Banff Springs Hotel

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CPR’s “Banff Springs” Hotel, ca. 1888, Whyte Museum of the Canadian Rockies, Bruno Engler fonds, V190/VI/C/vi/PA15

L’hôtel Banff Springs, essence du Château canadien

Par Léonard Duchesneau, stagiaire en planification patrimoniale à la Ville de Banff

Alors que le 19ème siècle tirait sa révérence, le Canada, tout nouvellement créé, tentait de se forger sa propre identité, cherchant à se distinguer de son voisin du sud. Ironiquement, ce sont ces mêmes voisins qui jouèrent un rôle crucial dans l'établissement de l'un de ses symboles les plus iconiques et le précurseur du style château – l'hôtel Banff Springs. Ce chef-d'œuvre architectural, ancré dans l'éclectisme victorien, a non seulement servi de représentation visuelle officielle de l'identité canadienne jusqu'aux années 1940, mais a également joué un rôle clé dans le développement de sa ville hôte et du parc national environnant.

L'histoire du Banff Springs est inextricablement liée au récit politique du Canada, suivant la création du Dominion en 1867. Peu après l’établissement de la Confédération, le Premier ministre John A. Macdonald et certains membres de son cabinet furent accusés d’avoir accepté des fonds électoraux du magnat des transports Hugh Allan, un Écossais-Canadien, en échange de l’octroi du contrat public qui visait à établir le Chemin de fer du Canadien Pacifique (CP). Le scandale en résultant força, en novembre 1873, la démission de Macdonald en tant que chef du gouvernement. Le parti Conservateur, dont il était à la tête, revint toutefois au pouvoir cinq ans plus tard, en 1878.

Entre temps, le CP débuta la construction de la ligne transcontinentale, un jalon important dans l’intégration de la Colombie-Britannique au reste du Dominion. William Van Horne, son vice-président et directeur général, apporta son flair de businessman américain à la compagnie. Reconnaissant le coût substantiel lié à la construction de la ligne transcontinentale, il conçut l'idée de capitaliser les vues sublimes des Rocheuses canadiennes en édifiant une série de grands hôtels luxueux afin d’attirer les voyageurs. « Puisqu’il nous est impossible d’exporter le paysage, nous importerons les touristes », déclara-t-il à cet égard.

Une telle opportunité se présenta en 1883, lorsque trois cheminots tombèrent sur des sources thermales connues depuis longtemps des peuples autochtones. Leur potentielle acquisition par des intérêts privés entraina le gouvernement fédéral à protéger ces merveilles naturelles à travers l’établissement, en 1885, d’une réserve foncière, qui, deux ans plus tard, devint le premier parc national du pays. En vue d’accueillir les visiteurs venus profiter des sources thermales, on y arpenta un lotissement urbain qui allait plus tard être nommé « Banff ». Cette enclave urbaine nichée au cœur de la nature sauvage constituait un emplacement idéal pour édifier l’un des grands hôtels de Van Horne.

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CPR Hotel in Banff, ca. 1888, Whyte Museum of the Canadian Rockies, Boorne and May fonds, v10/1/12/na66-612

L’hôtel Banff Springs, nommé en référence aux multiples sources thermales présentes dans les environs, devait initialement être construit à la base du mont Tunnel (que la Commission de toponymie du Canada considère de renommer formellement « Sacred Buffalo Guardian Mountain »). Suivant les conseils d’un guide local, Van Horne opta toutefois pour un emplacement situé à la confluence des rivières Bow et Spray, un site offrant des vues sans égal sur le chaînon Fairholme.

Bruce Price, un architecte américain émergent, fut sélectionné pour concevoir les plans de l'hôtel. Il conceptualisa un somptueux édifice de quatre étages présentant des attraits médiévaux, tels des tourelles, des lucarnes, des fenêtres en baie et un toit en bardeaux de cèdre monté sur une façade gris crème. À son achèvement, en 1888, le style château de l'hôtel provoqua de nombreux débats auprès des visiteurs et résidents locaux, étant donné qu’il présentait un mélange d’éléments architecturaux que l’on prête habituellement aux châteaux français de la vallée de la Loire et au style baronnial écossais.

