Rencontre

Ben Whishaw : “Je ne sais pas pourquoi un scénario me touche précisément mais j’aime qu'il raconte une chose concrète sur la vie"

À l'affiche de Passages avec Franz Rogowski et Adèle Exarchopoulos, l'acteur britannique Ben Whishaw s'est entretenu avec GQ France.
Ben Whishaw  “Je ne sais pas pourquoi un scnario me touche prcisment mais jaime qu'il raconte une chose concrète sur la vie
© Iona Wolff/Getty Images

Ben Whishaw entretient depuis de longues années un lien avec la France. En 1999, l'acteur n'a pas encore 20 ans et le deuxième long-métrage auquel il participe est réalisé par Michel Blanc. Le film s'intitule alors Mauvaise Passe et le Britannique n'a toujours pas oublié cette expérience. “Je me souviens que j’avais une scène avec Daniel Auteuil dans un café. Je me battais avec lui. Je ne comprenais rien à ce que je faisais et ce qui se passait. J’étais juste un gosse. Mais c’était merveilleux. J’ai des souvenirs très vagues aujourd’hui mais ça m’émeut toujours quand j’y pense.” Déjà alors, le comédien impressionnait par sa capacité à canaliser ses émotions au moment où il devait tourner sa scène et se mettre au diapason des envies du réalisateur. “Je suis convaincu que j’étais terrifié à l’époque. Mais j’ai toujours eu cette impression que lorsqu’un moment comme cela arrive, il n’y a aucun intérêt à se laisser crouler sous cette terreur. Il faut faire le travail. Sans savoir comment, j’ai toujours réussi à dompter mes nerfs.”

Ce sera encore, quelques années plus tard, un personnage français qui l'exposera aux lumières avec Le Parfum, histoire d'un meurtrier de Tom Tykwer, adaptation inspirée du roman de Patrick Süskind. En 2023, Ben Whishaw est à l'affiche du plus international des films français, Passages de l'Américain Ira Sachs, dans lequel il donne la réplique à l'Allemand Franz Rogowski et Adèle Exarchopoulos. “C’est un mélange de saveurs très différentes. C’est un film très hybride, donc pas tout à fait français”. Une hybridité qui se retrouve au cœur même du récit avec ce triangle amoureux entre un réalisateur, Tomas, son compagnon Martin (joué par Ben Whishaw) et une jeune femme du nom d'Agathe. La relation naissante entre le metteur en scène et cette dernière ébranle l'histoire d'amour vieille de 15 ans que Tomas entretient avec Martin. “J’étais très intéressé par la manière dont une personne dans un couple peut soudainement décider que leur relation est ouverte. Qu’il y ait plus que deux personnes dans une histoire d’amour. C’était un point de départ pour l’histoire qui me semblait très stimulant. Cela faisait apparaître tellement de problématiques, de questions et de complications intrigantes.”

Connu pour sa délicatesse et son sens aigu de l'observation, Ira Sachs raconte également au travers de ce film sentimental et rugueux les jeux de pouvoir qui peuvent exister au sein d'un couple, la hiérarchie qui se bâtit au fil des années et aliène les deux amants. “Le pouvoir dans une relation amoureuse est une dimension vraiment passionnante. Dans le film, les choses sont très ambiguës mais je ne vois pas mon personnage ou celui d’Adèle Exarchopoulos comme des victimes de Tomas. Ou du moins ce n'est pas ce qui les définit de prime abord. Martin a beaucoup plus de pouvoir que Tomas. Sur un plan économique, il est patron de sa propre affaire, il est propriétaire de leur appartement. Il est d'une certaine façon indépendant. Ce qui me plaisait, c’est que la situation est très différente en fonction du point de vue que l’on adopte. Rien n’est écrit de façon définitive.”

Du tournage à Paris au début de l'hiver 2021, Ben Whishaw se souvient aussi bien de cette capitale plongée “dans le noir, le brouillard et l'apparition des premières lumières de Noël” que de la “grande détermination” qui existait sur le plateau de tournage. “Il y avait une forme très positive de sérieux à propos de la production qui m'apparaît comme une qualité française. On pouvait sentir que le film était important pour tous ceux qui y prenaient part.” Sa collaboration avec Franz Rogowski, “un acteur et une personne extraordinaires”, mais aussi sa découverte du cinéma d'Ira Sachs l'ont marqué au point où le Londonien cherche fréquemment ses mots pour appliquer sur ses souvenirs la délicatesse qu'ils exigent. “Ce que j'ai aimé avec Passages, c’est que tout semblait très naturel. Il n’y avait rien à construire ou imaginer longuement. Ira Sachs observe ses personnages comme des créatures.”

