MYCANAL – À LA DEMANDE – DOCUMENTAIRE
Lorsqu’on voit Agnès B., en 1977, filmée dans sa première boutique, rue du Jour, face à l’église Saint-Eustache, à Paris, les mains dans les poches d’une salopette, on ne peut s’empêcher de penser aux personnages de Claire Bretécher : comme la dessinatrice, elle a raconté et incarné son époque.
Mais, quarante-cinq ans plus tard, la créatrice de vêtements (elle n’aime pas le terme « mode ») est inchangée et aussi actuelle : toujours jeune d’allure (elle est pourtant arrière-grand-mère !), toujours en salopette – l’un des vêtements « de travail » qui firent son succès, avec les vestes chinoises taillées dans un tissu qu’on ne trouvait qu’en Chine, et, bien sûr, ce simple cardigan à boutons-pression, modèle emblématique et indémodable.
Huitième invitée du magazine « Magistral.e », une « collection de master class de Canal+ [qui] invite les artistes qui font l’époque à nous raconter les différentes étapes de leur processus de création », Agnès B. – B comme Bourgois, le nom de son premier mari, l’éditeur Christian Bourgois (1933-2007), épousé à 17 ans – joue le jeu du regard rétrospectif.
Neutralité voulue
Elle évoque ses débuts au magazine Elle, qui remarque son style naturel et sa vêture composée de vieux jupons de famille et de pièces chinées aux puces. Mais, bientôt, elle a plus envie de dessiner des vêtements que de les choisir chez d’autres. Elle a gardé ce trait : « Je me protège complètement de ce que font les autres. »
Agnès B. garde « les yeux ouverts » et trouve essentiel de « comprendre qu’il se passe des choses ailleurs ». Karl Lagerfeld trouvait son style « simplet » (mais « sa personne et sa démarche intéressantes »). Or c’est cette neutralité voulue qui a fait son succès : le vêtement doit révéler la personne, et non l’inverse.
Au cinéma, elle habille, pour Quentin Tarantino, les acteurs de Reservoir Dogs (1992) et fait le fameux costume de John Travolta pour Pulp Fiction (1994). David Lynch est en agnès b. chaque jour que Dieu fait, et, si Patti Smith, dans son récit M Train (Gallimard, 2016), parle de son cher manteau Comme des garçons, elle joue volontiers les clochardes célestes en agnès b.
Lors de ce numéro de « Magistral.e », la styliste n’évoque pas le soutien financier qu’elle prodigue dans certains domaines de l’art et du cinéma, ni sa collection personnelle (pour cela, on se rapportera à l’épisode de « Stupéfiant ! », sur France 2, qui lui était consacré en mars 2017). Mais elle parle tissu, usage, durabilité, écologie – avec, à la clé, un reportage dans une fabrique où ses modèles sont réalisés.
On aurait aimé que l’entretien porte sur sa réussite et sur son indépendance financière, sur son développement international, sur le souci du « made in France » autant qu’il est possible. Mais il reste largement de quoi passer un bon moment avec la styliste, aussi bien élevée que rock’n’roll.
« Magistral.e » (Fr., 2022, 29 min).
Contribuer
Réutiliser ce contenu