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Qui est Rachel Chinouriri, l'artiste qui panse les blessures du passé avec son excellent premier album ?

La jeune Rachel Chinouriri vient de dévoiler son premier album, What A Devastating Turn Of Events. L'occasion d'échanger avec elle sur la présence de la nature dans sa musique, et comment celle-ci répare les traumatismes des générations qui la précèdent.
Rachel Chinouriri
Rachel Chinouriri© Lauren Harris

“Le Jardin d’Eden”. Ainsi est intitulé le morceau liminaire de What A Devastating Turn Of Events, le premier album de la Britannique Rachel Chinouriri. Un album qui s’ouvre donc dans la tranquillité, malgré son titre orageux, comme pour profiter des derniers instants de calme avant la tempête des émotions. D’abord, on n’entend pas sa voix, non. Pas tout de suite. C’est plutôt le chant des oiseaux qui vient accompagner notre écoute, l’introduire, comme pour nous cueillir au saut du lit. Puis, une voix, lointaine, étouffée, comme celle d’une chanteuse qui se prépare. Il faut admirer l’artiste pour cela : sa capacité à créer un univers, un monde dans un autre, une bulle pour enfermer ses auditeur·ices sans son écrin, et ainsi leur révéler au mieux tous ses secrets.

Cela fait déjà quelque temps que Rachel Chinouriri figure parmi les promesses de la nouvelle scène anglaise. L’année dernière déjà, on la retrouvait parmi les artistes à suivre du Rolling Stone britannique et de la BBC. Mais avec What A Devastating Turn Of Events, son premier album, la jeune femme semble prête à franchir la Manche et conquérir le monde entier. C’est au moins ce qu’on lui souhaite, tant son talent – et son charme – ne trouvent que peu d’égal autour d’elle. Rencontre.

© Warner Music

La nature comme mère protectrice

Je ne pouvais pas éviter les références à la nature. Cet album, c’est comme la maison pour moi, et la maison, pour moi, ce sont les oiseaux que j’entendais le matin en me réveillant”. Ainsi débute notre conversation avec une Rachel Chinouriri souriante, une matinée d’avril à Paris. Elle est en pleine promotion de son premier album et comme tous les jeunes artistes, a cette étincelle dans le regard qui ne trompe pas. Quelques heures avant, elle était à Londres, où elle vit désormais. Le soir, elle file à Cologne, pour continuer à défendre What A Devastating Turn Of Events auprès des journalistes.

Malgré son titre effrayant, What A Devastating Turn Of Events est un album résolument chaleureux, à la fois doux et entraînant. À la croisée de l’indie pop et du rock, Rachel Chinouriri y narre l’histoire de sa famille, entrecoupées de ses propres aventures, qui comportent souvent des garçons inaptes et des décisions stupides. Jamais prévisible, tout en restant extrêmement bien pensé et produit, il regorge de mots et de sonorités faisant appel à la nature, de la ballade rock précédemment citée “Garden of Eden” en passant par la chanson “The Hills” (en français : “les collines”). “Aujourd’hui j’habite à Londres, où je n’entends guère le chant des oiseaux, nous confie-t-elle. Mais pour la confection de cet album, je me suis enfuie à la campagne, on a tout enregistré dans une maison loin de la ville”. Ainsi, la nature, au cœur de laquelle l’artiste a grandi, dans les forêts de la région du Surrey, apparaît comme une mère protectrice, un rempart contre les atrocités vécues, à la fois par elle-même, mais surtout par sa famille, et qui ont marqué l’histoire de Rachel Chinouriri.

Écrire pour panser les blessures du passé

Dans le silence de la campagne, Rachel Chinouriri écrit. Elle se lève tôt, elle travaille tard – jusqu’à minuit, le plus souvent. Rien ne vient perturber le processus de création de ce premier album, qu’elle partage avec le musicien Glenn Roberts et le producteur apob. Une expérience qu’elle chérit, contrairement aux allers-retours à Los Angeles : “Je crois que c’est différent d’écrire avec des Britanniques… glisse-t-elle, pensive. Je voulais vraiment que l’album arbore un aspect nostalgique et, oui britannique ! Et puis, j’aime bien prendre mon temps pour écrire. À Los Angeles, les gens n’ont pas ce temps-là”.