Une quête de spontanéité absolue dans l'énergie du film qui se retrouve jusque dans la manière dont le film suit le quotidien du couple, évoquant ses crises mais aussi cet amour qui ne cesse de revenir avec fureur et transforme la relation de Tomas et Martin en une aventure aussi passionnée que suffocante. Depuis qu'il a révélé son homosexualité en 2014, Ben Whishaw apprécie la manière dont la représentation des minorités LGBT continue d'évoluer au cinéma ces dernières années. “Je pense qu’il y a quelque chose qui a changé dans la représentation de l’homosexualité à l’écran et on le doit beaucoup à Ira Sachs. Dès le premier long-métrage qu’il a réalisé, il voyait ce sujet de façon multi-dimensionnelle. Ce n’est jamais cliché ou orienté de façon à dire quelque chose en particulier. Il a une attitude très humaine vis-à-vis de ses personnages et de ce qu’ils peuvent ressentir. Il ne cherche pas à affirmer quelque chose ou céder à la facilité.”

Depuis le milieu des années 2000, Ben Whishaw s'est constitué une carrière éclectique, brillant sur les planches du théâtre (en 2004, il devient l'un des plus jeunes comédiens à incarner Hamlet à l'Old Vic Theatre), tout en multipliant les allées et venues entre le cinéma d'auteur et les productions à destination du très grand public. Le monde se souvient de son arrivée dans la franchise James Bond, en 2012 avec Skyfall, où il tient le rôle de Q, le célèbre partenaire de travail de l'espion de sa Majesté — qui s'est lui aussi offert un discret coming-out dans le dernier opus Mourir peut attendre en 2021. On pourrait évoquer cette étape-là, tout comme sa participation aux deux films Paddington dans lesquels il prête sa voix au très attachant ours en peluche. L'occasion de discuter avec lui est trop rare, préfère-t-on alors l'entendre évoquer l'un des longs-métrages les plus mésestimés de sa filmographie : Cloud Atlas des sœurs Wachowski et Tom Tykwer.

Sorti à l'automne 2012 outre-Atlantique, l'odyssée frappadingue des créatrices de Matrix n'a pas connu le succès espéré en salles mais est resté dans les esprits cinéphiles — ainsi que le nôtre — comme l'une des propositions les plus originales et époustouflantes de la décennie passée en matière de science-fiction. Un film capable aussi de vous déchirer le cœur en une fraction de seconde grâce à l'un des personnages incarnés par Ben Whishaw, le compositeur Robert Frobischer. “Je me suis tellement amusé à cette époque-là, c’était un projet totalement fou. On jouait chacun quatre à cinq personnages. Il y avait deux équipes de réalisateurs, les acteurs se déplaçaient entre les plateaux de tournage pour travailler avec chaque équipe. C’était absolument dingue”, se remémore-t-il avec enthousiasme. Et un film, comme Passages, qui racontait quelque chose sur l'existence humaine qui a bouleversé l'acteur. “Même si ce film avait une dimension fantastique, je trouve qu’il disait aussi quelque chose sur la vraie vie. Il faisait apparaître des questions sur l’existence, l’identité, le sens qu’on donne aux choses, pourquoi on fait ce que l’on fait et pourquoi nos actions ont une importance qu’on ne peut pas comprendre sur l’instant. L'influence aussi qu'elles peuvent avoir sur les autres, sans même qu'on ne le sache. C’était quelque chose de très concret, emballé dans un film qui mêlait tous les genres du cinéma.”

Récemment à l'affiche de Women Talking, le puissant drame féministe de Sarah Polley auréolé d'un Oscar du meilleur scénario adapté, Ben Whishaw cherche aujourd'hui des films capables de l'émouvoir et de prendre le pouls de l'époque. “J’aime l’idée que les films dans lesquels je joue racontent quelque chose d’aujourd’hui. Je ne sais pas toujours pourquoi un scénario me touche précisément ou pourquoi j’ai envie d’y participer, mais j’aime y trouver une certaine pertinence, que cela raconte quelque chose de concret à propos de la vie. Même si j’ai pu participer à des films qui ne disaient rien à ce sujet et qui étaient quand même très amusants.” Quand on lui demande ce qu'on peut lui souhaiter pour l'avenir, il nous répond simplement : “Ce que vous voulez”. Il n'y avait sûrement que lui pour synthétiser le plus succinctement cette manière qu'a l'acteur de voir et de vivre les choses : susciter le désir de l'autre et accepter la part d'inattendu que celui-ci peut contenir.

Passages d'Ira Sachs est à découvrir au cinéma depuis ce mercredi 28 juin.

A lire aussi
Pride Month : 7 activistes LGBTQIA+ qui font bouger les lignes à travers le monde

Des fêtes aux pelotons, en passant par les ballrooms et les piscines, une nouvelle génération de leaders transforme les espaces LGBTQIA+ et dynamise la culture.

article image
A lire aussi
Voici 10 personnalités LGBTQIA+ qui ont marqué l’histoire

Ces personnalités LGBTQIA+, qu’elles soient militantes, journalistes, artistes, scientifiques… ont toutes œuvré pour la communauté LGBTQIA+ et ont laissé une trace indélébile dans l’histoire.

Voici 10 personnalités LGBTQIA+ qui ont marqué l’histoire
A lire aussi
10 films LGBT à découvrir d'urgence pour le Pride Month

À l'approche du Pride Month, le Mois des fiertés, GQ vous propose une liste des meilleurs films LGBT à découvrir sur Netflix et d'autres plateformes.

Pride Month : les 10 films LGBT à découvrir d'urgence