Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Les Etats-Unis taxeront l’acier et l’aluminium européens dès vendredi

Emmanuel Macron a déploré une « décision illégale et erronée ». Le spectre d’une guerre commerciale risque également d’accroître les tensions entre pays européens.

Par  (Bruxelles, bureau européen)

Publié le 31 mai 2018 à 16h00, modifié le 01 juin 2018 à 09h58

Temps de Lecture 6 min.

Le secrétaire d’Etat américain au commerce, Wilbur Ross, et le président américain, Donald Trump, à Washington le 22 mars.

La guerre – commerciale – est-elle déclarée ? C’est désormais la grande question et la grande inquiétude de ce côté-ci de l’Atlantique, après que l’administration Trump a confirmé, jeudi 31 mai en milieu d’après-midi, qu’elle imposerait à partir de vendredi des taxes à hauteur de 25 % sur les exportations européennes d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium. Les Canadiens et les Mexicains, autres alliés proches des Etats-Unis et partenaires commerciaux de première importance, seront traités à la même enseigne.

La mauvaise nouvelle n’a rien d’une surprise. Cela faisait deux mois que les Américains menaçaient l’Union de ces sanctions, considérées comme à la fois parfaitement injustes – et stupides – côté européen, puisque c’est la Chine qui est jugée responsable des énormes surplus mondiaux ayant mis en difficulté la sidérurgie occidentale ces dernières années.

Chargée de la politique commerciale de l’Union, la Commission n’a d’ailleurs pas tardé à réagir, publiant sa réaction, ferme et attristée, quelques minutes à peine après l’annonce américaine. Celle-ci s’apparente « à du protectionnisme, pur et simple », elle est « injustifiée » et « contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce [OMC] », a déploré son président, Jean-Claude Juncker.

Une décision « illégale et erronée », selon Macron

« En ciblant ceux qui ne sont pas responsables des surcapacités, les Etats-Unis se rendent dépendants de ceux qui sont responsables du problème », a ajouté le Luxembourgeois, sous-entendant que la Chine, contre laquelle Bruxelles et Washington auraient pu joindre leurs forces, risque de sortir grande gagnante du bras de fer occidental. Et de conclure que les Européens n’ont maintenant « pas d’autre choix que de saisir l’OMC et d’imposer des taxes additionnelles sur un certain nombre d’importations américaines ».

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Commerce : l’Europe fataliste face à Donald Trump

La décision américaine est « illégale » et « erronée », a réagi le président Macron jeudi soir, pour qui elle « ferme la possibilité d’ouvrir d’autres discussions proactives et positives sur d’autres sujets ». Des propos qu’il a répétés à Donald Trump lors d’un entretien téléphonique, qualifiant la démarche d’« erreur » et assurant que l’UE riposterait « de manière ferme et proportionnée ».

« Nous refusons de négocier sous la pression. J’ai rencontré ce matin (le secrétaire américain au commerce) Wilbur Ross et je lui ai clairement signifié que les pays de l’Union européenne n’accepteront jamais de négocier sous la pression », a déclaré le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, à la presse, alors qu’il était en escale à Montréal avant son arrivée attendue dans la soirée à Whistler (Canada), où il doit participer au G7 Finances. Il a souligné que les Européens ne pouvaient comprendre une telle décision prise à l’encontre de « proches alliés ». « Nous pensons fermement que la décision prise par l’administration américaine est inacceptable (…) injustifiable et aura de graves conséquences pour l’économie mondiale », a-t-il ajouté. Bruno Le Maire a ajouté qu’il attendait toujours une exemption permanente avant d’entamer de nouvelles discussions.

Rejet collectif

Cécilia Malmström, la commissaire au commerce européenne, n’avait pas ménagé sa peine depuis mars pour éviter d’en arriver à ce niveau de tensions, plaidant jusqu’au dernier moment la cause des Vingt-Huit auprès de Wilbur Ross. Ce dernier et Donald Trump espéraient que Bruxelles céderait d’emblée à leur pression, et baisserait ses barrières douanières sur l’acier et l’aluminium.

Mais les Européens ont réussi à surmonter leurs dissensions – les Allemands, premiers affectés en cas de guerre commerciale, étant plus enclins au dialogue – et ils ont collectivement rejeté ces concessions unilatérales. Ils étaient certes prêts à discuter de tous les freins au commerce avec les Etats-Unis, mais « pas le pistolet sur la tempe » : à condition d’être complètement exemptés des taxes.