L'approche architecturale de Price était en effet ancrée dans la tradition des Beaux-Arts, connue pour son éclectisme mélangeant plusieurs architectures historicistes de l’époque victorienne utilisées en symbiose avec des techniques de construction contemporaines. Sa vision était également influencée par les tendances romantiques de l'époque : l'organicisme, inspiré par la philosophie transcendantaliste américaine, cherchait une intégration harmonieuse avec le paysage naturel, tandis que le pittoresque faisait de l'hôtel le sujet d’une œuvre d'art, célébrant sa présence majestueuse et son attrait esthétique.

Cette expression initiale du style château fit du Banff Springs une référence pour d'autres hôtels ferroviaires tels le Château Frontenac (1893), l'hôtel Empress (1908) et le Château Laurier (1909). Son essence romantique captiva tant le gouvernement fédéral, qu’il accorda à l’édifice le statut d’emblème national, puisqu’il offrait un contrepoint distinct au néoclassicisme des bâtiments fédéraux américains. L'importation du style château au Canada par Van Horne et Price, tous deux Américains, reflétait l’affection particulière aux États-Unis pour l’architecture française, un sentiment amplifié par la guerre franco-prussienne de 1870 et renforcé par le fait que de nombreux architectes américains avaient fréquenté l’école des Beaux-Arts de Paris.

King George VI

Their Majesties, King George VI, and Queen Elizabeth with the Right Honourable W. L. Mackenzie King, Prime Minister of Canada, chatting on terrace, adjoining Banff Springs Hotel, 27 May 1939, Library and Archives Canada, National Film Board of Canada fonds/e011308993

En parallèle, le style baronnial écossais, né en Écosse dans les années 1850, trouvait faveur en Angleterre et aux États-Unis, notamment dans l'architecture des grands hôtels. Son adoption au Canada se fit dès lors naturellement, compte tenu du nombre significatif d'Écossais qui composaient l'élite politique et économique du pays à cette époque. Cette proximité culturelle était particulièrement incarnée dans la figure de George Stephen, président du Canadien Pacifique et Écossais de naissance qui, en nommant Banff d'après sa ville natale, célébrait ses racines et contribuait à entrelacer l'identité canadienne à la culture écossaise.

En réponse à la popularité du Banff Springs, une série d’agrandissements sporadiques eut lieu dès le début des années 1900 et mit en évidence la nécessité de concevoir une stratégie architecturale cohérente pour l’hôtel. Walter S. Painter, un architecte – lui aussi – américain s’inscrivant dans la lignée de Bruce Price, s’empressa de relever ce défi. Son interprétation du style château donnait préséance au style baronnial écossais et conféra à l’hôtel son apparence actuelle avec ses lucarnes plates, ses fenêtres en arc circulaire et sa robuste façade en grès de Rundle extrait des rives de la rivière Spray. Ce choix de matériau, transitionnant d’un gris bleuté vers un riche brun au fil du temps, renforçait la synergie qui existait entre l’édifice et son paysage escarpé.

En outre, la tour que Painter édifia en 1914, demeure l’une des contributions les plus iconiques au bâtiment, encore à ce jour. La vision de l’architecte atteignit cependant sa pleine expression après un tournant inattendu : un incendie qui réduisit en cendres l'aile nord de l'hôtel, en 1926, et conduisit à l’adoption de techniques de construction à l’épreuve du feu. J.W. Orrock, architecte du CP qui succéda à Painter entre temps, compléta les plans de son prédécesseur, affinant la forme du toit et initiant la construction de nouvelles ailes nord et sud. En 1928, la nouvelle mouture de l’hôtel se dévoilait sous la forme emblématique que nous lui connaissons aujourd’hui.

Durant son âge d’or, l’hôtel Banff Springs accueillit une myriade de personnalités illustres, dont des figures politiques importantes et des membres de familles royales. L’éphémère roi Édouard VIII, lorsqu’il était prince de Galles, fut un fréquent visiteur de l’hôtel. Épris d’une grande affection pour l’Alberta, il acquit un ranch situé au sud de Calgary. Son frère, le roi George VI, et son épouse la reine Elizabeth, honorèrent également l’hôtel de leur présence, accompagnés par le Premier ministre Mackenzie King, quelques mois avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

Le Banff Springs ferma ses portes de 1942 jusqu’à la fin des hostilités. À sa réouverture, l’hôtel émergea dans un monde transformé, et il fallut un certain temps avant que le CP ne puisse restaurer l'hôtel à sa juste grandeur, attendant une époque plus favorable pour raviver sa splendeur et son hospitalité.

