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Christianisme irlandais

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Le Livre de Kells, chef-d'œuvre de l'art irlandais.

Le christianisme irlandais ou christianisme gaël est une pratique particulière du christianisme qui se développa sur l'île d'Irlande avec l'arrivée des premiers chrétiens, puis dans le royaume gaël du Dàl riada, avant de s'exporter en Bretagne inférieure, en Gaule et en Germanie.

À l'inverse du système romain, qui s'appuie sur les infrastructures de l'Empire et la hiérarchie séculière, le christianisme gaël est décentralisé et s'appuie sur le monachisme. On l'associe parfois à l'arrivée des premiers évêques évangélisateurs romains, dont Patricius au ve siècle , mais on sait que des communautés chrétiennes existaient déjà avant et il est fort probable que leur pratique du christianisme était similaire à celle des premiers chrétiens[1]. On considère qu'il s'est fortement développé avec la fondation du monastère d'Iona par Colomba au vie siècle avant d'être exporté par des missionnaires gaëls tels que Maol rubha à Applecross, Áedán en Northumbrie ou Colomban en Gaule et en Germania magna.

Il convient de ne pas confondre le christianisme irlandais avec le concept plus vague de christianisme « celtique », qui recouvre la notion de christianisme irlandais des missionnaires gaëls des vie siècle et viie siècle, mais aussi toutes les formes de christianisme pratiquées par les populations considérées comme celtiques, depuis le début de l'ère chrétienne jusqu'au xIIe siècle.

Définition

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Croix celtique, Rock of Cashel, Cashel, comté de Tipperary, Irlande.

On parle de christianisme « irlandais » parce que cette forme de christianisme s’est développée sur l’île d'Érin (Hibernia en latin), mais il faut garder à l’esprit que l’idée de nation est un anachronisme. Ce christianisme était en réalité un christianisme gaël, qui s’est exporté en Écosse à l’époque du Dàl Riata, mais qui diffère des autres formes du christianisme dit « celtique ».

L’église, c’est-à-dire la communauté de chrétiens, que Patricius et les autres missionnaires ont convertie était une organisation séculière, avec des diocèses dirigés par des évêques. Cette église n’a pas duré. En effet, le clergé séculier avait besoin d’une infrastructure urbanisée : des villages et des villes principales reliées par des routes. Le centre habituel des diocèses était la cathédrale, bâtiment où siégeait l’évêque[2]. En Britannia, ces infrastructures existaient. Les Romains y avaient construit des routes, des forts, des forums, des amphithéâtres, etc. On peut encore identifier le cardo de leurs plans urbains aujourd’hui, par exemple à Caerleon, Carmathen ou à Caernafon. En Hibernia et en Caledonia en revanche, ces infrastructures étaient inexistantes, car ces deux régions avaient échappé à la domination de l’Empire romain.

D’autre part, à partir du IVe siècle, après le règne de l’empereur Constantin Ier, le christianisme était devenu religion d’État de l’Empire romain et le christianisme s’appuyait sur les institutions de l’empire pour asseoir son pouvoir. Les provinces romaines comme la Britannia ont donc peu à peu intégré les pratiques chrétiennes des diocèses romains. En Hibernia et en Calédonia, les institutions romaines étaient inexistantes. Le christianisme s’est donc appuyé sur l’autre forme d’organisation du christianisme : le monachisme. Les premiers monastères furent fondés au VIe siècle, mais dès le VIIe siècle, un réseau élaboré de monastères couvrait toute l’île, de façon hétérogène toutefois, car les moines fondateurs provenaient essentiellement de Gaule et de Britannia et ont donc œuvré davantage dans la partie est de l’île[2],[3].

Le christianisme gaël conserva ses particularités :

  • jusqu'à la fin du VIIe siècle en Northumbrie : le synode de Whitby (664) consacra l'abandon des spécificités de l'Église irlandaise et l'Église acheva l'unification avec Rome avec les conciles d'Hertford en 673 et de Hatfield en 680 ;
  • jusqu'en 710-712 chez les Pictes écossais (en 710, le roi Nechtan adopta les pratiques romaines et les moines d'Iona se convertirent en 712) ;
  • jusqu'en 768 au pays de Galles (sous l'influence d'Elfoddw, évêque de Bangor) (cependant, le sud du pays de Galles n'aurait suivi qu'en 777) ;
  • jusqu'au début IXe siècle en Bretagne (réforme imposée par Nominoë, au service des carolingiens) ;
  • jusque vers 840 en Cornouailles.

Des différences mineures subsistèrent jusqu'au XIIe siècle (lorsque les fils de Malcolm III et sainte Margaret d'Écosse Scotland reformèrent l'Église écossaise) et jusqu'en 1172 en Irlande où le synode de Cashel vit Henri II d'Angleterre forcer la soumission à l'autorité de l'Église catholique romaine.

Particularités

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Le christianisme irlandais se distingue principalement de celui de l'Église romaine par ses coutumes, notamment par la forme de la tonsure (celle des Irlandais découvrait l'avant du crâne d'une oreille à l'autre et laissait les cheveux longs à l'arrière) semblable aux druides, par la datation de la fête de Pâques (les Irlandais célébraient la Pâque quartodécimaine le dimanche avant la pleine lune du printemps), par la pratique du jeûne hebdomadaire appelé des « jeûne des stations » (comme les chrétiens d'Orient, les Gaëls pratiquaient le jeûne le mercredi et le vendredi) et par son organisation non centralisée. La croix celtique est le symbole caractéristique du christianisme irlandais.

