C’est jour de sortie au parc pour un camp de jour du quartier Ville-Marie, au centre-ville de Montréal. Les animateurs préparent tout ce dont ils auront besoin : une trousse de premiers soins pour les égratignures, des bouteilles d’eau pour s’hydrater et… un contenant pour disposer des seringues qui jonchent le sol du parc.

Ce qu’il faut savoir

• Plusieurs organismes et intervenants de la Ville sont mobilisés dans Ville-Marie pour assurer une meilleure cohabitation entre les camps de jour et les personnes vulnérables.

• Les camps de jour du secteur tentent d’adapter leurs approches et leurs habitudes aux réalités du quartier, notamment en recevant des formations et en évitant certains parcs et certaines sorties de métro au besoin.

• Bien que plusieurs parents comprennent et encouragent la cohabitation, certains estiment qu’il faudrait plus d’encadrement et de soutien des gouvernements provincial et municipal.

« Les animateurs font un tour du parc le matin avant leur entrée en fonction. Quand on arrive au parc [avec les enfants], on fait une deuxième vérification, pour savoir s’il n’y a pas eu d’autres seringues ou drogues [entre-temps] », explique Blanche Grenier, coordonnatrice du camp de jour de l’association Les Chemins du Soleil.

Dans les parcs et les centres communautaires de l’arrondissement de Ville-Marie, la cohabitation entre les personnes vulnérables et les enfants qui fréquentent les camps de jour est inévitable. Cette situation a entraîné les camps du secteur à adapter leur approche et leurs habitudes.

L’équipe d’animation de l’association Les Chemins du Soleil est formée pour disposer du matériel de consommation. « On a eu une formation aussi en santé mentale. Nos animateurs sont formés pour injecter de la naloxone s’il y a un problème », souligne la coordonnatrice. De plus, les animateurs priorisent les jeux qui leur permettent de se déplacer rapidement entre les parcs en cas d’incidents, ajoute-t-elle.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Boîte pour disposer des seringues près du Centre Jean-Claude-Malépart

Le premier jour de camp a mal débuté dans ce centre situé près du parc La Fontaine. Le matin du 25 juin, la police a dû être appelée à deux reprises parce que des gens consommaient devant leur porte, juste avant l’arrivée des enfants, malgré plusieurs avertissements.

On essaie de cohabiter avec les personnes en situation d’itinérance et de santé mentale, mais quand c’est un enjeu de drogue, c’est sûr qu’on essaie que nos enfants ne voient pas ça.

Blanche Grenier, coordonnatrice du camp de jour de l’association Les Chemins du Soleil

La situation s’est améliorée entre-temps, a confirmé l’association, et aucun conflit n’est survenu depuis, malgré les rencontres quotidiennes avec cette population vulnérable.

Des services offerts à tous

Située à deux pas du métro Frontenac, la Corporation du Centre Jean-Claude-Malépart offre plusieurs ressources à la population du coin, dont un camp de jour. Durant la pandémie, le centre est aussi devenu un refuge pour les personnes en situation d’itinérance, qui fréquentent encore beaucoup les lieux, notamment pour utiliser les douches et les toilettes, ainsi que l’internet et l’électricité, tous offerts gratuitement au Centre.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Un homme en situation d’itinérance près du Centre Jean-Claude-Malépart

La cohabitation est donc de mise.

« C’est un défi, certainement », affirme Elsa Lavigne, directrice générale de la Corporation. « Après, est-ce que c’est un problème ? Je n’irais peut-être pas jusque-là. »

La directrice générale affirme que tous ont le droit d’accéder à leurs services. « C’est quand même une chance que [les personnes en situation d’itinérance] puissent avoir accès à un centre comme le nôtre, où on a des installations sanitaires, où elles peuvent aussi venir se rafraîchir durant l’été », ajoute-t-elle. Les personnes qui utilisent ces services sont conscientes que des débordements pourraient limiter leur accès aux lieux, « donc elles font aussi très attention à leur comportement au sein du Centre », explique Elsa Lavigne.

Mario Lapointe, responsable des terrains de tennis situés derrière le Centre, côtoie souvent ces personnes vulnérables. Durant la semaine, il retrouve des déchets de consommation à quelques reprises, mais il n’a jamais eu de problèmes lorsqu’il leur demande de partir. « Les gens sont très coopératifs aussi, ils comprennent bien, surtout quand les enfants arrivent », explique-t-il.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Mario Lapointe et des enfants s’amusent sur les terrains de tennis situés derrière le Centre.

Certains parents du camp voient cette approche de vivre-ensemble positivement, comme Myriam Larose-Truchon.

Je trouve ça important que ma fille apprenne à cohabiter avec toutes les différentes personnes qui composent la société. J’espère que ça se passe bien dans les parcs, mais je fais confiance au camp de jour pour bien encadrer ça.

Myriam Larose-Truchon, mère d’une enfant qui fréquente un camp de jour

Pour d’autres, la situation est plus difficile. « Les enfants voient les gens prendre de la drogue devant le Centre sur des bancs, ils fument du crack, c’est rendu un petit peu un manque de contrôle », dénonce Joanna Czadowska, mère d’un petit garçon. « Je comprends qu’il faut cohabiter. [...] Comme parent, je trouve que les choses se mélangent beaucoup trop. »

Des interventions spécialisées

Malgré tout, plusieurs camps affirment que la cohabitation s’est améliorée depuis l’apogée de la pandémie. « Il y a eu une prise de conscience dans ce coin-là, que c’était nécessaire, puis que peut-être seule la répression ne fonctionnait pas », explique Jennifer Pelletier, directrice des camps de jour des YMCA, dont deux camps se trouvent au centre-ville de Montréal.

On éduque les gens qu’on partage un espace commun. Le camp fait partie de ça.

Jennifer Pelletier, directrice des camps de jour des YMCA

Beaucoup attribuent ces changements aux acteurs communautaires qui opèrent dans le secteur de Ville-Marie.

C’est notamment la mission de l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (EMMIS) de la Ville de Montréal. Son rôle est d’« agir rapidement dans l’espace public pour répondre aux situations de conflit, de détresse ou de cohabitation touchant les personnes vulnérables », et ce, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Lorsque nécessaire, le Centre Jean-Claude-Malépart contacte l’EMMIS, qui va ensuite à la rencontre des personnes qui ont besoin d’aide ou qui causent des problèmes. L’équipe est à l’écoute de leurs besoins et leur offre des ressources qui correspondent à ceux-ci. « On tente une médiation, une entente verbale, une collaboration, puis très souvent ça fonctionne. Là, il s’agit de dire à la personne : “pouvez-vous juste aller plus loin dans le parc ?” », explique Vincent Morel, directeur de l’EMMIS. « On est bien reçu généralement », ajoute Rosalie, une intervenante de l’équipe.

Elle est consciente que certains parents peuvent avoir des craintes. « On comprend à 100 % leurs inquiétudes, et c’est 100 % valable aussi. On essaie de les rassurer, puis de mettre le plus de ressources possible à leur disposition », affirme Rosalie.

« L’itinérance, c’est beaucoup d’inconnues, ajoute-t-elle. Nous, c’est sûr qu’on essaie d’informer les gens aussi du mieux qu’on peut de la situation, de la vulnérabilité, mais l’inconnu fait peur. »