Allocution du Dr Margaret Chan, Directeur général de l’OMS, à l’occasion de la soixante-troisième session du Comité régional de l’OMS pour le Pacifique occidental

24 September 2012
Madame le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Délégués, Dr Shin, Mesdames et Messieurs.

Cette Région a apporté au monde de très bonnes nouvelles.

En 2003, vous avez résolu d’éliminer la rougeole et de juguler l’hépatite B, ainsi que d’utiliser les activités pour parvenir à ces buts pour renforcer les services de vaccination systématique.

Vos pays ont fait un progrès considérable en ramenant les taux d’infection par l’hépatite B chez l’enfant en dessous de 2 %. Des objectifs encore plus ambitieux ont été recommandés pour 2017.

La baisse de la rougeole a été stupéfiante : il n’y a eu que deux décès dus à cette maladie cette année, ce qui représente une diminution de 99 % depuis 2003. L’initiative contre la rougeole sert aussi à accélérer la lutte contre la rubéole et la prévention du syndrome de rubéole congénitale.

Les pays riches de cette Région ont été des modèles de succès pour d’autres pays nantis bien au-delà de la Région. La Chine a montré l’impact d’activités intensifiées de vaccination à grande échelle. Des pays plus petits, moins privilégiés, nous disent qu’avec la détermination des autorités, les personnes difficiles à atteindre peuvent l’être quand même.

Le Pacifique occidental est en passe de devenir, après les Amériques, la deuxième Région de l’OMS à être certifiée exempte de rougeole. Au cours de cette session, vous examinerez un projet de lignes directrices pour la vérification de l’élimination de la rougeole. Vous accomplissez aussi ce travail très soigneusement.

En santé publique, tout le monde aime entendre parler des succès, du travail qui a été bien fait. Vous avancez dans la lutte contre les maladies tropicales négligées. Vous allez étudier un plan d’action détaillé pour sept MNT prioritaires. Ces maladies affectent les plus pauvres d’entre les pauvres. Mais, même dans la misère, on peut endiguer à faible coût une grande partie de la charge de morbidité, avant même de réduire la pauvreté elle-même.

La donne en est changée. Au cours de leur longue histoire, ces anciennes maladies ont progressivement disparu de larges régions du monde à mesure que les revenus et les niveaux de vie ont augmenté. Votre plan d’action montre qu’avec de bons médicaments et des stratégies rationnelles, ces maladies peuvent être vaincues et, par là même, contribuer à un allègement de la pauvreté à grande échelle.

Dans le même temps, vous ne fuyez pas devant les défis opérationnels, financiers et politiques auxquels la lutte contre les MNT est confrontée dans cette Région. Avec vos yeux grands ouverts sur les problèmes, je suis sûre que, dans ce cas aussi, vous prouverez qu’on peut réellement toucher ceux qui sont difficiles à atteindre.

Je me félicite aussi de l’attention que vous accordez au paludisme. À la fin du mois prochain, l’Australie accueillera une grande conférence sur le paludisme visant à sauver des vies en Asie et dans le Pacifique. C’est une réunion technique au cours de laquelle les perspectives de lutte et d’élimination seront examinées de même que les problèmes et les défis, parmi lesquels la menace significative de la résistance à l’artémisinine.

Mais il s’agit aussi d’une réunion politique pour promouvoir une direction politique aussi bien que technique et pour chercher des moyens de garantir un financement durable, également pour le confinement de la résistance à l’artémisinine.

Regardant ce qui nous attend, toute maladie que nous pouvons éradiquer, éliminer ou maîtriser libère des ressources pour affronter les prochains grands défis.

La recrudescence inexorable des maladies non transmissibles chroniques compte parmi les plus grands défis. Pour le relever, il faudra trouver de nouveaux modes de pensée et de travail. La réponse, notamment en matière de prévention, dépend fortement de la capacité des responsables de la santé à persuader les autres secteurs d’inclure dans leurs politiques les préoccupations sanitaires.

C’est un problème que je constate personnellement encore et toujours : le manque de cohérence politique au sein des gouvernements, la tendance des différents ministères à s’en tenir strictement et étroitement à leurs missions.

Ce mode de réflexion compartimenté perd de sa pertinence dans un monde où l’interdépendance entre les pays, mais aussi entre les secteurs, augmente radicalement. Les distinctions entre les sphères politiques se sont estompées. Quel est le bénéfice net si un ministre du commerce approuve, dans l’intérêt de la prospérité nationale, un accord qui entraîne l’invasion des produits du tabac ou d’autres tout aussi nocifs sur le marché ?

Nous parlons beaucoup d’approches de la santé concernant les gouvernements ou les sociétés dans leur ensemble. Nous savons que le secteur de la santé, s’il agit seul, ne pourra jamais contrer la recrudescence des MNT ou résoudre des problèmes comme ceux ayant trait à la sécurité routière, à la prévention de la violence et des traumatismes ou à l’amélioration de l’état nutritionnel des populations.

