Allocution du Directeur général Dr Margaret Chan, prononcée par Dr Hans Troedsson, Sous-Directeur général pour l'Administration

12 October 2015
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les délégués, Dr Shin, Mesdames et Messieurs,

Le monde a profondément changé depuis qu'au début du siècle, les objectifs du Millénaire pour le développement sont devenus la priorité des efforts internationaux visant à réduire la misère humaine.

On pensait alors que celle-ci était due à un ensemble bien délimité de grandes causes comme la pauvreté, la faim, la mauvaise qualité de l'eau et des moyens d'assainissement, plusieurs maladies infectieuses et le manque de soins essentiels pendant la grossesse, l'accouchement et l’enfance. Le fruit des efforts déployés, et toute l'énergie, toutes les ressources qui leur ont été consacrées et les innovations qui en ont découlé ont dépassé, pour beaucoup, les rêves les plus fous. Cette action a démontré le pouvoir de la solidarité internationale et a révélé le meilleur de la nature humaine.

La mortalité de la mère et de l’enfant a diminué plus rapidement qu’elle ne l’a jamais fait, certaines des diminutions les plus spectaculaires étant enregistrées en Afrique subsaharienne. Chaque jour, on compte 17 000 décès d’enfants de moins qu’en 1990. Le sida est arrivé à un tournant l’an dernier : pour la première fois le nombre de nouveaux bénéficiaires d’un traitement antirétroviral a dépassé le nombre des nouvelles infections.

Depuis le début du siècle, on estime à 37 millions le nombre de vies sauvées par un diagnostic et un traitement efficaces de la tuberculose. Au cours de la même période, les décès dus au paludisme ont diminué de 60 %. On estime à 6,2 millions le nombre de vies sauvées.

Les dons de médicaments de l’industrie pharmaceutique ont permis à l’OMS de faire bénéficier plus de 800 millions de personnes chaque année d’un traitement préventif contre les maladies tropicales négligées. Ces dons soulignent la détermination de la Région à mettre fin à la lèpre et à la filariose lymphatique.

En atteignant un si grand nombre de personnes parmi les populations les plus défavorisées de la planète, nous ouvrons la voie à une réelle échappée, loin de la pauvreté.

Le Directeur général félicite les lauréats du Prix Nobel de médecine de cette année. C’est non seulement un honneur pour la Chine, l’Irlande et le Japon, mais aussi un hommage rendu à l’importance du traitement des maladies qui prévalent dans les populations vivant dans l’extrême pauvreté. Il sera difficile désormais de penser qu’il s’agit de maladies négligées.

Le mois dernier, l'Assemblée générale des Nations Unies a arrêté un nouveau programme de développement durable. Le nombre des objectifs est passé de 8 à 17, dont un sur la santé. Les cibles apparentées ont été multipliées par 8, passant de 21 à 169.

Les facteurs qui déterminent aujourd'hui le bien-être du genre humain et l’état de la planète qui l’abrite ne sont plus aussi faciles à cerner qu'auparavant. Ce nouveau programme va s'efforcer de façonner un monde très différent.

De plus en plus souvent, c'est non le meilleur mais le pire de la nature humaine qui se donne à voir : terrorisme international, fusillades de masse absurdes, attentats à la bombe sur les marchés et les lieux de culte, sites archéologiques inestimables réduits à l’état de ruines, et conflits armés interminables qui alimentent la plus grave crise de réfugiés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mesdames et Messieurs,

Depuis le début du siècle, de nouvelles menaces pour la santé ont gagné du terrain. Comme les autres problèmes qui obscurcissent les perspectives d'avenir durable de l'humanité, elles sont d'une ampleur et d'une complexité bien plus grandes que celles des enjeux qui dominaient le programme d'action sanitaire il y a 15 ans.

Ce sont désormais les maladies non transmissibles chroniques, et non les maladies infectieuses, qui causent le plus de décès dans le monde. Comme il est indiqué dans le rapport de votre Directeur régional, dans certains États et Territoires insulaires, plus de 75 % des adultes sont obèses, près de 50 % des jeunes gens fument, et jusqu’à 40 % des adultes souffrent d’hyperglycémie.

Le monde est mal préparé pour relever ces nouveaux défis. Peu de systèmes de santé ont été conçus pour pouvoir prendre en charge les affections chroniques voire incurables. Plus rares encore sont les médecins formés à les prévenir. Et encore moins de gouvernements possèdent les moyens financiers nécessaires pour les traiter.

Dans certains pays, le coût du traitement du diabète engloutit à lui seul de 25 à 50 % de la totalité du budget de la santé. La plupart des nouveaux médicaments homologués en 2014 pour diverses pathologies cancéreuses coûtent par an plus de US $120 000 par patient.

Le climat change, et ses répercussions sur la santé vont d’une plus large prévalence géographique de la dengue à des décès supplémentaires dus à la pollution de l’air, aux vagues de chaleur ou à d’autres évènements climatiques extrêmes. Les îles du Pacifique subissent déjà les lourdes conséquences du changement climatique qui menacent leur existence même. En décembre, Paris accueillera la Vingt et Unième Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Aux yeux de beaucoup, cette Conférence est la dernière occasion qui nous est donnée d'éviter que nos enfants héritent d'une planète en ruine. Comme l’a indiqué le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, il n’y a pas de plan B, comme il n’y a pas de planète B.