En résultent des morceaux pop à la structure pourtant étrange – souvent dépourvue de refrain, comme sur la chanson éponyme, “What A Devastating Turn Of Events”, construit sur un mouvement en quatre temps. “C’est l’une des premières chansons que j’ai écrites et qui ne parle pas de moi, ce qui est rare, confie la chanteuse. Elle parle de ma cousine, qui s’est suicidée. Une histoire que j’avais besoin de raconter”. Bien que Rachel Chinouriri n’ait jamais pu rencontrer sa cousine, elle se reconnaît dans ce récit d’une femme qui s’est donnée la mort après avoir été quittée par un homme. “Dieu merci, je n’ai pas suivi cette voie, mais j’ai écrit des lettres de suicide, confie-t-elle. Je suis allée jusqu’au magasin pour m’acheter la corde, et puis je ne sais pas pourquoi, ce jour-là, ma meilleure amie m’a appelée, alors qu’on ne s’était pas parlé depuis deux semaines. Elle me disait juste qu’elle pensait à moi. J’ai fondu en larmes dans le rayon, j’ai appelé une voiture et j’ai filé chez elle”.

Les blessures que panse l’album What A Devastating Turn Of Events sont nombreuses, et souvent lointaines. Rachel Chinouriri défend ardemment l’idée que chacun de nous porte en lui les marques de ces ancêtres. Originaire du Zimbabwe, ses parents ont été des enfants soldats pendant la guerre du Bush en Rhodésie, une période qui a laissé des traces indélébiles à travers les générations. C'est sa mère qui prend la décision de faire immigrer la famille au Royaume-Uni. La chanteuse est donc la première à naître sur le sol britannique. “Mes parents nous ont élevé à la dure, même si nous étions en Angleterre, explique-t-elle. Ça m’a rendue très forte”. Ainsi, la musique, et notamment le gospel et les musiques entendues à l’église, deviennent très vite pour la jeune femme une manière de fuir la réalité, quand celle-ci devient trop difficile à affronter. Et l’écriture, une manière de mettre des mots sur l’indicible.

L’humour comme talisman

Dès la première écoute de What A Devastating Turn Of Events, le morceau “Dumb Bitch Juice” (littéralement, “le jus des connes”) marquent, par son jeu d’antagonismes entre un récit tragique et un ton grinçant d’humour noir. C’est peut-être là l’une des plus grandes qualités de l’écriture de Rachel Chinouriri : placer de la lumière dans les plus sombres ténèbres, et faire naître un sourire sur le visage de celles et ceux qui l’écoutent, et ce jusque dans ses chansons les plus tristes. “Je suis déjà passée par là, mais je vais quand même tout lui pardonner / Parce qu’il est si beau, et même si mes ami·es disent ‘non’ / Je continuerai à boire mon jus de conne”.

L’humour est un outil très utile pour gérer ses propres traumatismes, concède Rachel Chinouriri. Mais cet album va plus loin que ça, je tenais vraiment à montrer les différentes réponses à ses traumatismes : par le rire, mais aussi par la pitié”. Ainsi, alors qu’un morceau comme “My Blood” appelle des émotions enfouies et chercher à bouleverser celui ou celle qui l’écoute, “Never Need Me” a été imaginé dans la joie, et pourrait tout à fait être joué au beau milieu d’une fête, sans craindre de détruire l’ambiance : “Écrire cette chanson m’a responsabilisé. Elle parle de reprendre son pouvoir au moment où l'on se rend compte qu'aider quelqu'un, c'est en fait lui faire du mal parce qu'il n'est pas prêt à changer. Parfois, on finit par porter son fardeau. “Never Need Me”, c’est le moment où tu souhaites le meilleur à la personne, mais où tu ne peux pas continuer à te faire du mal en l'aidant. C'est toujours une décision difficile à prendre, mais une fois qu'on l'a prise, c'est un poids en moins sur nos épaules” explique l’artiste.

Tantôt drôle, tantôt déchirante, Rachel Chinouriri est parvenue, en un seul album, à s’imposer comme l’une des compositrices les plus prometteuses de sa génération. What A Devastating Turn Of Events est à envisager comme un voyage dans ses pensées, rythmé par la voix de l’animatrice de la BBC Clara Amfo, qui présente les morceaux comme si nous écoutions son émission, au cœur d’une soirée sur la route “Elle m’a soutenue à de nombreuses reprises, et c’est aussi une incroyable femme noire, qui vit à Londres comme moi, précise la jeune chanteuse. J’étais si reconnaissante qu’elle accepte de me prêter sa voix”. Comme une manière de continuer à tisser des liens entre les artistes et les femmes noires d’une nouvelle génération qui soigne ses blessures tout en cultivant un nouveau monde à leur image.

What A Devastating Turn Of Events de Rachel Chinouriri, disponible.

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