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Actualisation des estimations de l'impact de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté : l’incidence des nouvelles données

Dans notre dernier billet, nous estimions qu’en 2020, la pandémie de COVID-19 ferait basculer entre 71 et 100 millions de personnes dans l’extrême pauvreté (sous le seuil international de 1,90 dollar par jour). Depuis, nous avons intégré de nouvelles données dans PovcalNet (a), un outil en ligne de la Banque mondiale pour estimer la pauvreté dans le monde. Cet exercice nous a conduits à réviser nos estimations du nombre de pauvres avant l’apparition du coronavirus et du nombre d’individus ayant basculé dans l’extrême pauvreté à cause de la pandémie. Selon ces nouveaux calculs, 9,2 % de la population mondiale, soit 689 millions de personnes, vivaient dans l’extrême pauvreté en 2017. Comme nous l’expliquons ici, nous avons notamment tenu compte d’une révision des parités de pouvoir d’achat de 2011 et de nouvelles données d’enquête pour le Nigéria (pour plus d’informations, voir Castaneda et al. [a]). En conséquence, nous avons également revu notre analyse de l’impact de la pandémie et estimons aujourd’hui qu’en 2020, entre 88 et 115 millions de personnes basculeront dans l’extrême pauvreté, faisant perdre environ trois ans aux efforts de réduction de la pauvreté. Ces nouvelles estimations figurent également dans la dernière édition du Rapport sur la pauvreté et la prospérité partagée, qui paraît aujourd’hui

Comme précédemment, nous calculons le nombre de personnes poussées dans la pauvreté par la pandémie en fonction des prévisions de croissance des éditions de janvier et de juin 2020 des Perspectives économiques mondiales. L’édition de janvier sert de référence pour la situation de la pauvreté dans le monde en l’absence de pandémie de COVID-19. L’édition de juin propose deux scénarios de croissance intégrant la présence du coronavirus : un scénario de base (recul de la croissance mondiale d’environ 5 % en 2020) et un scénario pessimiste (contraction d’environ 8 % en 2020). Nous mesurons l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la pauvreté en calculant la différence du nombre de pauvres entre les prévisions de croissance de janvier et celles de juin 2020. Nous estimons ainsi que 88 millions de personnes basculeront dans l’extrême pauvreté en 2020 du fait du coronavirus, un chiffre qui pourrait grimper à 115 millions dans le scénario pessimiste, qui table sur un impact économique plus grave de la pandémie. 

Figure 1 : Impact de la pandémie de COVID-19 sur l'extrême pauvreté dans le monde

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La figure 2 propose une ventilation par région du nombre de personnes basculant dans la pauvreté sous l’effet du coronavirus. Cette figure (non présentée ici) compare ces estimations avec des projections antérieures. Avec la prise en compte des nouvelles données PovcalNet, le nombre additionnel de pauvres dus à la pandémie augmente sensiblement au seuil de pauvreté de 1,90 dollar, l’impact étant plus atténué aux seuils supérieurs. Ainsi, le nombre de personnes basculant dans la pauvreté du fait du coronavirus passe de 71 millions (base de juin) à 88 millions (base de septembre) au seuil de pauvreté de 1,90 dollar, contre une légère diminution, de 176 à 175 millions au seuil de pauvreté de 3,20 dollars. Une grande partie de cette révision à la hausse du nombre de pauvres au seuil de 1,90 dollar est à imputer à l’Asie du Sud, par suite de l’actualisation des estimations pour l’Inde en 2017/18 (en plus de la révision des PPP, voir Castaneda et al. [a]). Pour autant, la répartition régionale de la pauvreté due au coronavirus en 2020 n’évolue pratiquement pas : la plupart des personnes se retrouvant au seuil d’extrême pauvreté mais également à des seuils de pauvreté supérieurs vivent en Asie du Sud. Viennent ensuite l’Afrique subsaharienne, pour le seuil de 1,90 dollar, puis l’Asie de l’Est et le Pacifique, pour le seuil de 5,50 dollars. 

Figure 2 : Répartition régionale des nouveaux pauvres dus à la pandémie de COVID-19, 2020

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Une autre manière de mesurer la gravité de l’impact de la pandémie sur la pauvreté dans le monde consiste à comparer le choc induit par le coronavirus à des chocs précédents ayant eu un effet aggravant sur la pauvreté. Le seul autre choc à avoir accru la pauvreté mondiale au cours des 30 dernières années est celui de la crise financière asiatique en 1997/98. Avant ces deux épisodes, la pauvreté était en repli. Tandis que la crise financière en Asie a accru le taux de pauvreté de 1,3 % en 1998 par rapport à 1997 (de 29,6 à 30 %), la pandémie de COVID-19 devrait faire bondir le nombre de pauvres de 8,1 % en 2020 par rapport à 2019 (de 8,4 à 9,1 %). Cette aggravation serait encore plus considérable selon le scénario pessimiste de septembre, qui prévoit une hausse de la pauvreté de 12,2 %. Nous savons comment les choses ont évolué après la crise financière asiatique : la pauvreté dans le monde a reculé en moyenne de 3,8 % au cours des cinq années suivantes. À contrario, la pandémie actuelle n’est toujours pas finie et nous ne disposons d’aucune prévision sur le long terme. Si l’on se base sur les données et les prévisions disponibles actuellement, le coronavirus a déjà marqué le pire recul de ces 30 dernières années, au bas mot, face à l’objectif de réduire la pauvreté mondiale. 

Figure 3 : Impact comparé de la pandémie de COVID-19 et de la crise financière asiatique

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[1] Comme précédemment, nous utilisons un indice de transmission mondial de 0,85 afin d’ajuster les taux de croissance pour les années de projection, à savoir 2019-21 (pour plus d’informations sur le calcul de cet indice, voir Lakner et al. 2020 [a]). Nous nous appuyons sur les prévisions établies en juin 2020 dans les Perspectives économiques mondiales pour tous les scénarios de 2019. Pour les années marquées par la pandémie de COVID-19 (2020 et 2021), nous utilisons les prévisions de janvier pour le scénario pré-COVID-19 et celles de juin pour les deux scénarios intégrant la pandémie. Attention, dans notre dernier billet, le scénario pré-COVID-19 de 2019 (en plus de 2020 et 2021) s’appuie sur les prévisions de janvier 2020. Nous trouvons donc une différence dans le niveau projeté de pauvreté des scénarios pré-COVID-19 et en présence de la pandémie pour 2019. Pour calculer le nombre de pauvres basculant dans la pauvreté à cause de la pandémie en 2020 et en 2021, nous avions recouru à la méthode des doubles différences. Ici, nous utilisons une simple différence pour 2020 et 2021, dans la mesure où les estimations de juin sont utilisées pour tous les scénarios de 2019. L’écart du nombre de pauvres entre les deux méthodes est inférieur à 1 million. 


Auteurs

Christoph Lakner

Économiste senior, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

Nishant Yonzan

Economist, Development Data Group, World Bank

Daniel Gerszon Mahler

Économiste senior, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

R. Andres Castaneda Aguilar

Économiste, Groupe de gestion des données sur le développement, Banque mondiale

Haoyu Wu

économiste au pôle Pauvreté et équité de la Banque mondiale

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