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Rencontre : ce qu'on attend de Natacha Ramsay-Levi chez Chloé

Nommée en avril 2017 à la tête de la direction artistique de la maison Chloé, Natacha Ramsay-Levi présentera sa première collection printemps-été 2018 lors de la Fashion Week de Paris en septembre prochain.
Rencontre  ce qu'on attend de Natacha RamsayLevi chez Chlo

Natacha Ramsay-Levi a rejoint Chloé depuis six semaines lorsque nous nous rencontrons un vendredi après-midi de mai, à Paris. La météo prévoit des orages, et dans les somptueux intérieurs de La Réserve, un grand hôtel du 8 arrondissement, l’air est lourd. Alors que d’autres clients agitent un éventail devant leurs visages et quémandent de l’eau fraîche aux serveurs, Natacha Ramsay-Levi reste imperturbable. "Rejoindre Chloé est pour moi une démarche très naturelle » déclare-t-elle en haussant les épaules et en s’installant dans un canapé de velours. "J’étais plus que prête pour ce poste."

Elle arrive tout droit d’une séance photo pour Vogue dans la Maison Chloé, un ambitieux projet de rénovation de cinq étages, à trente secondes du siège de la marque situé avenue Percier. Ses immenses pièces de style haussmannien abriteront bientôt des archives, un espace d’exposition et d’événements, des salons d’essayage VIP et un showroom presse. Certaines parties seront ouvertes au public, y compris l’exposition de photographies de Guy Bourdin pour Chloé, qui sera ouverte jusqu’au 3 septembre. Timing parfait pour la nouvelle directrice artistique, qui arrive juste à la fin des travaux.

Si l’ampleur de ce projet n’a rien de surprenant pour une marque française aussi réputée et influente que Chloé (qui ouvrira cette année douze magasins, dont une nouvelle boutique phare à Londres), la nomination de Natacha Ramsay-Levi a de quoi étonner. Quand sa prédécesseure Clare Waight Keller a annoncé son départ en janvier, après six ans aux commandes de la maison, Ramsay-Levi – relativement peu connue – n’apparaissait pas nécessairement comme la candidate idéale. Cette fidèle de Nicolas Ghesquière a su monter les échelons, devenant son adjointe à la création chez Balenciaga, puis chez Louis Vuitton pendant quinze ans. Sur le papier, son goût pour l’androgynie futuriste semblait en décalage avec le flou artistique bohème de Chloé.

Les cafés que nous avons commandés nous sont servis avec des petits carrés de chocolat. Natacha porte un t-shirt blanc, une jupe noire froncée Balenciaga ("une jupe qui date, signée Nicolas") et des bottes de cowboy Louis Vuitton. Elle a l’air à la fois plus jeune et plus âgée que sur les photos énigmatiques qui accompagnaient l’annonce de sa nomination en mars. Plus jeune car elle sourit sans cesse et n’est pas maquillée ; plus âgée car elle possède cette franchise typiquement française qui lui confère une présence unique. Elle a passé les dernières semaines à faire connaissance avec son équipe, à écumer les archives, à s’adapter à un calendrier au rythme soutenu ("réunions, réunions, et encore réunions") et à commencer sérieusement la conception de sa première collection. Jusqu’à présent, rien ne l’a surprise.

"Surprise n’est pas le bon mot", dit-elle en souriant – et ainsi commence la liste des nombreuses corrections qu’elle apportera à mes questions au cours de notre rendez-vous. "C’était exactement comme ils me l’avaient annoncé, vous savez. Chez Chloé, tout le monde est lumineux, joyeux, les gens s’entendent très bien… J’ai besoin d’un environnement dans lequel je sens qu’on travaille tous au sein d’une même équipe, pour un même projet. J’aime être très ouverte vis-à-vis de mon travail."

Très ouverte, mais aussi très précise. Natacha Ramsay-Levi sait parfaitement où elle veut emmener la marque, en existence depuis 65 ans. Elle exulte l’extraordinaire assurance qui a su séduire Geoffroy de La Bourdonnaye, le président de Chloé, lorsqu’il a rencontré cette femme de 37 ans. "Elle a immédiatement compris Chloé. Elle était très convaincante", se souvient de La Bourdonnaye*. "Avec Chloé, il est toujours question de liberté. C’est une marque très démocratique, qui n’impose rien. Elle est toujours en phase avec son temps, et Natacha l’a très bien compris."* Sa jeunesse est un autre point fort. "J’ai rencontré de nombreuses fois Gaby Aghion, la fondatrice de Chloé, et elle me disait toujours que la jeunesse était essentielle. Natacha possède à la fois le savoir-faire d’un atelier de haute couture, et le savoir-être d’une jeune personne."

"Toutes les femmes peuvent se reconnaître dans Chloé. On peut facilement se l’approprier."