Surtout dû à des moines itinérants, dans la tradition du Immram celte (pour les moines celtes la navigation est un des modes de la pénitence, et le petit navire de cuir et d'osier, le coracle, est un véritable véhicule mystique) et par la fondation d'abbayes, le christianisme irlandais s'implanta sur le continent et particulièrement en Bretagne mineure. À travers plusieurs missions irlandaises (notamment en Gaule, à la période mérovingienne) il connut un succès remarquable. Plus tard, après Charlemagne, les Églises royales y privilégièrent la tradition romaine, qui l'emporta finalement dans tout l'occident.

Néanmoins, de nombreuses fondations conservent le souvenir de la grandeur passée de la tradition irlandaise, comme l'abbaye de Luxeuil en France, celle de Bobbio en Italie ou celle de Saint-Gall en Suisse, que l'on doit toutes les trois à saint Colomban (543615) qu'il ne faut pas confondre avec saint Colomba.

Plus importante fut l'influence du christianisme irlandais en Grande-Bretagne : il fut distillé dans le nord de celle-ci, auprès de tribus celtes restées païennes : les Gaëls et les Pictes, depuis l'Irlande. Saint Colomba (521597) évangélisa ces peuples et fonda le monastère de Iona (563) sur une île située au large de la côte ouest de l'Écosse. Bientôt, l'influence irlandaise essaima depuis ce lieu, principalement par l'intermédiaire des Scots.

Des missionnaires écossais, en effet, se rendirent auprès des Anglo-Saxons qui étaient établis au nord de la rivière Humber (en Northumbrie) : ils furent les premiers évangélisateurs de ce peuple. Mais ils se heurtèrent à l'influence de l'Église romaine, présente dans le sud de l'île depuis l'extrême fin du VIe siècle et dès le VIIe siècle du fait de l'activité d'Augustin de Cantorbéry et de ses collaborateurs, un moine catholique qui avait été envoyé en Angleterre par saint Grégoire pour propager la suprématie de Rome.

En 664, le christianisme irlandais fut finalement rejeté au profit des coutumes romaines par les Northumbriens, lors du synode de Whitby qui opposa Wilfrid d'York à l'évêque irlandais Colman.

Les Gaëls d'Écosse adoptèrent finalement les traditions romaines au XIe siècle, et ceux d'Irlande au XIIe siècle.

Jeûne des stations

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La pratique du jeûne hebdomadaire est une spécificité du christianisme gaël par rapport au christianisme romain. Le jeûne eucharistique est ancien et a longtemps été rigoureux chez tous les chrétiens. En revanche, le jeûne hebdomadaire est souvent considéré comme une différence entre l’Église latine et les Églises orientales. Le jeûne appelé des « stations » se pratiquait tous les mercredis et tous les vendredis, dès l’Antiquité chez l’ensemble des chrétiens. Cependant, les chrétiens occidentaux ont abandonné le jeûne du mercredi et réduit celui du vendredi à une abstinence de viande, alors que les chrétiens d’Orient y sont restés attachés [4]. C’est aussi le cas des chrétiens gaëls, qui ont conservé très longtemps la pratique du jeûne hebdomadaire, à tel point que l’on trouve encore aujourd’hui sa trace dans le nom des jours de la semaine :

  • le mercredi est le « jour du premier jeûne » (vieux gaélique Di-Ceudaoin, de ceud, « premier » et aoin, « jeûne » ; irlandais : Dé Céadaoin, gaélique écossais : Diciadain)
  • le jeudi est le « jour entre les jeûnes » (vieux gaélique : Dia dhardaoin, de eadar, « entre » et aoin ; irlandais : Déardaoin, gaélique écossais : Diardaoin)
  • le vendredi est le « jour du jeûne » (vieux gaélique : Dia oine, irlandais : Dé hAoine, gaélique écossais : Dihaoine).

Le christianisme romain doit, dans une grande mesure et par l'entremise des missionnaires anglo-saxons, son goût pour la mission à la tradition irlandaise, importée dans le nord des îles britanniques au VIIe siècle. D'autres traditions irlandaises ont été adoptées par Rome et font partie de l'orthodoxie : c'est le cas de la confession auriculaire (en privé) et de la Toussaint, fête de « tous les saints » célébrée le premier novembre.

Notes et références

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  1. (en) Richard Killeen, Ireland, Land, People, History, Londres, Constable and Robinson, , p. 18-28
  2. a et b (en) Richard Killeen, Ireland, Land, People, History, Londres, Constable & Robinson,
  3. (en) Seán Duffy, Atlas of Irish history, Derbyshire, Arcadia Editions, , p. 14
  4. Bernard Heyberger, "Les transformations du jeûne chez les chrétiens d'Orient" in Le corps et le sacré en Orient musulman, IV. Corps et sacré : permanences et redéfinitions, 113-114, (lire en ligne), p. 267-285

Bibliographie

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Articles connexes

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Lien externe

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