En effet, les automobilistes, bien avant les années 1950, pouvaient conduire sur les routes sillonnant le parc des Montagnes-Rocheuses, renommé parc national Banff, en 1930. Il fallut cependant attendre l’achèvement de l’autoroute Transcanadienne, en 1962, et le développement de stations de ski dans le parc pour que le nombre de visiteurs et de voitures y augmente de façon significative.

De plus, l'essor des activités récréatives hivernales – souligné par les nombreuses tentatives d'organiser des Jeux olympiques d'hiver à Banff – et la volonté d’exploiter ce nouveau marché firent émerger la question de transformer Banff en destination hivernale, l’amenant au-delà de ses traditionnelles opérations estivales. Dans ce contexte de changements, le CP décida d’investir massivement dans le Banff Springs dès 1968, en hivernisant 250 chambres de l’hôtel. Bien qu’il s’agît d’une démarche ambitieuse, cette initiative visant à s'adapter aux nouvelles tendances en matière de tourisme n’apporta toutefois pas les succès escomptés de façon immédiate.

Il fallut attendre que le Tchèque Ivor Petrak prît, en 1971, les rênes de la division hôtelière du Canadien Pacifique et devienne par le fait même une figure majeure de la renaissance de l’établissement. Soulignant sa détermination à revitaliser l’hôtel et autres propriétés du réseau, il déclara : « Van Horne avait la vision, j'avais la mission ». Sous sa gouverne, il persuada le conseil d’administration du CP d’approuver du financement destiné à moderniser l’hôtel. Les travaux comprirent l’hivernisation complète du bâtiment, la mise à niveau des ascenseurs et du système électrique, ainsi que l’édification de nouveaux quartiers destinés aux employés afin de réaffecter l'espace à l'intérieur de la tour de Painter aux clients de l’hôtel.

L'influence de Petrak se fit également sentir dans les années 1980 à travers un projet d’agrandissement qui comprit l’ajout de deux nouvelles ailes en préparation aux Jeux olympiques d’hiver de Calgary. En novembre 1990, l’ouverture d’un centre de conférences eut comme conséquence d’élever Banff au sein des plus prestigieux lieux de rassemblements professionnels au pays. Réalisée par Carruthers, Marshall & Associates, sa conception architecturale imitait fidèlement le style château historique du Banff Springs, assurant son intégration harmonieuse avec le reste de l'hôtel. Les ajouts subséquents, notamment le spa de 1995 et le lobby d’entrée de 2001, respectèrent eux aussi les lignes directrices établies par Painter. En complément à ces changements, on installa, face au centre de conférences, une statue en bronze de Van Horne pointant vers l’hôtel d’origine, liant symboliquement le passé au présent.

En 1988, pour son centième anniversaire, l’hôtel Banff Springs fut élevé au rang de Lieu historique national du Canada, son style château défini comme aspect fondamental de son intégrité commémorative.

En tant qu’emblème architectural, l’édifice a captivé une génération entière d’historiens nationalistes d’après-guerre qui l’acclamèrent comme représentation d’un style national typiquement canadien – un écho à la quête du Canada de définir son identité nationale. Les perspectives académiques récentes présentent toutefois quelques nuances à cet égard, reconnaissant la présence de facteurs économiques enchevêtrés à l'émergence du style château. Aujourd’hui, le Banff Springs se présente néanmoins comme le fruit de la collaboration de visionnaires issus d’horizons divers tels Van Horne, Price, Painter et Petrak. Ensemble, ils ont non seulement façonné un symbole local, mais également national, se dressant fièrement au sein du sublime décor montagneux du parc national Banff.

Banff Springs 1929

Banff Springs Hotel, Oct. 1929, Library and Archives Canada, Parks Canada Agency fonds/e011308993