La résistance aux antimicrobiens est désormais considérée comme une crise sanitaire et médicale majeure. Des microbes extrêmement résistants hantent les services d’urgence et les unités de soins intensifs du monde entier. La gonorrhée est maintenant résistante à de multiples classes de médicaments. Même avec la meilleure prise en charge, seule la moitié environ des cas de tuberculose multirésistante est soignée avec succès.

Nulle personne travaillant dans le domaine de la santé publique ne saurait sous-estimer les défis qui nous attendent. Ces nouvelles menaces ne cadrent pas avec le modèle biomédical qui a historiquement guidé l'action de santé publique. Leurs causes profondes se trouvent en dehors du champ généralement couvert par la santé publique. Le secteur de la santé, s’il agit seul, ne peut protéger nos enfants de la commercialisation d'aliments et de boissons nocifs pour la santé, persuader les pays de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ou obtenir des producteurs de l’industrie agro-alimentaire qu’ils réduisent l’usage massif d’antibiotiques.

Ces nouvelles menaces pour la santé échappent également au domaine d'action traditionnel des nations souveraines, habituées à gouverner au sein de leur territoire. Dans un monde d'interdépendance radicalement accrue, toutes ces menaces sont transfrontalières.

Mondialisée, la commercialisation de produits nocifs pour la santé ne respecte aucune frontière. Par définition, l'évolution du climat touche toute la planète.

Comme on l’observe clairement avec le parasite responsable du paludisme, le bacille de la tuberculose et les bactéries porteuses de l'enzyme NDM-1 le montrent de manière saisissante, les agents pathogènes résistants se propagent facilement partout dans le monde, voyageant aisément par l’intermédiaire des utilisateurs du transport aérien qu’ils infectent et des échanges mondiaux de produits alimentaires. Nous sommes aussi confrontés à d’autres défis. La cartographie de la pauvreté a évolué. Aujourd’hui, 70 % des populations défavorisées du monde vivent dans des pays à revenu intermédiaire. De telles statistiques changent la donne. La croissance du PIB a longtemps été un critère important pour mesurer le progrès national. Si l’économie se porte bien, quel est l’intérêt d’investir dans des soins de santé équitables ? Le monde n’a que faire de pays riches où les pauvres sont si nombreux.

Notre monde est profondément interdépendant et cela aussi a des conséquences. La crise des réfugiés qui touche l’Europe a ébranlé l’idée selon laquelle les guerres des contrées éloignées resteront lointaines. La flambée de maladie à virus Ebola a ébranlé l’idée selon laquelle une maladie de pays africains pauvres n’aurait aucune conséquence ailleurs dans le monde.

Mesdames et Messieurs, La flambée de maladie à virus Ebola qui a frappé l’Afrique de l’Ouest n’est pas encore vaincue, mais nous sommes tout près du but. La riposte est entrée dans une phase où nous pouvons suivre les dernières chaînes de transmission, et parvenir à les briser. Pour atteindre cette phase, l’OMS a déployé plus de 1000 membres de son personnel sur 68 sites sur le terrain dans les trois pays.

Le Dr Chan remercie l’équipe de soutien à la lutte contre le virus Ebola dans la Région du Pacifique occidental pour sa contribution à la riposte internationale qui nous permis d’en arriver là aujourd’hui.

La flambée nous apprend aussi quelque chose sur l’importance du nouveau programme de développement durable. Bon nombre des nouveaux objectifs s’attaquent aux causes essentielles de la mauvaise santé. En les poursuivant nous bâtirons les fondations d’un monde plus équitable, plus stable et plus sûr. Plus sûr, notamment face aux menaces de maladies infectieuses.

Le mois dernier, 267 éminents économistes en provenance de 44 pays ont publié une déclaration dans The Lancet. Cette déclaration appelait les leaders du monde entier à accorder la priorité à une action en faveur de la couverture universelle visant les plus pauvres, comme fondement essentiel du développement durable.

Les arguments économiques en ce sens sont convaincants. La couverture sanitaire universelle transforme les modes de vie ainsi que les vies, et agit comme une stratégie de réduction de la pauvreté. On estime que les avantages économiques d’un investissement dans la couverture sanitaire universelle sont plus de dix fois supérieurs aux coûts.

La couverture sanitaire universelle amortit les chocs encaissés par les communautés lorsque les crises se produisent, qu’elles soient dues à un changement climatique ou à un virus vagabond. Dans des conditions normales, la couverture sanitaire universelle permet d’apporter cohésion et stabilité aux sociétés et soutient la productivité économique. Il s’agit de biens précieux pour n’importe quel pays du monde.

Comme les économistes l’ont fait remarquer, les effets dévastateurs d’Ebola auraient pu être atténués si les systèmes de santé publique avaient été renforcés dans les trois pays, pour un coût qui aurait représenté un tiers du coût de la riposte à Ebola à ce jour.

Je vous remercie.