Les activités portant sur la mise en œuvre de la Convention-cadre de l’OMS nous montrent comment les actions multisectorielles de ce type fonctionnent en pratique et comment nous pouvons faire bouger les choses.

En juillet, les Philippines ont organisé une consultation régionale sur le tabac et le commerce. Certaines mesures de la Convention-cadre ont des conséquences sur le
 
commerce et l’investissement, rendant essentielle une collaboration plus étroite entre les secteurs de la santé et du commerce pour parvenir aux buts communs du développement économique et d’une population productive et en bonne santé.

Cette consultation a réuni les ministères du commerce et de la santé. Elle a apporté la preuve de l’exploitation par l’industrie du tabac des accords de commerce et d’investissement, et montré aux gouvernements comment et pourquoi. La consultation a indiqué comment, en joignant leur action, les ministères de la santé et du commerce peuvent protéger les populations d’un produit mortel et épargner aux gouvernements les coûts énormes qui en découlent.

Une fois encore, je souhaiterais féliciter l’Australie pour s’être opposée à l’industrie du tabac et avoir gagné. Nous espérons un effet domino faisant que les bons commencent à être victorieux. Nous avons été tous heureux quand, au début du mois, un tribunal norvégien a confirmé l’interdiction de présenter les produits du tabac dans les magasins. La Norvège prévoit désormais de suivre l’Australie en imposant le conditionnement simple des ces produits.

L’industrie du tabac n’est pas du tout contente ce qui, personnellement, me réjouit beaucoup.

Le Pacifique occidental a été la première Région de l’OMS à avoir énoncé une cible mesurable pour la réduction de la consommation de tabac. Vous avez devant vous un rapport demandant si les pays de cette Région peuvent, d’ici 2014, réduire la prévalence du tabagisme de 10 %.

Vous pouvez et vous devez le faire. Il ne fait aucun doute que la mise en œuvre totale de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac assènerait au niveau de la prévention le plus grand coup aux maladies non transmissibles.

J’aimerais remercier la République de Corée d’avoir accepté d’accueillir la cinquième session de la Conférence des Parties de la Convention-cadre de l’OMS à Séoul à la mi-novembre.

Dans cette Région, chaque pays est Partie à la Convention-cadre. Je vous invite à continuer de donner au monde des exemples encourageants où ce sont les bons qui gagnent.

Mesdames et Messieurs,

L’OMS et ses États Membres sont confrontés à deux grandes tâches pour lesquelles nous devons absolument agir de manière correcte. La première est la réforme de l’OMS, dont j’ai parlé dans mon message d’ouverture en vidéo. La seconde est de mettre la santé au programme du développement après 2015. J’accorde beaucoup de prix à vos conseils lorsque nous collaborons sur ces deux tâches.
 
La date cible pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) approche rapidement. Le débat sur les priorités après 2015 bat son plein. Soyez sûrs que l’OMS joue un rôle directeur pour apporter à ce débat une grande diversité d’opinions.

Comme je l’ai dit, nous devons absolument faire les choses correctement. Les OMD ont fortement influencé les priorités du développement et orienté les flux des ressources. La tentation sera grande de multiplier le nombre des buts, plutôt que s’en tenir à un programme clair, centré et faisable.

Les OMD nous ont appris que la santé mérite d’être en bonne place dans tout programme de développement. Elle est une condition préalable au développement et un moteur puissant du progrès socio-économique.

Comme ses déterminants sont si variés, elle est un indicateur sensible de l’impact qu’ont les politiques des secteurs gouvernementaux sur le bien-être des citoyens. Prenons juste un exemple : si les politiques commerciales, les tarifs douaniers et les subventions agricoles entraînent une envolée des prix alimentaires, les effets néfastes seront le plus visible dans le secteur de la santé.

Les modifications de la situation sanitaire seront aussi les signaux les plus faciles et les plus fiables à mesurer, indiquant que les politiques doivent être ajustées.

Nous pouvons être tous contents que le document final du Sommet RIO+20 ait donné une place centrale à la santé en tant que condition préalable du développement et indicateur de celui-ci. Il a aussi souligné l’importance de la couverture universelle des soins pour renforcer la santé, la cohésion sociale et avoir un développement économique et humain durable.

Les OMD ont constitué un pacte entre, d’une part, les pays en développement et leurs besoins et, d’autre part, les pays riches qui ont promis de satisfaire ces besoins par l’engagement de fonds, par l’expertise et par l’innovation. En bref, un pacte entre les possédants et ceux qui n’ont rien visant à réduire les disparités des conditions de vie, à alléger la pauvreté et à soulager l’immensité de la misère humaine

Lorsque nous envisageons la nature des menaces d’aujourd’hui sur la santé, un simple pacte entre les possédants et ceux qui n’ont rien ne réussit pas à saisir leur complexité.

