quel est le plus beau cadeau que vous vous êtes fait ?

Omar Sy : Ma maison, avec un jardin et une cheminée. On parlait de rêve tout à l’heure, j’avais oublié : c’était un de mes rêves. Les gens disent : « Merci la vie », moi je dis : « Merci mon Dieu ».

MC : Croire vous rend plus fort ?

Omar Sy : Non. Je suis juste conscient qu’il y a plus grand que nous, et cela change tout. L’humilité est importante, je fais gaffe à mon ego. Quand tu as foi en Dieu, tu l’as en tout le reste : j’ai foi en l’amour, en mon mariage, dans le champ des possibles. Je suis croyant.