Grandes Constellations de Satellites, première partie

Nous assistons au déploiement de constellations de satellites avec des
dizaines de milliers de satellites en orbite basse. Les fonctionnalités
de ces constellations sont essentiellement les télécommunications haut-débit,
la géolocalisation et l’observation de la Terre. Quelles sont les avancées
scientifiques et technologiques qui permettent ces développements ?
Quels sont les enjeux économiques et géostratégiques associés ?
Ces constellations conduisent à une densification de l’espace et à
une multiplication des lancements et des débris. Elles ont un impact
négatif sur sur l’observation astronomique dans le domaine optique et dans
celui de la radioastronomie. Quels sont les dangers encourus avec la
multiplication des débris en orbite basse ? Quel est l’impact des lancements
sur la stratosphère et celui des rentrées de satellites dans l’atmosphère ?
Un groupe de travail de l’Académie des sciences s’est penché sur le sujet,
a auditionné de nombreux spécialistes, et publié un rapport en mars 2024,
rédigé par François Baccelli, Sébastien Candel, Guy Perrin et Jean-Loup
Puget.
Les deux premiers auteurs nous éclairent sur le sujet. Serge Abiteboul (qui a
participé au groupe de travail) : voici la première partie de ce partage en deux parties.

Introduction

Cet article rassemble quelques points clés d’un rapport de l’Académie de sciences. Il traite d’abord des nouvelles fonctionnalités des constellations de satellites dans l’accès à l’Internet, l’observation de la Terre, la géolocalisation, l’interaction avec des objets connectés. Les principaux enjeux et l’évolution du domaine sont analysés dans un premier temps. Comme toute nouvelle avancée technologique, ces constellations soulèvent aussi, de nombreuses questions, et notamment celles relatives à l’encombrement de l’espace, avec l’augmentation du nombre d’objets satellisés et de débris issus de ces objets et de leur lancement, la croissance des collisions qui peut en résulter et d’autre part de l’impact sur les observations astronomiques dans les domaines optiques et radio. Ce rapport met ainsi en évidence un défi majeur, celui de la cohabitation d’une ceinture satellitaire sécurisée et durable évitant la pollution par ses débris et de l’accès au ciel de l’astronomie, la plus ancienne des sciences, celle qui a été à la source des connaissances et qui a encore beaucoup à nous apprendre. Avec la montée en puissance d’acteurs et investisseurs privés dans un domaine qui était initialement réservé aux États, ce rapport fait apparaître des enjeux géostratégiques et des enjeux de souveraineté. Il soutient la mise en place d’une régulation internationale du secteur mais souligne également la nécessité d’une participation de la France et de l’Europe à ces développements.

Un utilisateur final (U) accède à une station d’ancrage du réseau internet (A) via des satellites

Les fonctionnalités des constellations

Les nouvelles constellations de satellites en orbite basse ou moyenne ouvrent des perspectives dans trois grands domaines qui sont les communications haut-débit, l’observation de la Terre et la géolocalisation. Les constellations offrant le haut-débit sont encore peu nombreuses mais elles impliquent, pour certaines, un très grand nombre de satellites. Les constellations destinées à l’observation de la Terre ou à la géolocalisation comportent un nombre plus réduit de satellites mais sont bien plus nombreuses. Il est à remarquer, cependant, qu’en ce qui concerne l’accès haut-débit à l’Internet, les réseaux à base de constellations ne pourront remplacer les réseaux terrestres mais qu’ils devraient plutôt offrir un complément notamment pour la couverture des zones blanches et des territoires enclavés ou encore pour la couverture haut-débit des navires et des avions.

Des protocoles pour les communications entre satellites en orbites basses sont en cours de normalisation. Ceci pourrait conduire à terme à un cœur de réseau Internet spatial avec des fonctionnalités et des mécanismes de routage propres à la dynamique des constellations. Certaines fonctions qui sont actuellement celles des routeurs Internet et des stations de base de la 5G pourraient à terme devenir des fonctions embarquées dans les satellites de cet Internet spatial, comme par exemple le traitement du signal, le routage ou même le calcul en périphérie de réseaux (edge computing). Cet Internet spatial a cependant des limites associées à la puissance électrique disponible à bord des satellites, qui est elle-même fonction de la surface des panneaux solaires qui peuvent être embarqués sur lanceurs et déployés dans l’espace.