Je parle du changement climatique, de la recrudescence des situations d’urgence et des catastrophes, de la multiplication des zones de conflit, de l’envolée des dépenses de santé, des prix des aliments, du vieillissement de la population, de l’urbanisation rapide et de la mondialisation des modes de vie nocifs.

Je parle d’un ralentissement économique durable, de l’insécurité financière, des opportunités qui s’évanouissent, en particulier pour les jeunes et les classes moyennes, de la pauvreté qui s’aggrave et des inégalités sociales qui s’élargissent constamment.
 
Ce sont des tendances universelles et nombre d’entre elles alimentent la recrudescence inexorable des maladies non transmissibles.

À mon avis, l’un des meilleurs moyens de faire face à tous ces défis est de mettre au programme du développement après 2015 la couverture universelle de la santé. À mon sens, c’est le concept le plus puissant que la santé ait à offrir.

C’est le meilleur moyen de cimenter les acquis obtenus au cours de la dernière décennie. C’est un puissant facteur d’égalité sociale, de même que l’expression ultime de la justice.

C’est un concept unificateur qui met en place, de manière cohérente et logique, les nombreuses pièces du puzzle des facteurs qui, ensemble, déterminent au bout du compte les résultats de la santé.

C’est la voie vers deux des buts les plus précieux de la santé publique : une plus grande justice dans l’accès aux soins et une plus grande efficacité dans la prestation des services. La pensée économique traditionnelle nous dit que nous ne pouvons pas avoir les deux, qu’il doit y avoir un compromis entre les buts de l’équité et de l’efficacité. L’expérience de la santé publique nous dit qu’il en va autrement.

Quand les pays se dirigent vers la couverture universelle, les avantages des interventions, mis en perspective, s’ajoutent les uns aux autres. Ils ne se limitent pas à la protection de la santé ou à la prévention d’une maladie, ils diminuent les risques pour des populations entières.

Avec des couvertures élevées des interventions, par exemple contre le sida, le paludisme ou la tuberculose, la transmission des maladies ralentit et amplifie ainsi l’impact des actions, améliorant leur efficacité. Prenons un autre exemple : la couverture élevée d’une vaccination génère une immunité de groupe, de sorte que même ceux qui n’ont pas été vaccinés bénéficient des interventions à l’échelle des populations.

De plus, les économistes signalent d’énormes économies d’échelle dans la prestation des services, lorsque les interventions couvrent une grande proportion de la population.

Cette semaine, je participe à l’Assemblée générale des Nations Unies à un certain nombre d’événements liés à la santé. L’un d’entre eux sera le lancement d’une série d’articles et d’éditoriaux du Lancet et une perspective éditoriale sur la couverture universelle de la santé.

Les articles du Lancet, publiés jusqu’à présent, apportent des preuves montrant l’impact positif de la couverture universelle sur les résultats de la santé. Ils explorent les dimensions politique et économique du passage à la couverture universelle et tirent des leçons de l’adoption des réformes de financement sur la santé dans un certain nombre de pays à faible revenu.
 
Les commentaires éditoriaux élargissent le tableau pour donner le sens historique à ces données. L’un d’entre eux évoque la possibilité que le passage mondial à la couverture universelle puisse être la troisième grande transition sanitaire après la transition démographique qui a commencé à la fin du XVIIIe siècle et la transition épidémiologique qui a débuté au XXe siècle et au cours de laquelle les maladies non transmissibles ont fini par surpasser les maladies infectieuses partout dans le monde.

Dans la série du Lancet, il est extrêmement utile qu’un économiste respecté de l’envergure de Jeffrey Sachs milite fermement contre ce qu’il appelle « la pensée paresseuse ». Celle-ci part du principe que les frais à la charge de l’usager réduiront la surconsommation des services de santé ou augmenteront leur valeur aux yeux de celui-ci. Ce n’est pas vrai, les dépenses à la charge de l’usager punissent les pauvres.

Vous allez étudier un rapport de situation sur la mise en œuvre de la Stratégie de financement de la santé dans la Région. Celle-ci contribue à la couverture universelle en tant que vision du développement des systèmes de santé nationaux dans le Pacifique occidental.

Comme vous le savez, les réformes du financement de la santé ne sont qu’une partie du tableau. L’assurance-maladie renforce les attentes du public qui compte sur un accès facile aux médicaments et qui veut la qualité. L’engagement pour la couverture universelle implique de répondre aussi à ces aspirations.

Ne punissez pas les pauvres mais ne les décevez pas non plus.

À une époque où, dans de si nombreux secteurs, les politiques renforcent en réalité les inégalités sociales, je serais ravie de voir que la santé mène le monde vers davantage de justice d’une manière qui compte pour chaque être humain sur cette planète.

Merci.