La vision de Ramsay-Levi pour Chloé est pragmatique. Elle aime mettre en valeur la personnalité que la Chloé girl a toujours su incarner, et s’inspire régulièrement de l’impressionnante liste de designers de la marque – Karl Lagerfeld, Stella McCartney et Phoebe Philo, entre autres. "C’est une maison qui déborde de joie, de naturel, de facilité, et de féminité. Elle est à mi-chemin entre le style urbain qui a quelque chose de très simple, et une certaine sophistication." Elle s’arrête une seconde pour reprendre son souffle. "Toutes les femmes peuvent se reconnaître dans Chloé. On peut facilement se l’approprier."

Fait intéressant : elle ne voit pas Chloé comme une marque bohème – ça n’est pas son style. Elle y intégrera sans aucun doute une petite touche de masculinité dégourdie pour son premier défilé en septembre. Peut-être en associant ces classiques pièces vaporeuses en dentelle avec un costume garçon manqué. Mais elle recule devant l’idée du pouvoir. Elle lui préfère le terme "force". "Quand je pense à Chloé, je pense immédiatement à des chemisiers très délicats, quelque chose d’assez sophistiqué." Quand on l’interroge sur la manière dont ses principes de design futuriste évolueront pour intégrer la légèreté d’esprit de Chloé, elle répond catégoriquement : "Je ne travaille pas sur la marque Natacha, je travaille sur la marque Chloé. Les sacs doivent rester Chloé, les vêtements doivent rester Chloé." La décoration intérieure des boutiques gardera la même apparence. En revanche, elle nous confie que les défilés n’auront plus lieu au Grand Palais.

Sur quelles pièces se concentrera-t-elle pour sa première collection ? Elle répond en soupirant : "Rien que de les citer, c’est tellement cliché… Evidemment, ce sera le chemisier, le pantalon, la cape, la robe longue, la mousseline, la dentelle – il y a une grande variété chez Chloé. Mais je crois que le choix des vêtements n’est pas ce qui importe le plus – l’essentiel, c’est l’attitude." Elle se renfonce dans le canapé vert foncé. "C’est la façon de prendre l’ADN de la marque et de lui faire rencontrer le présent. De mélanger les deux. Et de le rendre moderne. D’ajouter un peu d’audace."

Ramsay-Levi est l’incarnation de Paris. Elle y est née et y a grandi. Au départ, elle voulait devenir historienne, mais pendant ses études, elle passait plus de temps à s’envelopper dans du tissu et à fabriquer des vêtements pour monter une collection "super naïve" avec une amie. "Un jour, je me suis rendu compte que je n’étais pas dans la voie qui me correspondait, et que je voulais être créative. Je voulais oser. Du coup, j’ai changé de voie", explique-t-elle simplement. Malgré les réserves de ses parents, elle s’est inscrite au Studio Berçot. Elle a jeté son dévolu sur Balenciaga, alors dirigé par Nicolas Ghesquière, et a imploré d’y faire un stage. Elle s’est très rapidement attiré les bonnes grâces de la petite équipe en préparant des cafés, et n’a pas tardé à sympathiser avec Ghesquière.

Elle décrit le temps qu’elle a passé là-bas comme "une histoire d’amour". Pendant quinze ans, elle n’a pratiquement pas quitté Ghesquière : lorsqu’il a quitté Balenciaga, où il l’a ensuite nommée directrice artistique, il l’a emmenée avec lui chez Louis Vuitton pour travailler sur le prêt-à-porter. "Il m’a tout appris… Quand je suis arrivée [chez Balenciaga], j’étais déjà obsédée par ce qu’il faisait. Je trouvais cela tellement fort, je voulais absolument être cette femme. Pour moi, c’était la chose la plus cool du monde", raconte-elle avec enthousiasme. Son influence se fera certainement sentir dans ses créations pour Chloé. "Je pense toujours à lui, presque tous les jours", confie-t-elle timidement. Une chose sur laquelle elle revient systématiquement est le talent de Ghesquière pour mélanger les styles : "Il peut associer la haute couture a quelque chose de très pop, de très simple à comprendre."

C’est sa famille qui lui permet de décrocher du travail. Elle vit dans le centre de Paris, et met un point d’honneur à maintenir sa vie privée à l’abri des regards. Elle a un fils de quatre ans, Balthus, né de son union avec Olivier Zahm, le fondateur provocateur du magazine Purple, qui avait rendu public leur douloureuse séparation sur son site Web. Le couple est désormais séparé, et elle élève la fille de Zahm, âgée de douze ans et née d’une union précédente. "Passer du temps avec les enfants est le plus important. On oublie tout – on n’a pas le choix."

Ramsay-Levi a l’assurance sans complexe d’une personne bien entourée et connectée au succès. Douter d’elle-même n’est pas dans son genre. "J’ai toujours été comme ça. Le timing est toujours bon." Concernant sa carrière chez Chloé, elle ne pressent pas de défis particuliers*. "L’idée de défi, c’est l’idée de surmonter une montagne. Je ne crois pas être en train d’escalader une montagne. Je crois que je marche d’un pied ferme sur un sentier que j’adore. Alors, non, la question n’est pas là… J’espère que tout le monde aimera mes pièces et voudra les porter. Je pense que c’est la seule question."*

Crédit photo : Paolo Roversi