Bourbons, jeans, beurre de cacahuète…

Dès jeudi soir, le Canada a sorti l’artillerie lourde, annonçant l’imposition au 1er juillet de taxes sur les produits américains de près de 13 milliards de dollars. Mais si les déclarations européennes sont très dures, la riposte pourrait prendre quelques semaines, notamment pour des raisons de procédure. Bruxelles a peaufiné ses mesures de « rééquilibrage » – la Commission évite avec soin les métaphores guerrières – et les a déjà dûment notifiées à l’OMC, mais elle a besoin d’une validation des Etats membres pour les mettre en œuvre. « Respecter les règles, cela prend du temps », justifie une source bruxelloise.

Le Monde Guides d’achat
Gourdes réutilisables
Les meilleures gourdes pour remplacer les bouteilles jetables
Lire

Une liste de plusieurs centaines de produits américains d’exportation à surtaxer a été dressée, à hauteur d’environ 3 milliards d’euros (des bourbons, des jeans, du beurre de cacahuète, etc.). Elle pourrait ne pas être appliquée d’emblée dans son intégralité, selon plusieurs diplomates européens. Un conseil extraordinaire des ministres du commerce pourrait être convoqué dès la semaine prochaine afin d’en discuter.

Les Européens veulent calibrer au plus près leur réponse, car l’impact immédiat des taxes pourrait rester circonscrit : les Européens n’ont exporté qu’environ 6,4 milliards d’euros en valeur d’acier et d’aluminium l’an dernier aux Etats-Unis. Surtout, ils veulent éviter la surenchère. A Berlin, jeudi, la chancelière Angela Merkel a jugé les taxes américaines « illégales » et a exprimé sa crainte d’un « risque d’escalade ». La veille, Emmanuel Macron avait convoqué la mémoire des années 1930 lors d’un discours à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), rappelant que les guerres commerciales « peuvent rapidement dégénérer en guerres tout court ».

Les Français, partisans d’une ligne ferme, plaident cependant pour qu’avec ses contre-mesures, l’Europe puisse introduire un vrai rapport de force avec l’administration Trump, afin de la dissuader d’ouvrir de nouveaux fronts. Ces derniers jours, le président américain, manifestement obsédé par la quantité de voitures allemandes circulant dans les rues de New York, a demandé à ses services d’enquêter sur les importations américaines de voitures, au nom de la sécurité nationale. Exactement la même démarche que celle qu’il avait lancée pour l’acier et l’aluminium en 2017.

« Maintenir les Européens sous pression permanente »

L’impact serait autrement plus important pour l’économie européenne, et là encore, surtout allemande. Selon l’institut allemand IFO, des taxes à 25 % sur l’automobile feraient grimper la facture outre-Rhin à 5 milliards d’euros, soit 0,16 % du PIB allemand. Particulièrement brutal mercredi à l’OCDE, où il a fustigé le multilatéralisme et ses « palabres infinies », Wilbur Ross s’en est même pris au règlement général de protection des données (RGPD), entré en force dans l’Union le 25 mai, considérant qu’il créait une « barrière commerciale inutile ».

« La stratégie de Trump, ce n’est pas de trouver un règlement définitif sur l’acier et l’aluminium, mais de maintenir les Européens sous tension permanente pour, finalement, obtenir une résorption du déficit commercial américain vis-à-vis de l’Europe », analyse un diplomate bruxellois.

S’ils lisent désormais mieux le jeu du président américain, les Européens sont néanmoins confrontés à une équation périlleuse. Comment rester fermes dans la défense de leurs intérêts sans abîmer encore un peu plus la relation transatlantique, que Donald Trump a déjà tellement mise à mal, après s’être retiré de l’accord de Paris et avoir tout récemment répudié l’accord nucléaire iranien ? Aucune capitale européenne ne veut tourner le dos aux Etats-Unis, premier partenaire commercial de l’Union, mais aussi partenaire indispensable en matière de défense et de sécurité.

« C’est un mauvais jour pour le commerce mondial », a réagi Cecilia Malmström jeudi. C’est aussi une très mauvaise nouvelle pour l’Europe tout court. Car le spectre de la guerre commerciale risque aussi d’accroître les tensions entre Européens, au moment où l’Union pourrait entrer dans une zone de très fortes turbulences politiques, avec l’avènement possible d’un gouvernement 100 % populiste en Italie, cœur de la zone euro. Choc frontal en vue entre Berlin et Rome alors que l’Allemagne, première visée par Trump, va avoir besoin de toute la solidarité des Européens, après avoir tellement fustigé le manque de discipline budgétaire des pays du Sud ?

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.