Enjeux

Une question clé, dans le domaine des télécommunications, est celle du contrôle de ces nouvelles classes de réseaux. On note par exemple que les réseaux de communications fondés sur des flottes de satellites, s’affranchissent de fait, sinon de droit, de toutes les règles qui sont imposées par les États aux opérateurs des réseaux terrestres offrant des services sur leur sol. Cette perte de contrôle concerne tous les aspects les plus fondamentaux : les mécanismes d’attribution des fréquences, les règles de confidentialité sur les conversations ou les données transmises, les règles de localisation des cœurs de réseaux, etc. Dès aujourd’hui, ces réseaux peuvent se passer complètement de stations d’ancrage dans les pays qu’ils couvrent. Le déploiement de ces réseaux dans leurs formes actuelles (typiquement celle de la constellation Starlink) induit une perte de souveraineté directe des États sur ce secteur.

Une seconde question a trait au modèle économique des grandes constellations destinées à la couverture internet haut-débit. On sait, en effet, que les entreprises qui se sont engagées dans la mise en place des premières constellations de ce type ont toutes fait faillite et il n’est pas certain que les constellations déployées aujourd’hui puissent atteindre l’équilibre économique et devenir viables à long terme. La réponse à cette seconde question dépendra sans doute des résultats de la course actuelle à l’occupation de l’espace ainsi que de la nature des interactions et accords entre ces réseaux satellitaires et les réseaux terrestres de type 5G. Elle dépendra aussi de l’évolution de la taille et du prix des antennes permettant à un utilisateur final muni d’un téléphone portable de communiquer efficacement avec un satellite.

Les enjeux en termes de souveraineté apparaissent ainsi comme les raisons les plus fortes pour le développement de ces constellations car ces dernières procurent à ceux qui les contrôlent un moyen de communication haut-débit sécurisé à faible latence qui est aussi caractérisé par sa résilience. Cette résilience vient du fait que les flottes de satellites restent en grande partie fonctionnelles en cas de catastrophe naturelle et de destruction des réseaux terrestres. Elles sont par ailleurs difficiles à détruire puisque constituées de nombreuses plateformes en mouvement rapide dans des flottes organisées de façon fortement redondante. La latence faible des constellations en orbite basse joue un rôle central dans le contexte du temps réel critique car leur couverture universelle permet l’observation instantanée d’événements survenant en tout point de la planète et elle offre de nouveaux moyens d’interaction.

Évolution dans le temps du nombre des satellites en fonction de l’altitude entre 200 et 2000 km (CNES).

Évolution du domaine

Le domaine dans son ensemble est dans une phase très dynamique avec beaucoup d’innovations dans le domaine industriel, une expansion rapide du NewSpace aux États-Unis, une volonté au niveau de la Commission Européenne de lancer une constellation, l’émergence de nouveaux États spatiaux et d’acteurs privés, de nouveaux formats de lanceurs (petits lanceurs, lanceurs réutilisables), une réduction des coûts de lancement associée notamment à la réutilisation. Il en résulte une multiplication des projets de constellations et une explosion du nombre des satellites en orbite basse ou moyenne.

Cette dynamique repose sur des progrès scientifiques et des innovations technologiques dans le domaine des télécommunications, de l’informatique du traitement de l’information, de la focalisation dynamique, de l’électromagnétisme et des communications radio, des systèmes de communication optiques inter-satellites, de la miniaturisation de l’électronique embarquée, des systèmes de propulsion à bord des satellites (propulsion plasmique) ainsi que sur des avancées dans l’accès à l’espace, les télécommunications et l’informatique. Cette dynamique exploite les résultats des recherches dans le domaine des communications portant notamment sur (i) la théorie de l’information multi-utilisateurs, sur le codage pour la maîtrise de liens radio avec les satellites, avec des questions nouvelles comme par exemple celle de la focalisation adaptative des antennes (MIMO massif et dynamique) ou encore celle du contrôle des interférences ; (ii) la définition de nouveaux protocoles de routage adaptés à la dynamique très rapide du graphe des satellites et des stations d’ancrages ; (iii) l’identification d’architectures optimales pour les fonctionnalités de haut débit ou d’observation dans un ensemble de régions donné de la Terre.

François Baccelli, Inria et Télécom-Paris, membre de l’Académie des sciences et Sébastien Candel, Centrale Supélec, membre de l’Académie des sciences

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