Le pitch est le suivant : hanté par le fantôme de son amour perdu, Scottie force Lucie à teindre sa chevelure rousse en blond platine. Ainsi, par cette métamorphose capillaire, Lucie accède-t-elle à son destin : se transformer en fantasme passionnel et, accessoirement, mourir.

Vous n'avez peut-être pas vu "Sueurs froides" (1958), film culte d'Alfred Hitchcock, mais, que vous le vouliez ou non, cette scène innerve l'inconscient collectif. Même chose pour les apparitions sur grand écran de Jean Harlow et Marilyn Monroe, pour les tandems brunes-blondes de "Mulholland drive" de David Lynch ou de "Vicky Cristina Barcelona" de Woody Allen. Le sociologue Michel Messu, auteur d' "Un ethnologue chez le coiffeur", nous le confirme : si aujourd'hui une femme sur trois se colore les cheveux (38 % des moins de 40 ans l'ont déjà fait), si les "tutos" et "influencers" cartonnent sur le Web, si encore les couleurs se saisonnalisent comme dans la mode (le "bronde", mariage de brun et de blond, étant cité comme le "it" de la collection printemps-été 2014) ouvrant un champ marketing florissant, l'histoire du cinéma n'y est pas pour rien.

Vidéo du jour

La coloration des cheveux, un jeu identitaire 

Hobby à haut risque dans l'Antiquité (les Romains avaient la chic idée de s'empoisonner avec du cyanure métallique), pratique encore marginale dans les années 50 (funeste époque où Marilyn Monroe s'est cramé le cuir chevelu), la coloration s'est en effet démocratisée à la vitesse de l'éclair, outrepassant sa seule fonction utilitaire (cacher les traces de l'âge) pour devenir un terrain de jeu identitaire ouvert à tous. "Ce jeu prend, dans une société marquée par le culte de la singularisation, une ampleur sans précédent", insiste Michel Messu.

"Mais n'oublions pas que la coloration a toujours été liée à la quête d'attributs comportementaux. C'était, hier encore, le mythe de la douce blonde et de la brune piquante et féministe. Un archétype hérité de la littérature romantique, encore actif dans l'imaginaire populaire mais que le XXxe  siècle a adoré détourner. Le cinéma (encore lui) a brouillé les valeurs attribuées aux couleurs, invitant les individus à jouer avec plusieurs facettes de leur personnalité", poursuit le sociologue.

Ainsi, sous l'effet des innovations cosmétiques (activation par l'huile, fin de l'ammoniaque…), la coloration s'est imposée pour les femmes comme une pratique courante. En quelques décennies, elle a perdu son rôle de marqueur socioculturel comme sa dimension subversive (apanage des années punk). Un invariant, cependant, persiste : la fascination pour la blondeur. Obsession qui s'expliquerait, selon les théories, par les représentations séculaires d'Aphrodite, ou encore, selon l'anthropologue canadien Peter Frost, par le fait que "la sélection sexuelle privilégie les teintes vives mais aussi les couleurs rares".

Dernière piste : on vénérerait cette couleur parce que le blond naturel serait voué à disparaître de la planète dans les prochaines décennies. Une rumeur persistante chez les généticiens qui travaillent sur ce sujet (elle n'a jamais été confirmée par l'Organisation mondiale de la santé) et qui en a peut-être convaincu plus d'une d'opter cet été pour le "blonding".